Crise
Super profiteurs…! ou pas totalement ? Tout pour comprendre l’évolution des revenus de Total et autres géants de l’énergie
Total est régulièrement accusé de faire des super profits. Qu'en est-il réellement ?
Damien Ernst
Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.
Jean-Jacques Handali
Jean-Jacques Handali est directeur et administrateur de Cosmopolis Conseil, une société basée à Genève.
Atlantico : Comment se fixent les revenus de Total ?
Damien Ernst : Le gain majeur de Total est fait lors des activités d’exploration de Total Énergies, l'exploration gazière et pétrolière. Un pétrolier où un gazier signe des conventions avec les pays dans lesquels ils exploitent ces dernières. Il y a des pourcentages de gains qui sont indexés sur le prix du pétrole ou du gaz qui reviennent à l’état où l'exploitation a lieu. Et dans ces pays-là ces sociétés sont soumises à l'impôt du pays. Par exemple, 100$ de baril c’est 30$ ou 40$ qui vont revenir au pays, puis les taxes sur ces bénéfices en vigueur dans le pays. Et c’est cela qui forme la partie qui revient au pays. Il faut savoir qu'une compagnie comme Total Énergies est toujours inquiète de produire à perte. Typiquement ce sont des entreprises qui en dessous de 25 ou 30 dollars le baril ne font pas de bénéfices.
Lorsque le baril est vendu à 100$ sur la moyenne de l'année, ça génère des bénéfices plantureux mais soulignons encore qu'une partie retourne aux États sur lesquels l'exploitation est faite.
Cette partie constitue une part très significative des bénéfices générés sur un baril de pétrole.
Une autre partie des bénéfices de Total est liée aux activités de trading de gaz et de pétrole ou d'énergie électrique. Les raffineries de Total génèrent également de grosses marges. Et il y a une autre source d'argent qui vient des services comme les pompes à essence mais ce sont des marges très faibles voire nulles. Pour ces raisons, les profits faits en France sont faibles. Taxer les surprofits de Total est donc difficile car il ne peut pas y avoir de double imposition. Les activités de Total en France sont principalement du tertiaire, avec le siège social et les pompes à essences. La véritable source de profit française, ce sont les raffineries.
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Jean-Jacques Handali : Cette question réapparait à chaque crise de l’énergie, tel un rappel de vaccin contre le Tétanos après une chute à vélo. Il y a chez chaque contribuable comme un cynisme à revisiter ses vieilles douleurs!
Dans la situation actuelle, est-ce que Total et autres géants de l'énergie ont augmenté leurs marges ou ont-ils juste bénéficié de l'envolée des prix ?
Damien Ernst : Ils ont surtout bénéficié d'une envolées des prix. Au niveau de la France, ils ont réalisé dans leurs stations quelques petits gestes envers les consommateurs -qui ne sont pas énormes- ça leur coûte quelques centaines de millions d'euros. Leurs marges ont donc été réduites dans ce secteur. En ce qui concerne la fourniture d'électricité, je pense même qu'ils sont en pertes. En Belgique et en Allemagne, ce sont des entités qui font des pertes. Donc malgré tout, ils font peu de marge. Les raffineries font exception car il y a un manque de capacité de raffinage au niveau planétaire.
Jean-Jacques Handali : Les marges de raffinage de TotalEnergies ont triplé en trois mois. Tous les autres acteurs du secteur ont bénéficié du même phénomène porteur. Le prix moyen de vente de pétrole du géant français a atteint 102,9 dollars par baril en 2022, en hausse de 14,2% sur trois mois et de 64% sur un an. Ses marges de raffinage, qui gravitaient autour de 10.5 dollars par tonne sur l’ensemble de l’année 2021, sont passées à 46,3 dollars au premier trimestre 2022 puis à 145,7 dollars par tonne. Fichtre!
Total a communiqué sur le salaire moyen de ses salariés. Est-ce que les salariés de Total sont mieux ou moins bien traités en comparaison à d’autres dans le même secteur ?
Damien Ernst : Ces entreprises subissent aussi cette loi de l'offre et de la demande au niveau des employés donc je trouve qu'ils sont quand même bien payés dans le secteur de Total énergies. On ne peut dire qu'il y a une exploitation des salariés. Ce n’est pas une société qui fait de la traite de travailleurs et qui les paye vraiment mal, elle s'aligne sur les salaires des sociétés du pays. On a quand même l'impression que dans les pays dans lesquels elles sont implantées les salariés sont contents de rentrer dans ces compagnies. Total a une éthique qui fait en sorte de respecter la législation du travail et ne va pas dans des pays en voie de développement pour flouer les salariés. On ne peut donc dire que cette boîte-là ait une politique salariale qui soit particulièrement critiquable et c'est pour ça qu’ils n’ont pas de gros problèmes de recrutement.
Mais il est clair que du côté employé il y a une sorte de frustration parfois qui se crée parce qu’ils voient que les bénéfices de la société ne sont pas en adéquation avec leur niveau de salaire.
C'est un mouvement social classique qui s'impose dans les boîtes. Quand des entreprises font beaucoup de bénéfices, il y a des mouvements sociaux créés pour avoir des augmentations de salaire au travers de personnes qui sont syndiquées. Les employés savent que si l’activité de la société s’arrête, elle va perdre beaucoup d'argent. Cela donne plus de voix aux mouvements sociaux. Mais ce ne sont pas des mouvements sociaux créés à cause de mauvaises conditions des travailleurs. C’est toute la nuance.
Jean-Jacques Handali : On communique beaucoup sur les salaires en ce moment chez TotalEnergies! La direction a récemment donné l’exemple d'un salaire mensuel de 5’000 euros (primes comprises) réglé à un opérateur de raffinerie. La CGT conteste cette référence, avançant à son tour un chiffre moyen de 2’500 ou 3’000 (début ou fin de carrière).
Dans les profits réalisés par total, quelle part est dédiée aux dividendes, et quelle part à l’investissement ?
Damien Ernst : C’est environ 50/50. La rémunération des actionnaires se fait désormais sous forme de dividendes et de share buy-back (rachat d’actions). Les pétroliers, partout dans le monde, n’ont pas énormément augmenté leurs dividendes mais ont augmenté leurs programmes de rachat d’actions. Cela leur permet d’assurer, dans le futur, des dividendes constantes. Il est aujourd’hui difficile de rassurer des investisseurs pour un contexte d’image, de transition énergétique, etc. Il y a une crainte de Total énergies de ne plus pouvoir assurer ce niveau de dividendes à l’avenir, donc ils se préservent avec le rachat d’actions. Les 50% de profits restants sont utilisés pour la pérennisation des activités et aussi, pour moitié, dans des investissements nouveaux : exploitation de gaz, énergies renouvelables, biogaz, ventes de commodités électriques, etc. Total a investi aussi dans les batteries, l’hydrogène et dans les panneaux PV au travers de Sunpower. Mais bien sûr ils continuent aussi d’investir dans le pétrole tout en cherchant à diminuer leur production d’ici 2030. Il est difficile de présenter le pétrole comme un produit d’avenir, mais ils doivent continuer d’investir pour assurer la demande actuelle et future. A ce titre, Total, comparativement à d’autres pétroliers comme Exxon, joue plutôt bien la partition de la transition énergétique.
Jean-Jacques Handali : Dividendes et investissements, ce sont là deux volets aussi déterminants l’un que l’autre.
Si l’on regarde sur le temps long, quelles ont été les évolutions respectives des dividendes et des profits ?
Damien Ernst : Les profits de Total ont commencé à exploser en 2021 et c’est encore plus le cas en 2022. Mais en 2020 et 2019, ils étaient très mauvais, car le prix était très faible. Un pétrolier dans les mauvaises années ne fait pas beaucoup d’argent. L’action de Total avait beaucoup chuté pendant le Covid. Le mécanisme de génération de profit de ces boîtes est historiquement assez cyclique, parfois haut, parfois bas.
Jean-Jacques Handali : Presque toujours en hausse.
En définitive, peut-on considérer que Total Energies et les autres géants de l’énergie sont des super profiteurs ?
Damien Ernst : Ce ne sont pas des super-profiteurs. Ils jouent les règles du marché. Mais il est clair qu’ils font des profits élevés, mais pas de manière déloyale. Ils répondent au jeu du marché. Ils ne pratiquent pas le capacity witholding par exemple. A contrario, l’OPEC manipule clairement les prix en diminuant sa production.
Ce qui est certain, c’est que les employés de raffineries sont aujourd’hui dans une bonne position pour négocier de meilleurs salaires. Le mouvement social qui s’est créé est en cela assez naturel.
Jean-Jacques Handali :
Quels sont les risques à accuser Total d’être des super-profiteurs ?
Damien Ernst : Cette politique de dénonciation de Total Energies fait en sorte que le groupe risque de se liquéfier à la fin, comme EDF. Et cela créera une situation encore pire au niveau énergétique. On ne construit pas assez avec les sociétés qui sont championnes dans le domaine de l’énergie en Europe. On les considère trop comme des adversaires, une sorte de mal contre lesquels il nous faut lutter qui accentue cette crise énergétique.
Jean-Jacques Handali : C’est là le commentaire des jaloux! Le pétrole est une énergie mondialement
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