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Syrie : le nombre de morts évoqué est-il vraiment fiable ?
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Grand flou

Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), 60 000 Syriens auraient déjà été massacrés par le régime de Bachar el-Assad. Mais personne ne peut authentifier de façon fiable les informations de l'OSDH, qui est tout sauf un organisme indépendant.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Depuis le début des révolutions arabes, tout le monde reprend les informations de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) selon lesquelles 60 000 Syriens auraient déjà été massacrés par le régime de Bachar el-Assad et son clan alaouite. Basé à Londres, l’OSDH est en effet devenu la référence quasi unique des journaux et gouvernements occidentaux, notamment pour comptabiliser les morts de la guerre civile en Syrie et pour suivre l’avancée des rebelles. Pourtant, personne ne peut authentifier de façon fiable les informations de l’OSDH, qui est tout sauf un organisme indépendant. On se souvient que l’OSDH avait largement relayé la fausse information sur la mort de la jeune Syrienne Zainab al-Hosni, devenue depuis un emblème de la répression, mais réapparue peu de temps après... Parmi les autres intox grossières de l’OSDH, citons aussi celle du 22 juillet 2011, lorsque l’observatoire assura sans compter que les manifestants anti-Assad réunis dans les villes de Syrie dépassaient de loin le nombre total des habitants des villes citées... Les "bilans chiffrés" des "victimes d’Assad" qui ne reposent que sur des réseaux informels ou autres réseaux sociaux fort partisans, sont donc plus que sujets à caution. Ainsi, dans l’émission Bibliothèque Médicis, diffusée sur Public Sénat le 26 janvier dernier et consacrée à l’intervention française au Mali et à la guerre civile en Syrie, Jean Pierre Elkabach a posé la bonne question : "qui est derrière l’OSDH" ?

L’OSDH reconnaît s’appuyer sur des vidéos YouTube, des messages facebook, téléphoniques, Ipad ou autres postés par 200 "correspondants bénévoles" (militaires, médecins ou militants de l’opposition) présents dans toutes les zones de combat. Mais on se demande premièrement comment ceux-ci peuvent quadriller tout un pays, filmer sans être tués des heures durant, puis franchir les barrages et lignes de front. Ensuite, les témoignages vont tous dans un même sens : la diabolisation d’Assad et la sanctification des rebelles sunnites (Frères musulmans ; milices salafistes et ASL), ce qui pousse l’OSDH à passer sous silence tous les massacres de chrétiens ou d’Alaouites ou autres carnages commis par les rebelles sunnites. En fait, l’OSDH est géré par deux activistes sunnites : un directeur, Rami Abdel Rahman, ancien vendeur de vêtements, de son vrai nom Oussama Ali Suleiman, puis son assistante, traductrice et porte-parole, Hivin Kako. Abdel Rahman, qui fut incarcéré en Syrie dans le passé pour violences anti-gouvernementales commises au sein de groupes islamistes, aime à faire oublier son passé, depuis qu’il s’est installé en Suède puis à Londres, et se présente volontiers comme un "journaliste indépendant". Son ancien collaborateur, Moussab Azzawi, ex-coordinateur de l'OSDH, affirme qu’il n'est pas du tout journaliste et qu’il n’est pas qualifié pour remplir un rôle de gestion objective de l’information. Moussab Azzawi, qui a quitté l'organisation en 2011 et gère depuis un site concurrent, accuse Rami Abdel Rahmane d'usurper le site de l'OSDH, d'être incapable de communiquer professionnellement en anglais, et de n’être animé que par la recherche d’un poste au sein d’un futur gouvernement Frères musulmans.

Comme nombre de membres de cette organisation, Rami Abdel Rahmane se défend d'appartenir aux Frères musulmans. Mais le directeur du groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo), Fabrice Balanche, confirme que l'OSDH "est un instrument de propagande favorable aux Frères musulmans", qu’il est fortement soutenu par Al-Jazeera sur le plan logistique, et donc par le Qatar, parrain des révoltes arabes et des Frères musulmans, et il explique que "les pertes de l’armée syrienne sont gonflées" par l'OSDH. Ces observations sont confirmées par l’expert du Moyen-Orient, ancien de la DGSE, Alain Chouet, qui rappelle que l'OSDH est "clairement financé par des fonds saoudiens et qataris" et qu’il est "une émanation des Frères Musulmans syriens". Toutefois, ce que l’on ne peut pas retirer à l’OSDH et à son directeur Abdel Rahman, est que nous avons bien affaire non pas à une organisation de défense des droits de l’homme indépendante, mais bien à une structure de lobbying particulièrement efficace au service des révolutionnaires islamistes. Rappelons que Rahman a présenté une thèse à l’université d’Orebro en Suède sur "les services d’information sur internet au Moyen Orient" et les réseaux sociaux (comme Global Voices), puis a participé aux programmes de l’Institut suédois YLVP (Young Leaders Visitors Program - Programme pour les Visiteurs Jeunes Dirigeants) axés sur "l’étude des médias sociaux comme outils de changement socio-politique positif dans leurs contextes respectifs". Rahman est donc un parfait "opinion maker" et il possède une excellente connaissance des technologies internet et vidéo qu’il utilise de façon remarquable pour diffuser sa propagande des Frères musulmans et de la rébellion anti Assad.

En réalité, personne ne sait combien de personnes ont été tuées en Syrie, reconnaît un haut fonctionnaire des Nations unies.Plus largement, les chiffres des morts durant les guerres sont presque impossibles à connaître de manière fiable. Par exemple, les estimations pour la Seconde Guerre mondiale varient selon les méthodes et les sources, entre 40 et 70 millions de victimes, ce qui n’est pas rien. Celles de la guerre civile au Guatemala oscillent entre 100 000 et 250 000 morts et de la guerre civile algérienne entre 100 000 et 200 000. Les chiffres des morts au Kosovo (1998), sont passés de 100 000, avant l’intervention punitive de l’OTAN, qu’il fallait bien justifier "moralement", à 3 500 civils kosovars, une fois l’émotion médiatique retombée et le "travail" de liquidation de la "grande Serbie" accompli… Pour l’intervention Irak en 2003, les chiffres ont varié entre 120 000 et un million (presque de 1 à 10) de personnes tuées depuis mars 2003, date du début de l’intervention américaine contre le régime de Saddam Hussein. On se rappelle aussi de l’intox sur les "armes de destruction massives" de Saddam… ou de l’armée irakienne "troisième armée du monde"… On se rappelle aussi de la façon dont les médias occidentaux diabolisèrent le Shah d’Iran avec l’intox des 300 000 morts de la Savak, la police secrète iranienne (chiffre divisé par 100 après la victoire de Khomeiny, en qui nos intellectuels tiersmondistes voyaient une version islamique du Che ou de "l’anti-impérialisme".

Il est vrai que pour renverser un régime, la première bataille à gagner est la "guerre des représentations" (GDR), qui consiste à mobiliser les troupes rebelles (les "bons") et l’opinion publique, tout en diabolisant le camp "méchant" et en lui faisant perdre ses appuis Le fait que la plupart des médias et gouvernements occidentaux, et même les Nations unies, donnent autant de crédit à un organisme activiste aussi peu fiable que l’Observatoire syrien des droits de l’homme est riche d’enseignements : comme en ex-Yougoslavie, en Irak ou en Libye, les Etats occidentaux, encore très marqués par la Guerre froide et décidés à démanteler les derniers régimes pro-russes dans le monde, perpétuent leur alliance cynique avec les pétromonarchies du Golfe, parraines des islamistes, elles-mêmes décidées à démanteler les derniers régimes arabes à la fois pro-russes et anti-islamistes comme l’Irak hier et la Syrie aujourd’hui. De même que les Jihadistes anti-russes d’Afghanistan, ancêtres d’Al-Qaïda, furent considérés comme des "combattants de la liberté", de même l’Occident voit dans les islamistes syriens de nouveaux "freedom fighters". Mais jouer avec le feu a un prix : qu’il s’agisse du 11 septembre 2001 hier ou du Mali aujourd’hui, dommages collatéraux de cette alliance contre nature.

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