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Si la situation ne s’améliore pas, des entreprises comme Uber pourraient aussi devenir des proies et faire l'objet d'un rachat par d'autres entreprises en quête de diversification.
Si la situation ne s’améliore pas, des entreprises comme Uber pourraient aussi devenir des proies et faire l'objet d'un rachat par d'autres entreprises en quête de diversification.
©ROBYN BECK / AFP

Renouveau

Pour les entreprises de la Silicon Valley, il est peut-être temps de trouver un nouveau modèle économique et financier.

Julien Pillot

Julien Pillot

Julien Pillot est Enseignant-Chercheur en économie (Inseec Grande Ecole) / Chercheur associé CNRS.

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Atlantico : Certaines compagnies de VTC, comme Lyft mais aussi Uber, ne parviennent pas après plusieurs années à trouver un modèle économique stable et viable. Comment l’expliquer ? D’autres entreprises sont-elles dans une situation similaire ? 

Julien Pillot : Ces compagnies ont basé leur stratégie sur une croissance internationale. Contrairement à des entreprises classiques, elles ont le monde entier pour marché potentiel, ce qui occasionne des besoins très importants en capitaux. Les frais fixes consistent à développer les plateformes, et les frais variables dépendent des différentes localités d’implantation. Chaque nouvelle localité est un nouveau marché à conquérir, avec une concurrence locale à battre, et des coûts d'acquisition (de chauffeurs et d'utilisateurs) importants.

Pour financer leur croissance, ces entreprises ont donc besoin d’énormément de cash et d’investisseurs solides et stables. Dès lors que ces investisseurs commencent à se poser des questions sur la capacité de ces grandes entreprises à être rentables de façon pérenne, ils sont susceptibles de revoir leurs stratégies d'investissement, ce qui met en péril ces compagnies. 

Les entreprises qui font partie des NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) sont dans cette situation. Leur dénominateur commun est d’avoir attiré pendant des années des investisseurs persuadés que ces entreprises deviendraient à terme des acteurs dominants et incontournables de leurs marchés respectifs. Ces investisseurs ont donc investi - parfois très tôt - en espérant un retour sur investissement, soit par la valorisation du titre des ces sociétés, soit par la perspective de juteux dividendes liés à des années de domination économique promises à ces entreprises. Si certains investisseurs entrés de façon précoce au capital de ces entreprises ont effectivement pu gagner beaucoup d'argent du fait de la valorisation de leurs titres, ceux qui ont misé sur une rentabilisation par le versement de dividendes ont, pour l'heure, quelques raisons de déchanter tant la performance économique réelle des NATU est aujourd’hui remise en question. Pour l'heure, ces entreprises qui se sont largement développées sur de la dette n’ont, en effet, pas toujours réussi à démontrer leur capacité à dégager une rentabilité économique durable... alors que les investisseurs, dans un contexte de retournement de conjoncture économique, commencent à perdre patience...

Les investisseurs sont donc essentiels pour ces entreprises. Dans quelle mesure les taux d’intérêts relativement faibles ont aidé ces grandes entreprises à tenir ces dernières années ?

Quand les taux d’intérêt sont bas, l’investissement est favorisé car l’argent "ne coûte rien". De plus, ces faibles taux d’intérêts sont les conséquences de politiques de relance très accommodantes menées par les banques centrales, comme la Fed ou la BCE. Le but était de soutenir l’économie après la crise des subprimes et celle de la Covid-19. En somme, cette économie sous perfusion, avec des taux d’intérêt bas, a permis de générer des liquidités qui se sont retrouvées entre les mains de nombreux investisseurs. Les valeurs sur les marchés financiers en ont profité, notamment le marché technologique, avec le Nasdaq en tête de liste. Des entreprises comme Airbnb ou Uber, perçues - ou présentées - comme étant en mesure de pouvoir monopoliser leurs marchés respectifs très rapidement, se sont donc retrouvées avec des valorisations boursières dantesques. Quand la conjoncture se retourne, comme c’est le cas actuellement, les investisseurs, à la recherche de stabilité, désinvestissent de valeurs jugées risquées pour prendre leurs bénéfices (quand ils ont acheté à pris bas) et éventuellement réinvestir dans des valeurs moins exposées aux risques, notamment les obligations d'état ou certaines matières premières. Pour les entreprises de la tech, et notamment pour celles n'ayant pas su démontrer leurs capacités à dégager des performances réelles intéressantes, et aux fondamentaux plus friables, ce retournement de conjoncture économique peut avoir des conséquences terribles.

Avec la remontée des taux d’intérêt, quel est l’avenir de ces entreprises ? 

Certaines entreprises, comme les GAFAM, ont une trésorerie très importante et des fondamentaux extrêmement solides. Même si leur cours en bourse recule, elles peuvent continuer leurs activités et surtout à investir. Puisqu’elles génèrent des bénéfices années après années, elles ont la possibilité d’encaisser des chocs et ce, de façon prolongée. En revanche, des entreprises comme Uber, qui se sont essentiellement développées sur de la dette, sont bien plus exposées. S’il faut les traiter au cas par cas, les NATU espèrent pourtant dans leur ensemble que le choc récessif et inflationniste, mais aussi que les mesures correctives prises par les banques centrales visant à faire remonter les taux d'intérêt directeurs de façon à lutter contre l'inflation, ne durent pas trop longtemps. 

Comme nous en avons parlé précédemment, les plus gros investisseurs - fonds de pension comme investisseurs institutionnels - ont déjà désinvesti, du moins en partie, avec pour objectif de prendre leurs bénéfices et de se recentrer sur des valeurs moins risquées. Comme ils pèsent collectivement lourds sur le marché, ils ont la capacité d’influer sur les cours de bourse, et leurs retraits simultanés des valeurs de la tech ont fait refluer des indices comme le Nasdaq. Cela envoie un signal d’alarme à tous les petits porteurs, qui sont incités à désinvestir à leur tour... amplifiant de fait la dynamique baissière.

L'avenir des entreprises de la tech diffère donc largement selon que nous sommes face à des entreprises aux fondamentaux très solides, comme les GAFAM, de celles qui, comme les NATU, paraissent moins résistantes. Pour les premières, nul doute que les investisseurs reviendront sitôt que la conjoncture économique sera plus favorable. Non seulement parce que ces entreprises sont - et resteront - largement bénéficiaires, mais aussi car elles ont largement investi dans des secteurs présentés comme les gisements de croissance du 21e siècle : IA, cloud computing, industrie 4.0, fintech & assurtech, cybersécurité, santé connectée... Pour les secondes, l'avenir s'annonce nettement plus incertain.

Etant moins bien placés dans cette période de turbulences, certaines peuvent décider de renoncer à leur indépendance. En fonction de la durée du choc récessif, les dégâts ne seront pas les mêmes. S’il faut serrer la ceinture pendant plusieurs années, ces entreprises peuvent réduire leurs investissements, se séparer de leurs employés … Et si la situation ne s’améliore pas, des entreprises comme Uber ou Netflix pourraient aussi se faire racheter. 

Justement, à plus ou moins long terme, quelles sont les solutions pour ces entreprises à l'avenir plus incertain ?

Il est très hasardeux de répondre à pareille question, car nous ne pouvons prédire la durée et l'ampleur de choc récessif et inflationniste. En fonction de ces paramètres, les dégâts ne seront pas les mêmes. S’il faut serrer la ceinture pendant plusieurs années, ces entreprises peuvent réduire leurs investissements,  se recentrer sur leur coeur de métier et se séparer de leurs employés… Et si la situation ne s’améliore pas, des entreprises comme Uber ou Netflix pourraient aussi devenir des proies et faire l'objet d'un rachat par d'autres entreprises en quête de diversification.

Au-delà de cette première analyse très générale, il faut faire quasiment du cas par cas. La situation de Tesla n’est pas celle de Airbnb, qui n’est pas celle de Netflix. 

À titre d’exemple, le modèle économique de Netflix n’est pas mauvais en soi. Il fonctionnait d'ailleurs très bien dans un univers où Netflix était "seul" sur le secteur, où il pouvait compter sur un très important réservoir de croissance à l'international, et où il lui était possible de se constituer un catalogue à moindre coût car les autres grands studios de cinéma étaient enclins à lui céder des droits d’exploitation de leurs films et série à bon prix. Ce monde a vécu. Les gisements de croissance à l'international se tarissent, et Netflix subit la concurrence d'entreprises qui, pour certaines, sont bien plus diversifiées et puissantes sur le plan capitalistique. Il en résulte des recettes qui ont tendance à progresser moins vite que les coûts, largement tirés par le besoin de productions de films et série en exclusivité. Cet effet de ciseau potentiel pourrait suffisamment inquiéter les investisseurs pour qu'ils désertent progressivement. Le risque pour Netflix n'est pas tant de disparaître - son modèle est rentable - mais plutôt de se faire racheter par un géant qui chercherait à agrémenter un bouquet serviciel d'une offre de streaming déjà bien implantée.

L’histoire Uber est très différente. L’entreprise a financé sa croissance sur de la dette et doit toujours démontrer sa capacité à être rentable dans la durée. Le modèle économique est donc intrinsèquement risqué, où a minima moins performant. D'autant que l'inflation le touche encore plus fortement, avec la hausse du prix des carburants. L'autre motif d'inquiétude des investisseurs concerne l'évolution de la règlementation dans certains gros marchés où Uber est implanté. De premières juridictions ont commencé à questionner la nature du lien entre les plateformes et les chauffeurs, laissant à penser que la relation entre les deux parties est plus proche de celle qui lie un employeur avec des salariés que celle liant un client et ses fournisseurs. Or, si on demande à Uber de salarier ses chauffeurs, la plateforme de VTC pourrait devenir moins compétitive que des acteurs locaux, ce qui pourrait pousser davantage d'investisseurs vers la sortie. 

Bref, au-delà des considérations macroéconomiques d'ensemble, nous voyons bien à travers ces deux exemples que les situations diffèrent très fortement d'une entreprise à une autre et que, s'ils sont très commodes à l'usage, les acronymes tels que GAFAM ou NATU sont surtout susceptibles de nous induire en erreur en nous laissant à penser l'économie numérique comme un monolithe, là où elle devrait être perçue comme un magma fragmenté et plein d'aspérités.

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