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Suppression du changement d’heure : cette lourde erreur politique que commet l’Europe en s’emparant de ce type de sujet
©Reuters

Pulsion suicidaire

La commission européenne propose de supprimer le changement d'heure après une large consultation des citoyens européens. Mais le vrai résultat de cette consultation est l'aveu implicite qu'il est impossible d'en organiser une sur des sujets plus importants.

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Atlantico : La commission européenne propose de supprimer le changement d'heure après une large consultation des citoyens européens. Une proposition qui nécessite le soutien des 28 gouvernements nationaux et des eurodéputés pour devenir loi. Sur la forme, la Commission souligne que sa proposition est le fruit d’une importante consultation des populations européennes. Qu’en penser ?

Bruno Alomar : Si elle le dit. Il serait bien de l’étayer. Au-delà du cas d’espèce, comme souvent, la réalité est plus nuancée.

D’abord, contrairement à ce que l’on pense, la Commission, si elle est peu/insuffisamment démocratique dans sa composition, s’efforce déjà dans son action au jour le jour de prendre en compte les avis des populations. 

C’est le cas lors de l’adoption d’une proposition de directive ou de règlement, qui s’effectue à l’issue d’un long travail de consultation de ce que nous appelons la société civile, et ce que les anglo-saxons appellent les « stakeholders ». Ainsi, la Commission, avant de proposer une norme, rédige des documents (Livres Verts, Livre Blancs etc.), qu’elle soumets à consultation publique et à commentaires. 

C’est aussi le cas lorsque la Commission fait usage du plus puissant de ses pouvoirs : le droit de la concurrence. Elle ne prend jamais de décision dans le domaine des abus de position dominante, des cartels, des fusions, sans avoir eu recours à ce que l’on appelle le « test de marché ». Il s’agit de questionnaires envoyés aux entreprises, souvent très détaillés, par lesquels la Commission confronte son analyse avec ce que pensent les acteurs de marché. Il s’agit aussi d’auditions publiques. La raison pour laquelle elle se comporte ainsi est simple : comme elle agit comme un juge de premier ressort, les droits de la défense des parties doivent être protégés, et celles-ci doivent pouvoir s’expliquer. Ne pas le faire, pour la Commission, c’est s’exposer à voir ses décisions cassées par le juge européen, ce qui est la pire des choses qui puisse lui arriver.

Les entreprises et les administrations des Etats membres savent bien ceci. Cela dit, les vraies raisons de la posture de la Commission dans cette affaire de changement d’heure sont autres : elle veut coûte que coûte répondre aux reproches de manque de démocratie et d’éloignement des citoyens européens qui lui sont faits. Sur ces deux aspects, extrêmement vastes, l’on peut formuler quelques remarques.

Sur le manque de démocratie, il s’agit ici de la question de la démocratie directe. Le Traité de Lisbonne a prétendu réduire le fameux « déficit démocratique » - notion qui en réalité passe à côté du vrai sujet qui est la façon dont les grands Etats sont lésés au détriment des petits – en créant, entre autres, l’Initiative citoyenne européenne (ICE). Elle permet à un minimum d'un million de citoyens issus d'au moins un quart des États-membres de l’Union d'inviter la Commission à présenter des propositions d'actes juridiques dans des domaines relevant de sa compétence. La Commission ne l’a jamais fait.

Sur la question de l’éloignement, là encore il faut être nuancé. Il est inéluctable que les Institutions européennes soient éloignées des citoyens, et ce reproche est identique aux Etats-Unis où la critique de Washington est un serpent de mer. Tout est question de mesure. Il est vrai que les institutions européennes sont très/ trop éloignées des citoyens. Comment ne pas le constater quand les Institutions  européennes se sont montrées si incapables de voir arriver hier le Brexit, aujourd’hui de prendre la mesure d’un choc migratoire qu’elles nient, demain de prévoir l’arrivée de telle ou telle crise ? C’est inéluctable de la part d’institutions composées d’hommes et de femmes qui, à plus de 90%, une fois rentrés dans la fonction publique européenne, n’en sortiront jamais avant de prendre leur retraite.

Revenons au fond : est-ce une bonne idée de proposer une telle harmonisation ? 

L’Union européenne, par construction, est mue par la dialectique que résume bien sa devise : « Unie dans la diversité ».

D’un côté, il est logique que la plus fédérale des institutions européennes, désignée par le Traité comme en charge de l’ « intérêt général européen », propose des mesures qui consistent à harmoniser la vie des européens, c’est-à-dire des mesures qui homogénéisent leurs conditions de vie. Pour reprendre la fable de La Fontaine du scorpion et de la grenouille, la Commission, c’est sa nature, fait ce qu’elle sait faire : harmoniser. Au Conseil et/ ou au Parlement européen de rejeter ou non sa proposition.

D’un autre côté, l’intrusion de plus en plus grande des institutions européennes dans la vie des européens est devenue insupportable. Elle n’en a certes pas le monopole : la suradministration est un fait de notre époque, et l’on se souvient de l’exclamation de George Pompidou, il y a de l’ordre d’un demi-siècle, au moment de signer un décret de trop : « arrêtez d’emmerder les français ! ». La Commission Juncker, malgré ses limites et ce qu’il faut bien considérer comme son échec global, en a d’ailleurs eu conscience puisque dès le départ, il a été question de se concentrer sur certains sujets, et qu’une série d’initiatives législatives issues de la précédente Commission Barroso a été abandonnée. C’était une bonne analyse.

Mais la question, je crois, est beaucoup plus profonde : jusqu’où le processus d’harmonisation doit-il aller sur un territoire, l’Union européenne, composé d’Etats dont les langues, les géographies, les cultures, les histoires, sont aussi différentes ? Avons-nous fait l’Europe pour que l’on décide d’interdire tel ou tel fromage, ou le snus ? C’est, je crois, une question qui fâche d’autant plus les pays qui ont une grande culture, c’est à dire une grande diversité en leur propre sein. Pour la France, trop harmoniser, c’est vraiment sacrifier une partie de qu’elle est pour se dissoudre dans une moyenne – une médiocrité – européenne. 

Enfin, qu’il soit permis de soulever un paradoxe : les fédéralistes européens n’ont de cesse, depuis l’expression de Churchill « les Etats-Unis d’Europe », de prendre l’Amérique comme totem. Mais aux Etats-Unis, la peine de mort existe dans un Etat fédéral, et elle est proscrite dans l’Etat voisin, sans que personne ne s’en étonne ! Dans un tel contexte, la question des « valeurs » telle qu’elle se décline en matière institutionnelle (question polonaise) ou migratoire (Orban, Salvini etc.), à quelque chose d’assez dérisoire…pour ne pas dire idéologique de la part de la Commission. De même l’idée selon laquelle la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) de Strasbourg, qui n’est pas l’Union européenne mais dont cette dernière applique le droit, décide si des parents ont le droit ou non de flanquer une fessée à leurs enfants, ou si le droit britannique a raison, dans certains cas, de priver de droit de vote des personnes incarcérées.

Dans un tel contexte, l’harmonisation de l’heure d’été/ heure d’hiver est-elle une priorité ? N’ y a-t-il pas d’autres choses plus importantes à faire ?

Bien sûr que si ! C’est bien la question fondamentale ! Celle des priorités ! Mais là encore, il faut être nuancé.

Les anti-européens auront beau jeu de souligner l’ampleur des défis beaucoup plus importants auxquelles l’Europe est confrontée : la faible croissance potentielle ; le niveau de chômage, en particulier dans la génération sacrifiée depuis 2008 au sud de l’Europe ; la question migratoire qui est en train de détruire l’Union de l’intérieur ; la question de l’Islam et de la laïcité ; le vieillissement de la population européenne ; l’incapacité de l’Union à définir des stratégies qui se tiennent face aux Etats-Unis et aux émergents, bien décidés à nous supplanter etc.

Tout ceci est vrai. Et la Commission a sûrement mieux à faire que de s’occuper de l’heure. Mais en disant cela, il ne faut pas tomber dans le piège usuel qui consiste à faire semblant que l’Union européenne dispose  des moyens de répondre à ces défis. C’est faux. L’Union européenne ne dispose en réalité que de très peu de moyens. Les compétences fédérales sont rares (monnaie, concurrence, commerce). Elles sont tributaires de la convergence de vue des Etats membres, qui est de plus en plus difficile à obtenir, en particulier pour ce qui concerne un couple franco-allemand qui n’existe plus vraiment. Surtout, et c’est le principal : l’essentiel des politiques publiques, y compris économiques, reste bien de la compétence des Etats-membres. 

Dans ce contexte, la question centrale est : l’Union européenne met-elle ses pouvoirs au service des bons combats ? Et si elle le fait bien et est capable de le démontrer, les européens comprendront qu’ils ont intérêt à renforcer ses pouvoirs. On en est loin…

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