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Surfer, c’est tromper ? Les conséquences juridiques de la décision de la Cour de cassation sur l’échangisme en ligne et les obligations du mariage
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Cocu 2.0

Un époux a obtenu le divorce aux torts exclusifs de son épouse, au motif que celle-ci s'était rendue sur des sites échangistes et avait échangé des mails à caractère explicite avec plusieurs hommes. Si de tels cas sont de plus en plus courants, la preuve, elle, reste toujours compliquée à rapporter.

Nicolas Graftieaux

Nicolas Graftieaux

Maître Nicolas Graftieaux est spécialiste en droit de la famille. Il a d’abord exercé son activité au sein d’une banque privée, pour ensuite intégrer le département famille/patrimoine d’un  cabinet parisien et bénéficie à ce titre d’une approche pluridisciplinaire dans les domaines du droit de la famille, des successions, du patrimoine, de l’immobilier et des affaires. Il anime par ailleurs régulièrement colloques et formations auprès de ses confrères autour de ces thèmes.

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Atlantico : La Cour de cassation a récemment fait savoir dans un arrêt que la seule recherche de relations sexuelles par l’intermédiaire de sites internet peut justifier  que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs de celui ou celle qui s'y rend. Tant qu’il n’y a pas eu consommation de la part de l’un ou l’autre des conjoints, peut-on vraiment dire qu’il y a faute ? Pourquoi ?

Nicolas Graftieaux : Cette décision renvoie à une question fondatrice : qu'est ce qu'une faute dans le mariage ? Pour la société ? Pour chacun d'entre nous ?  La loi a tenté de synthétiser cette ambivalence (appréciation sociale et personnelle) en combinant dans l'article 242 du Code civil la notion générale de "devoirs et obligations du mariage" et un critère plus personnel puisque le comportement dénoncé doit rendre "intolérable le maintien de la vie commune" du couple.
En l'occurrence, c'est la décision de la Cour d'appel attaquée qui nous livre le contexte : le couple était marié depuis 18 ans, a trois enfants dont deux mineurs ; ces derniers avaient fait l'objet d'un placement chez leur père en 2010 car leur sécurité et leur éducation n'était plus assurées au domicile de la mère. Enfin, le père est militaire de carrière. En résumé et en caricature : mariage long, enfants mineurs, carence maternelle et statut social rigoriste.
La faute, ensuite : il est reproché a l'épouse d'avoir surfé sur des sites échangistes, envoyé des photos intimes et surtout d'avoir cherché à  planifier des "relations masculines multiples". C'est à dire des relations sexuelles impliquant plusieurs partenaires en même temps. 
La réponse : oui il y a faute selon les juges qui ont pu estimer que dans ce contexte, pour le mari, la recherche - même non concrétisée - de ce type de relations sexuelles était constitutif d'une faute.

Peut-on parler, dans une certaine mesure, de procès d’intention ? Comment être certain que la personne mariée qui consulte un site échangiste poursuit réellement l’objectif de passer à l’acte ?

C'est exactement et au premier sens du terme un "procès de l'intention". Pour le mari, la simple existence de la démarche, concrétisée et prouvée par des échanges de mails, de photos etc., est suffisamment intolérable et fautive pour justifier le divorce. Au fond, peut importe qu'elle ne soit pas passée à l'acte. C'est la recherche en elle-même de ces relations qui est fautive.

La difficulté réside ensuite dans la preuve de la "sincérité" de la démarche. La consultation de ce genre de sites peut relever d'une simple curiosité qui rendrait plus difficile (mais probablement pas impossible) la caractérisation d'une faute.

Si le fait  de se rendre sur un site échangiste rend "intolérable" le maintien de la vie commune, est-ce à dire qu’il faut légiférer sur ces sites internet ? Ne proposent-ils pas un service qui, par nature, va contre les obligations du mariage ?

Tout d'abord, quelle que soit la position de chacun sur ces sites, il me semble que les interdire relève d'une immixtion grave de la moralité dans l'espace privé. Il relève de la liberté et la responsabilité individuelle de les fréquenter ou pas. Ensuite, on l'a vu, c'est aussi le fonctionnement et la propre moralité du couple qui guide l'appréciation de la faute. Peut importe que la société désapprouve  


Avec le développement de sites échangistes, ou extraconjugaux comme Gleeden, le nombre d’affaires de ce type est-il appelé à augmenter ? Ne devient-il pas beaucoup plus facile de prouver l’infidélité (ou les tentatives), grâce notamment aux échanges de mails et à l’historique de navigation ?

La première admission des SMS dans le cadre des divorces (cour. cassation du 17 juin 2009) remonte effectivement à Neandertal maintenant ! Oui, désormais l'infidélité est plus aisée, elle est aussi plus traçable et la preuve électronique est protéiforme : virements bancaires, mails, inscriptions sur site, mémoire cache des ordinateurs, historique de navigation ou de connexion, etc. Reste à voir ce que les juges admettront comme preuves recevables. Sur ce point, le code civil nous dit "qu'Un époux ne peut verser aux débats un élément de preuve qu’il aurait obtenu par violence ou fraude". En pratique, cela veut dire que je ne peux aller chercher des informations sur l'ordinateur ou la boîte mail personnelle de mon conjoint ni ouvrir son courrier propre. Voilà qui complique la tâche...

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