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Steve Coll : "La guerre d’Afghanistan a évolué vers une impasse d'intensification de la violence"
©NOORULLAH SHIRZADA / AFP

Dead End

Lauréat de deux Prix Pulitzer, auteur de plusieurs best sellers, ancien correspondant du Washington Post et du New Yorker, Steve Coll répond aux questions d’Atlantico sur l’embrasement afghan.

Steve Coll

Steve Coll

Steve Coll est un journaliste américain, universitaire et exécutif. Il est actuellement le doyen de la Columbia University Graduate School of Journalism. Récipendiaire de deux prix Pulitzer et de multiples autres distinctions, il a écrit plusieurs ouvrages, dont Directorate S: The C.I.A. and America's Secret Wars in Afghanistan and Pakistan et Ghost Wars: The Secret History of the CIA, Afghanistan, and Bin Laden, from the Soviet Invasion to September 10, 2001.

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Atlantico : Avec plus de 1700 morts civils depuis le début de 2018, cette année est la plus meurtrière depuis 10 ans. Selon l'Inspecteur général spécial pour la reconstruction de l'Afghanistan, les forces gouvernementales contrôlaient 56% des districts, contre 14,5% pour les talibans. Comment évaluez-vous la situation actuelle dans le pays? Comment évolue l'équilibre des pouvoirs ?

Steve Coll : La guerre est entrée dans une impasse d'intensification de la violence. Les Talibans restent impossibles à éradiquer car ils sont implantés dans d'importantes secteurs du pays, qu'ils bénéficient d’une certaine crédibilité locale et d’un pouvoir de coercition, et qu'ils profitent également du refuge et du soutien que leur donne le Pakistan. Ainsi, les derniers combats à Ghazni ont révélé que certains Talibans tués étaient des paramilitaires issus du "Pakistan Frontier Corps". Que cela soit confirmé ou non, il ne fait aucun doute que la profondeur de leur sanctuaire, le traitement médical, la formation et la rotation dont bénéficient les talibans au Pakistan contribuent à leur résilience. Pourtant, les Talibans ne peuvent pas atteindre leur objectif, qui est de se saisir de grandes villes ou de menacer de prendre le contrôle de Kaboul, car ils n’ont pas les moyens de riposter aux forces aériennes et aux avantages technologiques fournis au gouvernement afghan par les États-Unis et les alliés de l’OTAN. Il existe différentes estimations concernant cette question relative à l'étendue de territoire contrôlée par l'un ou l'autre camp - ce n’est pas une science exacte - mais dans l’ensemble, cette carte de l’impasse n’a pas beaucoup changé depuis une décennie.

Dans quelle mesure la stratégie américaine a-t-elle changé depuis l'arrivée au pouvoir de Donald Trump? Avec quels effets? Comment évaluez-vous l'évolution de cette stratégie en fonction des faiblesses que vous avez pu décrire dans "Directorate S", principalement concernant le Pakistan?

Je pense qu'il y a globalement plus de continuité que de changement. L'Administration Trump citerait plusieurs changements: 1) Aucun délai n'a été annoncé pour se retirer de l'Afghanistan, une volonté de combattre les Talibans aussi longtemps que cela sera nécessaire pour imposer un règlement politique négocié. 2) Faire pression sur le Pakistan en suspendant les aides et 3) Assouplir les règles de guerre, dont le principal résultat a été de lâcher plus de bombes sur l’ennemi que par le passé. Les erreurs sont inévitables et la montée en puissance des bombardements aériens est une des raisons pour lesquelles les pertes civiles ont augmenté. Même si bien sûr, selon l'ONU, les Talibans sont responsables de la majorité des victimes civiles de la guerre. L’émergence d’une branche de l’État islamique dans l’est de l’Afghanistan a ajouté violence et complexité à une guerre qui était déjà suffisamment violente et compliquée.

Que pouvons-nous attendre de l'évolution de la situation à moyen terme? Quels sont les risques de voir la situation se dégrader davantage?

La seule manière de limiter la violence et de stabiliser l’Afghanistan passe par des négociations politiques, comme celles qui ont abouti à un bref et bienvenu cessez-le-feu en début d'année. La guerre ne peut être gagnée militairement par les deux parties, du moins aussi longtemps que Washington voudra garder ce cap. En théorie, il est dans l’intérêt de tous les pays qui entourent l’Afghanistan d’empêcher une guerre civile totale, encore plus violente, laquelle se répercutera inévitablement sur leurs pays. La Chine, le Pakistan, la Russie et l’Iran bénéficieraient tous d’un règlement politique qui permettrait également aux États-Unis de réduire ou même d’éliminer sa présence militaire dans le pays. Pourtant, le Pakistan a été prudent quant à une implication sérieuse dans un tel processus. Le nouveau Premier ministre, Imran Khan, a plus ou moins dit les bonnes choses depuis son élection, mais il n'est pas vraiment responsable de la politique étrangère du Pakistan. Cette responsabilité appartient à l'armée et aux services de renseignement, I.S.I (Inter-Services Intelligence), qui semblent vouloir appliquer la même politique de soutien secret aux Talibans, en quête de progrès militaires en Afghanistan, qu'ils mènent depuis plus de dix ans. Et à ce propos, il s'agit en réalité de la même politique que la C.I.A., les services d’intelligence de l’Arabie saoudite, et  l'I.S.I. pakistanais menaient dans les années 1980 pour vaincre l'occupation soviétique de l'Afghanistan.

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