Super Mario (Draghi) : comment la BCE pourrait bien être en train de sauver le bilan économique de François Hollande<!-- --> | Atlantico.fr
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Mario Draghi et François Hollande.
Mario Draghi et François Hollande.
©REUTERS/Philippe Wojazer

La dernière chance

Indicateurs PMI, INSEE, BCE... les prévisions économiques pour la France se révèlent plutôt optimistes. Reste à savoir si cela pourra sauver le quinquennat de François Hollande.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : De nombreux indicateurs anticipent une reprise d’activité en France en cette fin d’année 2015? Cette reprise  est-elle durable ? A qui en revient réellement la paternité ? Entre les actions menées au niveau national, et les politiques entreprises à l’échelon européen ?

Christophe de Voogd : La réponse à cette question ne me paraît guère discutable, car purement logique. Etant donné que la France fait moins bien en matière de croissance que la moyenne de la zone euro depuis 2013, c’est que les actions menées au niveau national ont eu un effet négatif, puisque les données macro européennes s’amélioraient dans le même temps avec le progressif « alignement des planètes » (baisse des taux, de l’euro et du pétrole). La vraie anomalie est donc : pourquoi ce retard de la reprise d’activité chez nous par rapport à nos concurrents qui la connaissent depuis déjà au moins deux ans, à la faveur de la nouvelle politique de la BCE ? Même les pays en profond « ajustement » comme l’Espagne, le Portugal, l’Irlande font mieux que nous en termes de croissance et de création d’emplois. Donc pourquoi si tard et pourquoi si peu ? That is the question ! Et d’ailleurs nous n’en sommes qu’à l’amélioration des indicateurs avancés : la traduction sur la croissance et surtout le chômage se fait encore attendre.

Nicolas Goetzmann : En effet, en l’espace de quelques jours, de nombreux indicateurs positifs ont été publiés. L’INSEE annonçait cette semaine que le climat des affaires français était au plus haut depuis l’année 2011, notamment dans le secteur des services. De la même façon, les PMI (indices de directeurs d’achat) publiés ce 23 octobre par Markit signalent une expansion de l’activité en France, et une amélioration des perspectives d’activité. Mais les indicateurs concernant la zone euro sont également favorables, et font état d’un « renforcement de la croissance » au sein du continent, et ce, dans une ampleur plus importante que pour la France prise isolément. Il existe donc une direction générale positive, mais celle-ci est à l’avantage de la zone euro par rapport à la France, pays qui reste malgré tout un maillon faible de cette reprise.

Face à un tel contexte, il est logique et confortable pour le gouvernement français de revendiquer la paternité de la reprise, mais cela ne rend pas l’argument plus crédible pour autant. Car la reprise européenne précède la reprise française, et ce, principalement en raison des moyens d’action qui ont été mis en place au niveau européen. C’est-à-dire le plan d’assouplissement quantitatif de 1100 milliards d’euros qui se distille peu à peu au sein de la zone euro depuis le mois de mars 2015. A moins de prétendre que le CICE oui la loi Macron sont les moteurs de la croissance de la zone euro, la stratégie de récupération déployée par le gouvernement ne tient pas. D’autant plus, encore une fois, que les montants en jeu ne sont pas comparables. Parce que la somme consacrée à la France par la BCE, au titre des rachats d’actifs, dépasse les 200 milliards d’euros. Ainsi, et même si la politique gouvernementale a bien des effets, la reprise constatée sur le continent européen découle principalement de la politique monétaire européenne, et donc de l’action mise en place par Mario Draghi. Et le gouvernement français ne fait que surfer politiquement sur son action. 

Depuis le début du quinquennat de François Hollande, comment faire la part des choses ? Le président français peut-il être crédité d’une influence majeure sur l’évolution de la politique européenne ?

Christophe de Voogd : Il y a eu quasi-concomitance entre l’élection de François Hollande et les débuts de la nouvelle politique monétaire européenne: de cette concomitance la tentation est grande (et naturelle) d’imputer celui-ci à celle-là. Mais tous ceux qui connaissent un peu les origines et les mécanismes des décisions de la BCE savent que les revendications françaises n’y sont pour rien. Ceci dit, la position française a facilité les choses à Draghi notamment dans son bras de fer avec les Allemands, y compris au sein de la BCE, d’autant que les Italiens ont pesé dans le même sens. Et puis comment en vouloir au pouvoir en place d’utiliser cet heureux timing à son avantage ? Tout autre gouvernement en ferait autant.

Nicolas Goetzmann : A l’inverse d’un Nicolas Sarkozy qui a été contraint de subir la politique monétaire « restrictive » de Jean Claude Trichet tout au long de son quinquennat, dont, notamment, les erreurs manifestes de 2008 et 2011, François Hollande bénéficie des avancées réalisées par Mario Draghi, qui avait pu reprendre la Présidence de la Banque centrale européenne à la fin de l’année 2011. Ironiquement, ce sont les membres de la BCE nommés sous la présidence Sarkozy, c’est-à-dire le français Benoît Coeuré et l’italien Mario Draghi qui sont les principaux instigateurs de la reprise européenne. Ce qui bénéficie directement à la Présidence Hollande. Mais en raison de l’indépendance de l’autorité monétaire européenne, le Président français ne peut influer sur les décisions du conseil des gouverneurs. Du moins officiellement, puisqu’il est évident que le ministre des finances, Michel Sapin, est en liaison régulière avec Benoît Coeuré. Mais tour à tour, les dirigeants français subissent les effets des politiques menées par la Banque centrale, que celles-ci soient favorables ou défavorables. Pour François Hollande, il suffit de saisir sa chance.

Mais en l’espèce, ce sont bien les efforts de Mario Draghi qui sont à l’origine de la reprise européenne. Si le continent bouge encore, c’est grâce à lui, même s’il est évidement souhaitable d’en faire encore plus. Il avait déjà pu mettre fin à la spéculation anti-euro au cours de l’été 2012, en indiquant qu’il « ferait tout »  pour sauver la monnaie unique, avant de parvenir à retourner, en partie, le conseil des gouverneurs de la BCE pour enfin mener une politique expansionniste. Et ce, malgré la ferme opposition du patron de la Bundesbank, Jens Weidman. Mario Draghi est un ancien élève du M.I.T (Massachussets Institute of Technology), au même titre que l’ancien patron de la FED, Ben Bernanke, du Prix Nobel d’économie Paul Krugman, ou de l’ancien chef économiste du FMI, Olivier Blanchard, dont il partage les mêmes approches, c’est-à-dire une vision bien plus favorable à la relance monétaire que l’ancienne équipe dirigeante de la BCE. Si les choses bougent encore trop lentement, si les actions doivent aller beaucoup plus loin, le dogme de la rigidité absolue est en train de prendre l’eau, et cela est une bonne nouvelle.

Une telle amélioration, laissant entrevoir la possibilité d’une inversion de la courbe du chômage, est-elle susceptible de sauver le quinquennat de François Hollande ?

Christophe de Voogd : Il faut faire toute sa place à la fameuse « fortuna » chère à Machiavel qui vient sourire à Hollande après avoir fait la grimace à Sarkozy : ce dernier avait eu un « revers de fortune » en fin de quinquennat avec la reprise de la crise ; celui-là peut espérer un mieux pour son dernier round. « Dura lex sed lex » de la politique depuis toujours : le Prince doit avoir de la chance ! La question demeure de savoir si François Hollande saurait faire face à une vraie tourmente économique comme l’a fait Nicolas Sarkozy en 2008. C’est là que se mesure la « vertu » (virtù) du Prince selon Machiavel.

Or justement le problème avec dame Fortune c’est son caractère changeant ! Quid de la Chine ? Du ralentissement de la croissance mondiale ? Des risques d’explosion de la bulle financière, revers funeste du quantitative easing ? Et de tant d’autres facteurs plus politiques, notamment au Moyen- Orient qui peuvent peser sur les 18 mois à venir ? On peut en tout cas faire confiance à François Hollande, avec l’appui de la plupart des médias, pour présenter son bilan dans un an sous le jour le plus rose. Une baisse du chômage en 2016, même faible, comme le prévoit l’UNEDIC lui permettrait d’afficher in extremis un meilleur résultat sur ce point que son prédécesseur : et c’est l’essentiel, d’abord pour justifier sa candidature.

Nicolas Goetzmann : Selon les annonces faites ce jeudi 22 octobre, il est désormais très probable de voir la BCE intensifier son action dès le mois de décembre de cette année. La reprise arrive, mais elle est toujours jugée insuffisante par certains membres de la BCE, qui vont tenter de faire passer une prolongation ou augmentation du plan d’assouplissement quantitatif déjà en place. Dans un tel cas, au niveau national, les retombées sur l’activité seront favorables et devraient commencer à produire des effets rapidement. Ce qui signifie que l’inversion de la courbe du chômage est à portée de main pour le pays, mais aussi pour François Hollande. Il est évident que le Président français va chercher à s‘approprier les lauriers de cette politique, cela est de bonne guerre. Cependant, au regard des projections des « prévisionnistes » de la BCE, le taux de chômage européen devrait rester durablement élevé. L’inversion de la courbe du chômage est attendue pour les prochains mois, mais celle-ci ne permettra pas de résorber l’ampleur de la hausse depuis le début du quinquennat. Le bilan total des cinq années ne pourra donc pas être favorable, il ne s’agira que d’une tendance.  Il appartient dès lors aux électeurs de juger de l’action de son exécutif sur une tendance, ou sur un bilan.

Au regard des autres thèmes qui se dessinent pour les élections présidentielles, François Hollande peut-il compte sur la seule situation économique pour espérer une victoire aux prochaines élections ?

Christophe de Voogd : C’est une question capitale : tout porte à penser que d’autres enjeux seront en haut de l’agenda des présidentielles, notamment les questions migratoires et identitaires. Le grand paradoxe c’est qu’elles seront (seraient) d’autant plus en lumière que les choses seront (seraient) meilleures sur le plan économique ; c’est exactement le scénario de 2002. Autrement dit et quitte à surprendre, François Hollande pourrait faire les frais d’une détente sur le front économique…d’autant que le PS, pris entre ses propres contradictions (cf ; « humanité et fermeté ») et les défis à traiter d’urgence, n’a plus ni crédibilité ni discours clair sur ces autres questions.

On connaît le théorème de Laurent Fabius : « celui qui fixe l’agenda gagne les élections ». Cette fois-ci, personne ne fixera l’agenda car la période est exceptionnelle et c’est l’actualité mondiale qui le fera. Mais nul doute que Marine le Pen soit la mieux à même d’en profiter : jusqu’à quel niveau ? Tout dépendra de la capacité de la gauche à reformuler sa doctrine; et de la droite républicaine à reformuler les positions encore bien distantes de ses leaders. Cela ne veut nullement dire un alignement sur les thèses FN, mais des propositions politiques claires et crédibles, que la « tradition républicaine » pourrait aisément offrir, à condition qu’on ne lui fasse pas dire n’importe quoi…

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