Surchauffe économique aux Etats-Unis : la BCE va-t-elle tomber à nouveau dans le piège américain ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les chiffres de l’emploi aux Etats-Unis pourraient entraîner une hausse des taux de la Fed en juin. La BCE va-t-elle adopter la même politique ?
Les chiffres de l’emploi aux Etats-Unis pourraient entraîner une hausse des taux de la Fed en juin. La BCE va-t-elle adopter la même politique ?
©Daniel ROLAND / AFP

Hausse des taux

L’économie américaine a créé beaucoup d'emplois au mois de mai, ce qui pourrait pousser la Fed à augmenter ses taux. La situation est passablement différente en Europe, mais la BCE a montré jusqu’à présent qu’elle était plutôt encline à suivre l’exemple américain.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Les bons chiffres de l’emploi aux Etats-Unis laissent penser une hausse des taux de la Fed en juin. Faut-il craindre que la BCE soit suiviste en la matière ?

Don Diego de la Vega : Il faut reprendre chaque étape. D'abord, je pense que les chiffres de l'emploi aux États-Unis ne sont pas si bons que ça. Alors bon, c'est vrai qu'il ne faut pas regarder les chiffres de façon trop superficielle, car il faut prendre en compte d'autres facteurs comme les créations d'emplois mensuelles dans le secteur privé, qui sont bonnes avec une moyenne de 180 000 chaque mois. Il faut également tenir compte des révisions, mais globalement, elles sont encore positives. Le taux de chômage est bas, mais ces indicateurs sont plutôt retardés. En regardant les indicateurs avancés de l'emploi, on constate une légère détérioration depuis plusieurs mois, notamment en ce qui concerne les heures travaillées. Habituellement, lorsque le marché du travail est en plein emploi et sous pression, les heures travaillées augmentent : il y a un manque d'employés, ce qui pousse les entreprises à faire travailler davantage leurs employés actuels. Or les heures de travail sont orientées à la baisse. De plus, les demandes d'indemnisation chômage augmentent depuis plusieurs mois. Une enquête importante, le JOLTS, fournit des courbes d'activité économique, telles que le taux de départ volontaire et les vacances d'emploi. On commence à observer des ajustements, bien que limités, notamment en ce qui concerne les créations de postes qui sont encore élevées mais commencent à s'ajuster. De plus en plus de personnes commencent à réaliser que ces créations de postes sont en partie artificielles et probablement exagérées. Les employeurs ont rencontré des difficultés pour récupérer les employés qu'ils avaient licenciés pendant la période de COVID, et maintenant, on a l'impression qu'ils créent des postes sans véritable besoin. Si l'on creuse un peu, on s'aperçoit que l'économie est en net ralentissement depuis 15 mois. Les mois à venir risquent d'être assez difficiles, et il est très probable qu'il y ait une correction nette sur le front de l'emploi. Dans quelques mois, il n'y aura plus de création d'emplois du tout et le taux de chômage remontera. Ce n'est d'ailleurs pas moi qui le dit, même les gens de la Fed sont d'accord avec cela. Le débat porte maintenant sur l'ampleur du mouvement. Pour vous donner une idée de cette ampleur, il suffit de regarder les gains de productivité. Aux États-Unis, ils sont négatifs depuis 5 trimestres consécutifs. Cela signifie qu'il y a trop de créations de postes, ce qui n'est pas bon. Habituellement, cela ne se produit pas en période de paix aux États-Unis. La plupart des employeurs ne sont pas philanthropes, ils cherchent à préserver leur taux de marge. Cela fait maintenant cinq trimestres consécutifs que les gains de productivité sont négatifs. Alors pourquoi cela ne se produit-il pas de manière plus abrupte ? Habituellement, ils n'attendent pas mais cette fois-ci, il y a eu l'histoire du COVID et de l'après-COVID, qui a perturbé les habitudes. Sans oublier que le télétravail a bouleversé la donne. En somme, il y a de nombreux facteurs qui font que maintenant, on attend vraiment d'être dans une récession avant de licencier les gens, au lieu de les licencier immédiatement comme c'est généralement le cas aux États-Unis. Cependant, cela va arriver, c’est inévitable. L'emploi n'est pas aussi solide qu'il n'y paraît, et à mon avis, c'est un colosse aux pieds d'argile.

Ensuite, en ce qui concerne la politique monétaire, il est difficile de dire si la FED va effectivement augmenter les taux le 14 juin. Cela dépendra de l'IPC et des informations qui seront disponibles 24 à 48 heures avant la décision. Evidemment, il est assez insensé de fonder une décision sur un indicateur statistique d'inflation tel que l'IPC, il y aurait d'autres indicateurs à prendre en compte. Pour le moment, le marché est un peu confus, il ne donne pas une probabilité de hausse de taux de 100%, même pas de 25 points de base le 14 juin. Le marché est encore divisé et au cours des dix prochains jours, nous verrons bien. De nombreux facteurs seront pris en compte, y compris la publication de l'IPC juste avant la réunion. Donc je ne peux pas dire avec certitude si la FED va effectivement augmenter les taux ou non.

Enfin, il convient de noter que la BCE ne réagit plus de la même manière aux actions de la Fed. La BCE a effectivement été très suiviste en 2022, mais ce n’est plus le cas. Désormais la BCE est autonome dans sa bêtise. Elle est partie sur ses propres rails. Le débat sur la politique monétaire est désormais davantage axé sur des considérations internes au sein de la BCE et la prochaine décision sera sans doute issue de compromis, ou compromissions entre le clan allemand et le clan des personnes raisonnables (les Italiens notamment). Malheureusement, les décisions de la BCE sont basées sur des indicateurs en retard et des considérations d'inflation truquées et d'autres facteurs non économiques.

Donc il n'y a pas de suspense. Ils ont dit qu’ils monteraient les taux à la prochaine réunion, ils le feront. Le seul suspense pour les marchés, c'est de savoir si ce sera accompagné d'un communiqué plutôt « colombe » ou un communiqué plus « faucon ». C'est-à-dire, est-ce qu’il y aura un mot dans le texte, ou dans le jeu de questions réponses avec Christine Lagarde indiquant une orientation future et des gages donnés à l’un des deux camps. Pour le reste, ils vont monter les taux peu importe ce que fait la Fed. On peut toujours leur faire confiance pour s’autonomiser dans la bêtise. En 2022, la BCE a un peu résisté avant de s’aligner complètement notamment pour des raisons de taux de change et des raisons d'orgueil mal placé. Et pourtant, c’est peut-être le moment où il pourrait être bien de suivre la Fed car cette dernière va devoir détricoter ce qu'elle a fait et réduire les taux d'intérêt avant la fin de l'année. La BCE, elle, résistera probablement aussi longtemps que possible en affirmant que l'Europe n'est pas les États-Unis et que son marché de l'immobilier est plus solide, que l'emploi est stable, etc. Christine Lagarde avait dit « nous sommes bientôt arrivés à l’altitude de croisière des taux d’intérêt ». Et ça ne risque pas d’être la Croisière s’amuse. Une hausse de 350 points de base en un an comme nous l’avons connue, dans une zone japonisée comme la nôtre, cela va faire mal. L’addition va arriver en septembre octobre et elle va durer un moment.

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