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Taxer les super profits ? Petit rappel de la répartition des richesses créées par le CAC 40
©ERIC PIERMONT / AFP

Non-sens

Dans une interview donnée au Parisien et publiée samedi 27 août, Elisabeth Borne a expliqué de ne pas "fermer la porte" à une taxation des super profits des entreprises pour "rendre du pouvoir d'achat aux français". Pourtant, surcharger les entreprises d’impôts pénalise au final les ménages

Nicolas Marques

Nicolas Marques

est directeur de l'Institut économique Molinari

Docteur en économie (Université d’Aix-Marseille) et diplômé en gestion (EM Lyon), il a débuté sa carrière en enseignant l’économie, avant d’exercer des responsabilités marketing et commerciales dans de grands groupes de gestion d’actifs français.

Chercheur associé depuis la création de l’IEM, en 2003, il est devenu Directeur général de l’institut en 2019. Il est l’auteur de plusieurs travaux sur les enjeux fiscaux, les finances publiques, la protection sociale ou la contribution des entreprises et membre de la Société du Mont Pèlerin.

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Atlantico : 73 milliards d’euros, “ce sont les bénéfices réalisés par les entreprises du CAC40 sur le seul premier semestre 2022” souligne Adrien Quatennens qui appelle à la taxation des superprofits des entreprises. Mais dans le détail, comment se répartit véritablement la richesse des entreprises du CAC 40 entre salaires, impôts et dividendes ?

Soulignons d’abord que les résultats du CAC 40 sont bons mais n’ont rien d’astronomiques. Dans les 9 derniers mois, Apple a gagné 79 milliards de dollars. C’est autant que les 40 entreprises du CAC 40 au premier semestre. Soulignons ensuite que prétendre que ces grandes entreprises échappent à l’impôt et fonctionnent au profit exclusif des actionnaires est un non-sens.

Au-delà des consommateurs, les salariés et les administrations publiques sont les premiers intéressés à la création de richesse générée par les entreprises du CAC 40. Nous avions calculé à l’Institut économique Molinari que la contribution sociale et fiscale de ces entreprises représentait 389 milliards d’euros dans le monde en 2019. Ces 389 milliards d’euros ont distribué 267 milliards d’euros aux salariés (69 %), 80 milliards d’euros aux administrations publiques en France et à l’étranger (20 %) et 42 milliards d’euros nets d’impôts aux actionnaires (11 %).

Certains prétendent que certaines entreprises ne paieraient pas assez d’impôts sur les sociétés mais ils passent sous silence que les impôts sur les sociétés sont calculés à due proportion des bénéfices. Si ces derniers ne sont pas au rendez-vous, il est normal que l’impôt soit faible voire nul. Et, on oublie trop souvent que la faiblesse des bénéfices en France est souvent liée à notre très forte fiscalité en amont des bénéfices. Selon nos calculs, en 2021, les excédents nets d’exploitation représentent à peine 17 % de la valeur ajoutée nette en France, contre 26% dans l’Union européenne, soit un écart de 9 points ou 35%. Loin d’être passager, ce manque de compétitivité est lié au caractère hors normes des cotisations sociales et des impôts de production français. Ces derniers, problématiques lorsque les résultats des entreprises se dégradent, sont particulièrement délétères pour les activités à marges faibles. Ces impôts poussent aux délocalisations et aux destructions d’emplois dans l’Hexagone. Dans plusieurs pays, ces impôts déconnectés des résultats des entreprises sont devenus anecdotiques (Espagne), ont disparu (Pays-Bas) voire sont devenus négatifs, la production étant subventionnée (Allemagne). Les insoumis devraient militer pour qu’on démantèle la fiscalité de production française, machine à laminer l’emploi hexagonal.

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A quel point une focalisation sur les seuls dividendes est-elle trompeuse ? A quoi est due cette vision erronée ? 

La focalisation sur les dividendes est stérile. Les dividendes n’enrichissent pas anormalement l’épargnant. Certains soulignent même qu’ils sont neutres et ils ont raison. Lorsqu’une entreprise verse un dividende, le cours de son action baisse à due proportion du dividende qu’elle a distribué à son actionnaire. Les dividendes rassurent les épargnants habitués aux investissements obligataires, qui touchent des intérêts réguliers par l’intermédiaire de distributions de coupons. Toutes choses égales par ailleurs, les entreprises qui versent plus de dividendes ont des cours qui se valorisent moins et l’opération est neutre pour les épargnants. Les épargnants en actions perdent d’un côté ce qu’ils gagnent de l’autre puisque la valeur résiduelle de leur épargne baisse s’ils ne réinvestissent pas leurs dividendes. 

Soulignons que les dividendes sont très souvent réinvestis. Certains actionnaires ont l’habitude de les replacer dans la société qui les a versés, pratique encouragée par les entreprises qui proposent de percevoir les dividendes sous la forme de nouvelles actions. D’autres épargnants réinvestissent systématiquement les dividendes qu’ils touchent dans de nouvelles entreprises, pour diversifier leur portefeuille. Faire pression sur les entreprises pour les forcer à distribuer moins de dividendes n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les entreprises qui ont besoin d’attirer de nouveaux épargnants pour accompagner leur croissance.

De même certains prétendent – à tort – que les distributions de dividendes nuisent à l’investissement. 

Il existe une abondante littérature montrant que cette prétendue opposition entre dividende et investissement relève du sophisme. Pascal Quiry et Yann Le Fur ont par exemple montré qu’au global les dividendes et investissements des entreprises non financières du CAC 40 augmentent de pair sur la longue période, ce qui ne serait pas possible si dividendes et investissements étaient antinomiques. Même au niveau micro économique, société par société, ils n’observent pas de corrélation négative entre taux de croissance des investissements et des dividendes, ce qui ne serait pas possible si le dividende était l’ennemi de l’investissement. 


Dans ces conditions, la taxation des superprofits a-t-elle véritablement un sens ? Qui en serait pénalisé in fine ?

La taxation des superprofits existe déjà, avec l’impôt sur les sociétés, et accroître la fiscalité se retournerait mécaniquement contre les ménages. 

Quand les profits des entreprises françaises augmentent, les recettes d’impôt sur les sociétés augmentent mécaniquement, sans qu’il soit besoin de voter de nouvelles taxes. 

Surtout surcharger les entreprises d’impôts pénalise au final les ménages. Contrairement aux idées reçues, les entreprises qui survivent ne paient pas d’impôts. Elles collectent la fiscalité qu’elles répercutent sur les consommateurs, salariés ou actionnaires. Depuis des siècles, les économistes ont compris que la fiscalité, poreuse, passe d’un acteur à un autre. Ils ont montré que le contribuable au sens juridique n’est pas nécessairement celui qui assume l’impôt d’un point de vue économique. Dès 1776, Adam Smith souligne que « L’impôt est payé, en fin de compte, par le dernier acheteur ou consommateur ». A la fin des années 1820, Jean-Baptiste Say souligne que « l’impôt que le producteur est obligé de payer fait partie de ses frais de production (…) il faut bien qu’il augmente le prix de ses produits et de cette manière fasse supporter au moins une forte partie de l’impôt à ses consommateurs ». Dans les années 1960, Arnold Harberger a montré que l’impôt sur les sociétés est répercuté sur les consommateurs, actionnaires et salariés dans des proportions variables. Si l’entreprise produit des biens très différenciants, à l’image des GAFA, les impôts seront répercutés intégralement sur les consommateurs. Si ce n’est pas le cas, ils seront répercutés sur les actionnaires et les salariés. Les premiers bénéficieront de rendements moins attrayants. Les seconds auront des augmentations de salaires moins attrayantes et seront pénalisés indirectement par des créations d’emplois moins nombreuses, associées à un moindre dynamisme salarial. L’impôt se répercute des acteurs économiquement forts vers les acteurs économiquement faibles, comme le soulignait Maurice Lauré dans les années 1950. Dans des économies ouvertes, les consommateurs comme les actionnaires, sont mobiles et en position de force. Dès lors, la fiscalité visant les entreprises est en grande partie reportée sur les salariés qui sont moins mobiles. Les approches binaires qui opposent la fiscalité qui serait payée par les entreprises, qu’il s’agisse des impôts de production ou sur les bénéfices, et ceux qui seraient assumés par les consommateurs, tels la TVA, n’ont aucun sens dans la vie courante. Dans certains cas, tous ces impôts sont supportés in fine par les salariés ou les consommateurs, lorsqu’ils sont captifs.

Augmenter la fiscalité sur les entreprises pétrolières retomberait, par exemple, mécaniquement sur les consommateurs qui paient déjà les impôts de production, les impôts sur les bénéfices réalisés dans les pays d’extraction, les droits d’accises et la TVA. Les taxes et impôts représentent au global entre 56 % à 61 % du prix à la pompe en France, selon qu’on considère le gazole ou le SP95, fiscalisés à 129 % ou 156 % du prix de production hors taxes. Chercher à taxer encore plus les compagnies pétrolières ne soulagerait pas le consommateur, bien au contraire.

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