Subventions à l’industrie : l’Europe entre naïveté et complexe d’infériorité<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron était aux Pays-Bas ce lundi.
Emmanuel Macron était aux Pays-Bas ce lundi.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Subventions à l'industrie

Emmanuel Macron était aux Pays-Bas lundi pour tenter d’en convaincre le premier ministre de se rallier à son plan de soutien à l’industrie européenne suite aux milliards injectés par les Etats-Unis dans la transition verte.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Pierre Beyssac

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac est Porte-parole du Parti Pirate

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Atlantico : Y-a-t-il un sens à vouloir répondre à l’Inflation Reduction Act de Joe Biden par un équivalent européen ?

Alexandre Delaigue : L’Europe s’appuie, dans son fonctionnement interne, sur les règles du commerce international dans le cadre de l’OMC. On y trouve notamment un dispositif contre les discrimination et le traitement national. Il faut traiter les entreprises étrangères comme les nôtres. C’est une règle de l’OMC et de l’UE, qui y a vu une base d’opportunité pour un marché commun. L’Europe a donc toujours respecté ces règles. Elle s’est alarmé que Trump ne les respecte pas, mais a blâmé sa personnalité. Aujourd’hui, l’administration Biden fait la même chose d’ostensiblement discriminatoire sur la favorisation des entreprises. Et l’Europe se dit, si les Etats-Unis le font, pourquoi pas nous. Il est important de préciser que dans les propositions de Biden, il y a plein de dispositifs dont nous disposons déjà en Europe. Mais cet Inflation Reduction Act n’est pas une bonne chose pour les Etats-Unis, puisque c’est la preuve de l’échec politique américain. Il y a certains élus qu’on ne peut convaincre, acheter même, que comme ça, en leur permettant de garantir des emplois à leur électeurs. Les Français et les Européens sont jaloux de ce qui est en fait un dysfonctionnement du système américain.

Don Diego de la Vega : L’Amérique est de plus en plus protectionniste, peut-être, mais :

a/ cela implique de sortir des mesures habituelles, celles de l’univers physique du XXe siècle (sinon, que l’on m’explique leur déficit commercial énorme et croissant, et alors même qu’ils n’importent plus d’hydrocarbures en net), pour se diriger vers des mesures en valeurs et non plus en volumes, avec une meilleure prise en compte des variables immatérielles et financières que dans la comptabilité ordinaire (Apple n’est pas qu’un revendeur de produits chinois), ce que l’on nomme la « matière noire » des échanges. Alors dans ce cadre-là, effectivement, les excédents US posent question, même s’ils passent plus par le dollar et par les normes que par les instruments traditionnels du protectionnisme, les gros sabots des droits de douane et des subventions.

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b/ cela n’a presque rien à voir avec la nature de leur force, née du libre-échange intérieur (un grand marché dès la fin du XIXe siècle) et de la flexibilité du marché du travail, et améliorée ces derniers temps par leur place directrice dans les flux globaux immatériels (sur les 8 ou 10 techno-seigneurs qui dominent les nouveaux fiefs algorithmiques, 8 ou 10 sont américains). A chaque fois que l’Amérique a tenté le protectionnisme (sur l’acier, puis sur l’automobile, etc.), elle l’a payé très cher, mais c’est un luxe qu’elle estime pouvoir se permettre, pour de sombres raisons d’économie politique (rassurer le fermier, cajoler le syndicaliste, etc). Leurs entrepreneurs font tellement d’argent qu’ils peuvent se permettre les bêtises collectives les plus folles, les nôtres sont trop peu nombreux surtout dans les secteurs d’avenir pour que l’on duplique tous ces tirages de balles dans le pied.

La « subvention massive » peut-elle fonctionner ?

Alexandre Delaigue : L’externalisation s’étant d’abord faite à des fins de rentabilités, il peut être pertinent, au départ, d'avoir des subventions comme incitation au retour. C’est l’argument de l’industrie dans l’enfance. Mais le risque c’est que l’industrie dans l’enfance devienne l’industrie Tanguy, qui ne devient jamais autonome et continue d’être nourrie aux subventions. Il faut donc que le dispositif incitatif soit capable d’être contraignant et puisse résister au chantage à l’emploi du type : « je suis une grosse industrie, je fournis beaucoup d’emplois ». Ou alors comme dans le cas du cinéma : en cas de bons résultats, il faut des subventions pour nous féliciter. Et quand ils sont mauvais, il faut des subventions pour éviter la disparition de l’industrie. Il faut réussir à éviter ces canards boiteux incapables de s’en sortir par eux-mêmes.

Mais la vraie question, c’est celle du partage des gains de productivité en Europe. On le voit avec Airbus dont une bonne partie de la chaîne de production est dictée par des décisions politiques. Le partage entre des entreprises européennes ou des Etats européens qui coopèrent via des chaînes de valeurs n’est pas immédiat. Cela va poser des questions et au moins dans un temps provoquer des ralentissements. Par ailleurs, aujourd’hui, il n’y a pas de consensus sur la direction à prendre en Europe. C’est vrai pour de nombreux points, à commencer par la question énergétique. Savoir si on veut produire plus d’énergie ou stabiliser notre consommation n’est déjà pas consensuel, alors savoir ce que serait un système énergétique optimal, n’en parlons pas : pronucléaire ou anti et si on arrête le nucléaire, quoi pour le remplacer, etc. Par exemple, hormis la France, personne ne veut des EPR 2. Même chose pour la filière des véhicules électriques : les pays sont en concurrence et les Etats vont favoriser les entreprises nationales. Donc une réindustrialisation européenne est bien plus facile à dire qu’à faire.

La planification, c’est très bien quand vous savez où vous allez. Si vous avez un objectif et voulez mobiliser des ressources ensemble, il faut être rationnel et à ce titre, la planification marche sans doute mieux que la coordination par le marché. Mais le problème, c’est que dans de nombreux domaines, nous ne savons pas où nous allons.

Récemment la société Ormelia Web Industrie a débuté la campagne marketing de sa WaouW Box, un data center au format mini pour TPE et PME soutenu par le ministère de l'environnement. Ce projet est-il concrètement viable et à la hauteur de ses promesses ?

Pierre Beyssac : L'offre est très classique, fondée sur des logiciels libres (Wordpress, Joomla, Only Office, etc) et du matériel informatique léger (Raspberry) de bonne réputation, revendus dans une offre assez onéreuse, et promeut la décentralisation de nos données.

La nouveauté de cette box est surtout dans son marketing, qui surfe sur la vague verte. Elle promet une empreinte environnementale réduite par rapport aux centres de données centralisés classiques, avec des affirmations aussi audacieuses que douteuses : son impact serait 4000 fois moindre que de l'hébergement classique. Les chiffres réels ne semblent pas du tout cohérents avec cette promesse.

Si la décentralisation de notre informatique est une mesure souhaitable et saine pour réduire l'influence des gros acteurs, elle peut avoir un coût environnemental par perte des effets d'échelle et de mutualisation que permettent les centres de données. Il est donc difficile de la proner sous couvert de protection environnementale sans fournir d'élément sérieux pour l'étayer.

L'équilibre du projet semble délicat : le site web laisse entendre, sans l'affirmer clairement, qu'il est en partie subventionné par les pouvoirs publics et la région. Il fait également miroiter aux PME qui s'en serviraient des aides publiques des régions pour payer la facture. Ces aides financières, qui visent à favoriser la transition numérique des PME/TPE, ne sont cependant pas du tout liées à ce produit particulier.

Il est difficile de préjuger de la viabilité du projet, tout dépend du succès qu'il rencontrera.

D'autres projets comme celui de la WaouW Box qui sont subventionnés par l’État ne sont pas viables et ne répondent pas aux problématiques pour lesquelles ils sont subventionnés, pouvez-vous nous citer (et détailler) des exemples actuels et passés de projets comme celui la ?

Pierre Beyssac : On peut citer par exemple il y a quelques années, dans l'initiative French Tech, l'exemple du "slip français antiondes", fondé sur la peur des ondes électromagnétiques, une peur qui ne s'appuie sur aucun élément scientifique. Là aussi la nouveauté était purement marketing, sur une technologie dont l'utilité réelle n'était pas du tout prouvée.

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