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Taux de marge des entreprises au plus haut depuis 5 ans : le gouvernement a-t-il économiquement raison de miser sur la modération salariale avec la loi El Khomri ?
©Reuters

Tiens donc

Les chiffres de la croissance française révélés ce lundi montrent que le taux de marge des entreprises est en plein essor actuellement. Un constat qui pose la question de l'utilité de la politique de modération salariale défendue par Emmanuel Macron récemment.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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Atlantico : Alors que le débat politique français semble être englué par l’article 2 de la loi El Khomri, l’INSEE publiait, ce lundi 30 mai, les détails des chiffres du PIB. Or, selon l’institut, "le taux de marge des sociétés financières se redresse fortement" pour atteindre 31,4% de la valeur ajoutée. Au regard de tels résultats, est-il opportun de prôner la "modération salariale", comme souhaite le faire le ministre de l’Economie Emmanuel Macron ?   

Philippe Waechter : Il y a plusieurs questions qui sont posées. 

Le chiffre du taux de marge est le chiffre moyen pour 2015, on ne connait pas encore celui du premier trimestre de cette année. Ce chiffre est-il élevé ? Non au regard de ce qui était observé du milieu des années 1980 à la crise de 2008. Le chiffre n'est pas encore revenu dans son corridor d'évolution observé sur cette longue période de presque 30 ans. Une grande partie de l'ajustement macroéconomique s'est opérée via la réduction du taux de marge des entreprises à partir de 2008. Les mesures prises à partir de 2013, telles le CICE et le pacte de responsabilité, ont permis un redressement de cet indicateur de marge. 

Le second point est de savoir s'il est temps de relâcher la pression sur les salaires. La réponse immédiate est que tant que les marges ne sont pas revenues à leur niveau d'avant crise cela est trop tôt. Par ailleurs, la très faible progression de la productivité ne permet pas de dégager un surplus que l'on peut distribuer spontanément en salaire.

On peut poser aussi la question de savoir comment s'opère la sortie de la modération salariale ? Est-ce par les bas salaires ou est-ce par le salaire moyen ? Par les bas salaires cela parait un peu complexe puisque dans le cadre du pacte de responsabilité et du CICE il n'y a pas de charges sur ces salaires. Si une mesure doit être prise, elle doit s'appliquer à tous les salaires ou tout au moins une grande partie d'entre eux. Ceci se heurte néanmoins à la faible progression de la productivité. Il n'est pas encore opportun de le faire.

On peut cependant réfléchir autrement. Les mesures qui ont été prises pour relancer la croissance et l'inflation n'ont pas bien fonctionné malgré la débauche d'efforts du côté des banques centrales notamment. La croissance est hésitante un peu partout et l'inflation est voisine de 0%. Ce n'est pas suffisant. Il faudrait probablement soutenir la demande avec des dispositifs spécifiques. On le voit avec les négociations salariales en Allemagne ou les coups de pouce aux salaires minimum envisagés dans certains états américains ou au Royaume Uni. 

Ainsi, selon les recommandations faites par la Commission européenne : "la récente modération salariale, dans un contexte de faible inflation et de chômage élevé, demeure insuffisante pour permettre au pays de renouer avec la compétitivité compte tenu du ralentissement de la croissance de la productivité". En quoi la loi El Khomri permet-elle la réalisation de cet objectif ? En quoi la modération salariale peut-elle être favorable à l’emploi ?

Cette question de la modération salariale à toutes les sauces a justifié une bonne partie des politiques d'austérité sans pour autant avoir permis de relancer l'activité.

On retombe toujours sur le même débat entre Keynes et Pigou. Dans une conjoncture dégradée, est-il préférable d'accroitre les salaires pour soutenir la demande ou est-il nécessaire de les réduire pour permettre un meilleur équilibre du côté des entreprises ? La baisse des salaires n'est pas la solution car cela déprime la demande surtout dans les phases d'austérité qu'a pu connaitre la zone Euro depuis le début de la crise. Cela n'a pas franchement permis de soutenir l'investissement pour autant. C'est une mesure peu efficace. 

En outre, on peut éventuellement imaginer que les gains de compétitivité permis par la modération salariale permettent de gagner des parts de marché dans une économie globale en croissance. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. La croissance mondiale est ténue et les échanges internationaux évoluent sur un tempo très limité. En d'autres termes, on ne peut pas attendre une impulsion du reste du monde pour se caler sur une trajectoire de croissance plus élevée. Il faut donc créer localement les conditions pour disposer d'une croissance soutenue. La hausse des salaires peut y contribuer et permettre ainsi une croissance locale plus autonome. Dans ce cas, sortir de la modération salariale a du sens. C'est dans cette situation que se situe la zone Euro. 

La loi El Khomri que vous évoquez s'inscrit dans une logique de modération salariale avec la baisse du plancher des rémunérations des heures supplémentaires. Sur ce point, l'idée me semble-t-il, porte plutôt sur une incitation à embaucher davantage qu'à accroitre la rémunération de ceux qui travaillent. Si c'est effectivement le cas, ce n'est pas une mauvaise mesure car cela permet d'élargir l'emploi.

Quant aux accords d'entreprise inscrits dans le fameux article 2, ils ne sont pas nécessairement aussi vertueux qu'on l'imagine. La littérature sur ce point évoquait une efficacité de la négociation lorsque celle-ci est centralisée ou totalement décentralisé à l'échelle de l'entreprise. Dans ce cadre, les accords sectoriels ne sont pas efficaces. Cette littérature apparait désormais discutable et ne permet pas spontanément de conclure sur le niveau souhaitable de la négociation pour définir le salaire et voir comment sortir de la modération salariale. La loi n'apporte pas l'efficacité qui pourrait être souhaitée.

N’est-il pas contradictoire de poursuivre la voie de la modération salariale tout en se préoccupant, du moins publiquement, des inégalités de revenus ?

L'économie française fonctionne avec une forte composante redistributive gommant ainsi une bonne partie des inégalités. La France n'est pas très inégalitaire lorsqu'elle est comparée aux pays qui lui sont proches. La plupart des grands pays, des Etats-Unis à l'Allemagne en passant par le Royaume Uni ont des mesures d'inégalité bien plus marquées qu'en France. La dynamique des revenus doit se mesurer après redistribution et sur ce point la France n'est pas la plus mal placée. Ce ne sont pas les salaires de quelques grands patrons, dont le niveau élevé biaise la vision que l'on peut avoir des inégalités de revenus, qui doivent cacher ce caractère redistributif qui élimine les trop grandes inégalités. Cela engendre-t-il une dynamique peu efficace et serait-il nécessaire de réduire cette redistribution ? C'est la vraie question.

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