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Syrie : frapper Bachar El Assad soit. Mais quid des Russes, Iraniens et autres Turcs solidement ancrés sur le terrain ?
©ABDULMONAM EASSA / AFP

Frappes chimiques en Syrie

Après les fortes suspicions de frappes chimiques en Syrie par le régime de Bachar el-Assad, Moscou ne compte pas lâcher son allié, au moins pour un temps.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Comment anticiper une réaction russe face aux éventuelles prochaines frappes occidentales en Syrie. Peut-on estimer que la Russie ne cherche pas l’escalade et quels sont les éléments qui pourrait le justifier ?

Alexandre del Valle : Je pense que la Russie ne cherche aucune escalade. La Russie est la première ennuyée avec cette opération (l'attaque chimique dans la Ghouta orientale, NDLR). La Russie défend son allié, Bachar el-Assad - ou plutôt, son allié le régime syrien -, puisque la doctrine de la Russie n'est pas du tout la même que celle de l'Occident. La doctrine de la Russie est : on maintient un régime qui est notre allié puisqu'il y a des bases russes en Syrie. Et tant que le mandat du président Bachar el-Assad n'est pas terminé, on n'a pas d'états d'âme, on ne va pas lâcher un allié avec qui nous avons des intérêts, juste parce que cet allié a fait des choses pas bien. 

C'est une vision cynique de la géopolitique, mais fondée sur les intérêts. Les Occidentaux sont aussi cyniques que les autres, mais sont pris aussi par des considérations comme l'opinion et l'émotion. Et ils savent que Bachar el-Assad n'est pas l'ennemi de l'Occident, puisque ce sont les djihadistes qui nous agressent, et non Bachar el-Assad. Mais les Occidentaux, eux, ont du mal à définir clairement l'ennemi, puisqu'ils doivent réagir à l'émotion, qu'ils font du droit-de-l'hommisme, qu'il y a des opinion makers. 

La Russie n'a aucun intérêt à avoir utilisé des armes chimiques, mais elle ne peut pas lâcher son allié puisqu'elle ne raisonne pas comme l'Occident, de manière moraliste ; mais de manière cynique : elle a un allié, il peut faire ce qu'il veut tant qu'il ne trahît pas les Russes. Nous, Occidentaux, avons du mal à comprendre que le fait que la Russie défende son allié ne veut pas dire qu'elle est d'accord avec tout ce qu'il fait. Aujourd'hui, dans les négociations pour la paix en Syrie, pour essayer de préparer une transition après le mandat de Bachar el-Assad, la Russie est très irritée en interne, mais elle ne va pas l'étaler sur la place publique. 

Dans les négociations internes entre Turcs, Iraniens, régime syrien et Russes, les Russes sont très énervés par le fait que les Iraniens et leurs milices chiites (Hezbollah) d'un côté, et le régime de Bachar el-Assad de l'autre, n'ont pas la même conception de l'après-guerre-civile, de la Syrie de demain. Les Russes veulent une relative alternance, avec un départ négocié de Bachar el-Assad remplacé par un autre alaouite ; tandis que le régime n'a aucun intérêt aux pourparlers de Genève en vue d'une solution consistant à trouver un accord avec les Occidentaux. Et c'est là qu'il faut comprendre le bombardement chimique : les responsables sont sûrement des milices pro-régime syrien - pas forcément iraniennes - qui ont intérêt à ne pas obéir aux Russes. Les Russes ne sont pas du tout responsables de cette attaque et, très probablement, ils en sont la première victime puisqu'ils sont discrédités dans leur rôle d'élément qui parle avec tout le monde (n'oublions pas qu'ils ont de bonnes relations avec les Israéliens). Ils n'ont pas du tout intérêt à faire capoter un plan de sortie de crise, puisque la guerre leur coûte cher et qu'ils veulent en sortir. 

Le régime syrien fait plus moins ce qu'il veut, parce que les Russes contrôlent le ciel syrien, mais ne contrôlent pas tout. On oublie que les Russes, les Syriens et les Iraniens n'ont pas toujours les mêmes visions de l'après-guerre ou de la guerre, ni les mêmes tactiques.

Comment anticiper l’ampleur de la riposte occidentale ? Quelles seront les réactions à attendre de la part de la Syrie, l’Iran, et la Russie ? 

L'erreur de l'Occident est de confondre quelqu'un qui fait des choses pas belles avec un ennemi. Qui est l'ennemi de l'Occident, aujourd'hui dans notre guerre contre Daech et les djihadistes ? Ce n'est pas seulement Daech, c'est le djihadisme en général, parce qu'il n'y a pas que Daech, mais aussi Al-Qaïda et d'autres groupes djihadistes comme ceux de la Ghouta, qui ne sont pas des anges. 

Aujourd'hui, les Occidentaux défendent des gens à la Ghouta qui ont obligé les civils qui sont morts asphyxiés à ne pas partir. Le régime syrien, les Russes et les Iraniens, avec les Turcs, avaient négocié des zones de déconfliction. Et Douma, la Ghouta, était la quatrième zone de déconfliction, où il était prévu d'évacuer non seulement des miliciens qui allaient vers Idleb, mais également des civils. Il ne faut pas oublier que les premiers responsables des morts sont les islamistes djihadistes de mouvements qui sont encore présents, qui n'ont jamais voulu appliquer les accords de déconfliction et qui maintiennent comme boucliers humains les civils à la Ghouta et à Douma. C'est dans ce contexte qu'on peut comprendre ce qu'il se passe. À qui profite, finalement, les attaques chimiques ? À un seul groupe : aux djihadistes qui sont encore le dernier groupe présent sur place, Jaych al-Islam (l'armée de l'Islam, ndlr). C'est à lui que profitent ces attaques, puisque le but, c'est de se poser en victime pour que les Occidentaux viennent amoindrir la progression du régime dans le dernier bastion islamiste de la Ghouta. 

En termes de réactions, le ciel syrien est contrôlé par les Russes. Aujourd'hui, il n'est pas possible, ni pour les Américains, ni pour les Anglais ou les Français - ni même pour Israël -, de faire une guerre qui renverserait Bachar el-Assad. Il n'est possible que de faire des frappes qui seraient de la représaille de communication. Aujourd'hui, on est en train, une fois de plus en Syrie, de préparer des bombardements qui vont coûter des millions, voire des milliards, aux Occidentaux - donc aux Français aussi -, et qui ne vont pas du tout changer la donne. Elles vont être une façon d'affirmer : "On avait dit qu'il y avait une ligne rouge, donc on est obligés de frapper". Mais, comme Trump l'a fait l'an passé, on frappe pour donner l'exemple mais en réalité, on ne change pas la situation sur le terrain.

Au regard de ces éléments, quelle serait la meilleure solution pour les Occidentaux, tout en respectant leurs objectifs de faire respecter leur voix ?

Malheureusement, et les Occidentaux ne l'ont pas fait depuis longtemps, la seule solution qui aurait dû être adoptée depuis le début de la guerre civile aurait été de mieux dialoguer avec les différents partenaires, avec toutes les parties en présence. On aurait dû accepter les propositions des Russes, des propositions inclusives que l'on a refusées systématiquement. On n'aurait pas dû considérer l'opposition sunnite islamiste comme la seule représentante de l'opposition en Syrie. On aurait dû faire autre chose que d'écouter uniquement les Qataries et les Saoudiens, qui ont globalement imposé une opposition islamiste alors qu'il y avait d'autres mouvances. 

Ce qu'il faudrait faire, c'est une plus grande intelligence avec les Russes, car ce sont les seuls qui dialoguent aujourd'hui avec tout le monde, y compris la Syrie, l'Iran, Israël, l'Occident, la Turquie. Aujourd'hui, c'est la seule puissance qui dialogue avec tous ces partenaires opposés entre eux. Donc, on est train de diaboliser l'élément qui a peut-être un pouvoir de nuisance, mais qui est le seul qui, aujourd'hui, est capable de réunir tout le monde autour d'une table. Depuis le début de la guerre civile, voilà l'erreur qui est commise. La meilleure solution, c'est de trouver un accord avec les Russes plutôt que de réhabiliter la Guerre froide, qui se passe notamment en Syrie.

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