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Taubira, la vérité derrière l'icône : l’ancienne militante indépendantiste guyanaise s’est-elle reniée pour entrer au gouvernement ?
©REUTERS/Philippe Wojazer

Bonnes feuilles

Dans son enquête inédite menée de Paris à la Guyane, Caroline Vigoureux apporte des révélations exclusives sur la vraie personnalité de Christiane Taubira. Extrait de "Le mystère Taubira-La vérité derrière l'icône", publié chez Plon (2/2).

Caroline  Vigoureux

Caroline Vigoureux

Caroline Vigoureux est journaliste politique à L'Opinion.

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Loin de chez elle, Christiane Taubira a parfois le blues. Souvent, elle murmure à ses proches : « J’ai envie d’Amazonie. » Alors, une fois par trimestre, elle parcourt les 10 000 kilomètres qui la séparent de ses terres guyanaises pour se ressourcer. Pour respirer, enfin. En Guyane, on ne parle pas de « Taubira » mais de « Christiane ». Malgré ses 60 000 habitants, Cayenne est comme un village. Beaucoup connaissent cette mère de famille, ses enfants, son ancien mari, ses frères, ses sœurs. Comme à Paris, certains l’admirent, d’autres la détestent. Mais pour tous, la ministre de la Justice, qui parle les différents dialectes locaux, est une fierté.

    Chaque fois qu’elle rentre, c’est le même rituel. Elle enfourche son vélo pour aller prendre un bain dans l’eau chaude et marron de l’océan Atlantique. « On l’a vue plonger tout habillée », racontaient en novembre 2014 certains habitants de la ville. Puis elle sillonne les rues de sa ville natale, se rend au marché de la place du Coq, si loin du microcosme politique parisien. Aux habitants qui croisent sa route, elle lance : Ça to fe, « Comment ça va ? » en créole guyanais. Ses gardes du corps la suivent à la trace. « Elle leur donne des sueurs froides », s’amuse un voisin. Une filature vite éprouvante dans cette ville où la température tombe rarement sous la barre des 30 degrés.

    Quand elle est à Cayenne, une grande réunion familiale est organisée chez ses frères et sœurs. Personne ne veut louper la venue de « Christiane », souvent là en coup de vent, à la Toussaint, Noël ou Pâques. Lors de ces repas de famille, la politique n’a pas vraiment sa place dans les discussions. Eux ne lui posent que peu de questions sur son quotidien place Vendôme. C’est la ligne de conduite qu’ils se sont tous fixée pour permettre à leur sœur de se vider la tête.

Ici, tout le monde sait où vit la garde des Sceaux. Son adresse et son numéro de téléphone figurent même dans l’annuaire. Christiane Taubira occupe une grande maison jaune et brique de la rue Schoelcher, à quelques encablures de la place des Palmistes, en plein centre-ville de Cayenne. Une habitation similaire aux autres qu’elle a achetée en 1997. Seule la voiture noire stationnée dans la rue et les deux gardes du corps campés devant chez elle trahissent parfois sa présence. Les rideaux à carreaux fermés à l’étage ne laissent rien entrevoir de l’intérieur, qui compte presque 200 mètres carrés. Aucun nom ne figure sur la boîte aux lettres marron à côté de la porte d’entrée.

    A quelques mètres de là, Taubira possède un terrain, qui appartenait auparavant à la famille de la maire de Cayenne, Marie-Laure Phinera-Horth. Rien n’y a été construit jusqu’à présent, seuls des bouts de tôle et des feuilles de bananiers traînent sur le sol. Selon sa déclaration de patrimoine publiée en décembre 2014, la ministre possède en tout cinq terrains à Cayenne, dont les valeurs sont comprises entre 12 285 et 75 000 euros.

    La place des Amandiers est située au bout de la rue. L’endroit offre une vue imprenable sur l’océan. C’est là qu’elle aime venir lire sur un banc, avec son croucrou, ce panier créole en osier dont elle ne se sépare jamais quand elle est à Cayenne. Au bord des rochers trônent des arbres centenaires. Entre les palmiers et un kiosque blanc et ocre, quelques hommes jouent à la pétanque en ce soir de novembre 2014, d’autres refont le monde assis sur les bancs en bois vert. Quand on évoque le nom de Christiane Taubira, la conversation s’anime. « Elle a mis fin aux combines en Guyane pour apporter le savoir », « Les gens ont l’impression que c’est une prof qui vient donner des leçons, elle paraît pédante », « Elle a du bagage, ça dérange », « Elle est trop vindicative, trop agressive »... Albert, qui se présente comme son ancien chauffeur, se dit « prêt à se tuer pour elle ». « Elle est très exigeante, très méthodique et le Guyanais n’aime pas cela. Certains n’apprécient pas sa droiture », explique-t-il. La tenancière du bar de la place des Amandiers enrage dès qu’on parle de la ministre : « Elle mange à tous les râteliers, elle piétine les gens pour réussir ! » Dans les rues de la ville, il existe autant de points de vue sur Taubira que de personnes.

D’autres encore considèrent que l’ancienne militante indépendantiste, aujourd’hui ministre du gouvernement français, s’est reniée. « Quand vous assumez une telle charge, vous vous éloignez de votre territoire et, quelque part, vous renoncez à certains idéaux », considère Fabien Canavy, leader du Mouvement pour la décolonisation et l’émancipation sociale (Mdes). Lui qui a fait alliance avec Taubira aux régionales de 2010 voit dans le parcours de la ministre une « forme de renoncement ». La maire de Cayenne, Marie-Laure Phinera-Horth, relativise : « On a tous été indépendantistes étant jeunes. Mais quand on a eu les rênes du pays entre nos mains, on a été confrontés à la réalité et on s’est assagis. » Pour l’ancien leader indépendantiste Roland Delannon, il n’y « aucune contradiction » dans l’évolution de son ancienne épouse. « Elle n’est pas prête à toutes les compromissions parce qu’elle est au pouvoir. »

    Dans une interview publiée en décembre 2011, Christiane Taubira se disait « encore » indépendantiste. « Moi je n’ai pas un discours indépendantiste, j’ai une pratique militante indépendantiste, ce n’est pas la même chose », nuançait alors la députée. De là à dire qu’elle souhaite toujours l’indépendance de la Guyane, il y a un grand pas qu’un connaisseur de la vie politique franchit : « C’est sa conviction la plus profonde. Elle n’est pas une femme à changer d’opinion sur un sujet comme ça.»

Quand elle est à Cayenne, Taubira ne tient pas en place. Elle participe toujours à la manifestation politique du moment. En juillet 2014, le boulevard Jubelin, l’une des artères principales du centre-ville, prend le nom de « boulevard Nelson Madiba Mandela ». Naturellement, la ministre de la Justice, qui tient l’ancien président sud-africain pour mentor, participe à la cérémonie de dénomination. « Il a fallu l’appeler plusieurs fois pour qu’elle vienne s’asseoir, tout le monde venait lui parler. C’est une femme de proximité quoi qu’on dise », insiste la maire de Cayenne Marie-Laure Phinera-Horth. En novembre 2014, elle fait un bref passage de soixante-douze heures en Guyane, durant lequel elle trouve le temps de voir sa famille, de déposer une gerbe sur le monument aux morts et d’accorder deux interviews aux médias locaux.

Si elle vit loin de ses terres natales, rien de ce qui se passe ici ne lui échappe. « Elle est au courant de tout », assure un habitant du quartier où se trouve la maison de la ministre. « La Guyane, c’est ma terre, celle de mes enfants et je ne peux pas m’en désintéresser ; c’est une passion que je porte en moi », explique-t-elle à la presse locale lors de sa venue en novembre 2014. Depuis Paris, elle n’hésite pas à solliciter les élus locaux pour résoudre des questions guyano-guyanaises. Et vice versa. « Quand elle a besoin que j’intervienne pour quelqu’un, elle m’envoie un SMS. Elle m’a déjà demandé de régler certains problèmes pour des familles spécifiques, détaille l’édile de Cayenne. Christiane est très nationaliste. Elle va toujours défendre un dossier quand les intérêts de la Guyane sont en jeu », souligne-t-elle. La ministre s’est notamment beaucoup investie pour réclamer l’autonomie de l’université de Guyane, qui dépendait de la Guadeloupe. Et elle a obtenu gain de cause.

Mais là encore, Taubira agit seule. Elle ne travaille pas main dans la main avec les parlementaires de Guyane. Ses relations avec eux sont compliquées, voire franchement tendues. L’un d’eux parle d’elle comme de « la cheftaine du ministère de la Justice ». Il redoute de s’exprimer à son sujet : « Elle peut tenter de me mettre des bâtons dans les roues si elle trouve un mot déplacé ou mettre en place des mesures de représailles avec la subtilité qu’il faut. Ses réactions peuvent être très violentes. »

A Cayenne, Christiane Taubira vient aussi voir son fils, Lamine, trente-cinq ans. Lequel a connu quelques difficultés dans sa jeunesse. « Il a été frappé par notre environnement politique, marqué par nos engagements », estime Roland Delannon. C’est le seul des quatre enfants Delannon qui a vécu la période de clandestinité de son père et de semi-clandestinité de sa mère, à quelques mois à peine. « C’était un bagarreur », se souvient l’un de ses anciens professeurs au collège. Lors des émeutes de Cayenne en 1996, Lamine est arrêté avec une montre volée dans un des nombreux magasins pillés. A dix-sept ans, il écope d’un rappel à la loi et d’une inscription de l’affaire dans son casier judiciaire. « Ça l’a empêché de poursuivre ses études », déplore aujourd’hui son père.

A plusieurs reprises dans son autobiographie, Taubira parle de sa culpabilité de mère absente. « Sans jamais leur demander, avec leur permission car ils ne se sont jamais braqués, j’ai pris à mes enfants plus que les mots ne sauront jamais traduire », écrit-elle. Elle leur a dédicacé son livre paru en 2012 : « A vous quatre, Lamine, Nolywé, Diawara, Djamila pour votre courage et votre générosité, et pour avoir veillé sur moi, tôt, bien mieux que je n’ai su veiller sur vous. » « Elle a toujours tenté de compenser du point de vue matériel. Tant qu’elle peut, elle les emmène en vacances, elle leur offre des cadeaux », confie son ancien mari.

Pour l’instant, sa fille aînée Nolywé, trente-trois ans, poursuit ses études au Canada, tout comme son autre fils, Diawara, vingt-huit ans. Son fils Lamine travaille à Cayenne. Djamila, la benjamine de vingt-six ans, est avec sa mère à Paris. La ministre de la Justice a aussi deux petits-enfants. Lamine a eu une fille, Djamila un garçon. Il arrive même que ce dernier, âgé de quatre ans, se balade dans les couloirs de l’hôtel de Bourvallais, place Vendôme, lorsqu’il rend visite à sa grand-mère.

Extrait de "Le mystère Taubira-La vérité derrière l'icône", publié chez Plon, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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