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Le projet de taxation des exilés 
fiscaux français : une atteinte 
à la liberté individuelle
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A la recherche des riches perdus

Nicolas Sarkozy s'en est pris aux exilés fiscaux lundi soir sur TF1 en proposant un impôt "lié à la nationalité". Un projet qui pose quelques questions sur les principes républicains.

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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A proposition à chaud, réaction à chaud d’une personne qui, fonctionnaire et universitaire, n’est pourtant pas soupçonnable de nourrir des projets d’exil fiscal, ou même d’en avoir les moyens.

Voilà que notre président-candidat vient de proposer de retirer la nationalité aux exilés fiscaux, ou bien de les taxer de la différence d’imposition afin de rétablir le niveau de prélèvements qu’ils auraient eu en France. Passons sur l’immense difficulté d’application concrète d’une telle mesure que les observateurs ne manqueront pas de détailler : impossibilité constitutionnelle de déchoir de la nationalité pour de telles raisons, risque de créer des apatrides, contradiction avec le principe de libre circulation des personnes dans l’espace européen, oubli de l’existence des conventions fiscales qui traitaient déjà cette question et nécessitent un accord bilatéral, impossibilité aussi de distinguer les vilains « exilés fiscaux » des bons «  expatriés » qui vont « gagner des parts de marché à l’étranger », impossibilité similaire d’ailleurs à celle qui permet de distinguer les « licenciements boursiers » des « licenciements indispensables ».

Tout cela sera abondamment commenté, souligné, et l’on arrivera sans doute très rapidement à la conclusion de l’absurdité de cette mesure qui n’aura été qu’un feu de paille médiatique de plus. Il n’empêche, le simple fait d’être capable de la proposer transmet un message éthique très particulier sur lequel nous voudrions insister.

Il y a d’abord dans cette proposition le même processus victimaire que celui dont la gauche s’est fait le chantre : on accuse le nanti, on montre du doigt tous ceux qui « ont du bien » comme on disait autrefois, confondant en une même stigmatisation les héritiers passifs et les entrepreneurs qui ont travaillé dur et voué leur vie à créer du dynamisme économique. On fait ainsi de la possession une faute a priori, une preuve de mauvaise citoyenneté, voire l’aveu de fait de l’exploitation d’autrui, puisque, pour paraphraser Molière, « on ne devient pas si riche en étant honnête aux gens ». Comment ne pas penser à l’opprobre jeté sur les koulaks, ces paysans russes aisés, au moment de la révolution bolchevique ? Dans la rhétorique politique française de cette campagne, droite comme gauche se réunissent pour faire des riches et des entreprises réunis les nouveaux « ennemis du peuple ».

Ériger ceux de nos concitoyens qui s’exilent en bouc émissaire de la crise actuelle est une erreur logique : le départ de ces gens est le symptôme de la crise du système, et non sa cause ou sa solution. Comment reprocher en effet à des gens qui en ont le moyen de fuir sous des cieux plus cléments quand ils voient l’incroyable instabilité fiscale de nos dirigeants incapables de tenir une parole, les projets extrêmes de certains candidats et l’incapacité générale de l’Etat à se réformer ? Notons d’ailleurs que la désignation de quelques coupables livrés à la vindicte populaire dispense nos hommes politiques de parler du point aveugle de cette étrange campagne : la baisse de la dépense publique. Comment s’étonner du peu d’entrain que des contribuables peuvent avoir à remplir des caisses dont les trous paraissent très loin d’être bouchés ?

Mais le plus préoccupant, à notre sens, est qu’une telle idée émise sans rire suppose la création d’un délit de « recherche de son propre intérêt » qui entre directement en contradiction avec l’esprit de notre République. Si nous n’avons pas inscrit comme les Américains le « droit à la recherche du bonheur » dans nos principes fondamentaux, l’idée de liberté en est sans doute l’équivalent. Il suppose que nul, fusse l’Etat, ne peut nous contraindre à agir contre notre propre intérêt, ni nous reprocher de chercher à maximiser notre intérêt. L’expression n’a pas bonne presse, mais nous l’appliquons pourtant tous au quotidien : nous cherchons à minimiser notre déplaisir, à dépenser le moins possible, à transmettre le plus possible à nos enfants… Marâtre patrie que celle qui exige de ses ressortissants qu’ils abdiquent leur propre liberté, leur propre intérêt, pour le « bien commun ». « Un égoïste est quelqu’un qui ne pense pas à moi », a écrit Labiche : avec la proposition Sarkozy, toute personne ne pensant pas d’abord aux autres devient un mauvais Français. Etrange, très étrange campagne en vérité.

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