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La souveraineté des peuples
est-elle vraiment menacée
par une dictature des marchés ?
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Démocratie et cie

Après Georges Papandréou, les marchés financiers et les agences de notation ont précipité le départ de Silvio Berlusconi et sont remplacés par des technocrates issus du secteur financier. La crise a-t-elle fait perdre aux peuples toute influence sur les décisions politiques ?

Arnaud-Cyprien Nana Mvogo

Arnaud-Cyprien Nana Mvogo

Arnaud-Cyprien Nana Mvogo est analyste financier chez un broker interbancaire.

Il est également chargé de cours au Pôle Universitaire Léonard de Vinci, administrateur du Club des Jeunes Financiers et  bénévole associatif en action sociale.

 

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En quelques semaines, des faits troublants sont venus accréditer l’idée que la souveraineté des peuples est remplacée par la dictature des marchés. D’une part, nous avons eu la concomitance de l’arrivée, en quelques semaines, d’anciens de Goldman Sachs à la tête de la BCE et des gouvernements de Grèce et d’Italie (rejoignant leur collègue du Luxembourg ou du Trésor Américain), à l’issue d’éviction d’exécutifs nationaux sur fond de problèmes budgétaires. D’autre part, jamais l’idée que les agences de notation influent sur le vote des budgets n’a été aussi forte.

La finance, un nouveau Mur de Berlin à abattre ?

Il existe un idéal de démocratie, celui où des peuples libres décideraient collectivement et librement de leur destin, notamment en élisant des représentants chargés de voter le budget des nations et leurs lois, avec le souci de l’intérêt commun. Depuis 1989 et avec l’effondrement du bloc des démocraties populaires socialistes, nous pensions que nous, Européens de l’Ouest, vivions globalement dans de tels régimes et que par conséquent, nous étions bien souverains. Or, c’est au moment où on s’y attend le moins, celui où la démocratie montre des signes de fatigue, que ressort l’expression de souveraineté des peuples. Ça n’est pas insulter nos représentants que de rappeler qu’à la faveur de la progression des médias non mainstream, les pratiques répréhensibles ou du moins contestables d’un certain nombre d’entre eux apparaissent au grand jour : c’est le scandale des notes de frais au Royaume Uni, l’affaire des députés Européens filmés en train de pointer pour toucher leur paye, le maintien au pouvoir d’élus français condamnés par la justice ou les comptes truqués Grecs. De plus, des questions émergent quant à la représentativité des élus en Europe, dans un certain nombre de pays. Nul processus électoral n’est parfait, mais il est clair que les votes majoritaires et non pas proportionnels ne favorisent pas la représentativité du corps électoral, qui, au passage, s’abstient de plus en plus, partout.

Evacuons néanmoins ces deux points et prenons pour acception le fait que globalement, nos élus sont honnêtes et représentatifs de ce que veulent les électeurs (après tout, ils n’ont qu’à aller voter, c’est gratuit !) et penchons-nous sur le sujet de la souveraineté des peuples, exprimée à travers leurs représentants.

Historiquement, les parlements sont nés pour limiter les absolutismes royaux et contrôler la dépense publique. Qu’en est-il aujourd’hui ?

L’examen du processus budgétaire dans un pays comme la France par exemple fait un peu peur : la marge de manœuvre est quasi nulle, en réalité. D’une part, les députés ne peuvent pas décider, d’une année sur l’autre, qu’une mission pour laquelle les contribuables payent puisse être abrogée. Bien que la LOLF ait été mise en place, et c’est un progrès, l’Etat ne fonctionne pas du tout par mission. L'État a, au préalable un appareil administratif, qui existe en dehors des missions à effectuer. Ceci est à la fois lié à la nature, peu flexible, des contrats qui lient l’État à ses employés, mais aussi au manque total de vision stratégique au niveau de l’exécutif. Comment se fait-il que nous préférerions maintenir en service un réseau ferré vieilli, usé et couteux plutôt que de fermer les lignes les moins rentables et d’attribuer des concessions de bus à des entrepreneurs qui veulent les exploiter ? Pourquoi raisonner en terme de nombre de bureau de poste par commune et non pas en terme de bureau de poste par habitants ? Les quatre cinquièmes du budget sont reconduit d’une année sur l’autre, sans parler de la contrainte de la dette publique dont il faut payer les intérêts, et du coup on se dit que la capacité des élus à refléter la volonté populaire est de facto limitée par les contraintes budgétaires.

A la décharge des élus, il faut bien noter que rien ne les incite à réfléchir sérieusement à la nature et au poids de la dépense publique. Il semble plus facile de répondre à une demande minoritaire d’une nouvelle dépense publique dont les bénéfices sont ciblés plutôt qu’à l’impératif de baisse de la dépense publique dont les couts sont répartis sur des contribuables passifs et contraints. D’ailleurs, en matière de dépense publique, dans les pays ultra étatistes tels que la France, la peur règne. Moins de dépense publique se transforme irrémédiablement dans les esprits en une « dégradation certaine du service public » avant même que l’on ait réfléchi au sens et aux objectifs du service public. Mais peut-on parler de souveraineté si la peur gouverne les décisions ?

Le droit français est formel, à ce sujet : les contrats signés sous contrainte sont nuls.Question : Sommes-nous vraiment libres quand nous réclamons toujours plus de dépense publique ?

En outre, il y a quand même un élément, commun à la quasi-totalité des pays européens voire Occidentaux cette fois, à ne pas oublier : l’existence de déficits publics. Tous les ans, les États vivent sur des budgets dans lesquels les dépenses sont systématiquement, et de loin, supérieures aux recettes. Parfois, on se demande vraiment si les électeurs ont conscience de cela, tant c’est choquant. Chacun comprend bien que, si des déficits publics limités et transitoires peuvent s’expliquer, des déficits permanents appellent des questions. Soit il s’agit du fait que les dépenses sont trop élevées, soient que les prélèvements sont trop faibles. En France, la réponse est quasi unanime : les recettes sont trop faibles, puisque les électeurs, le peuple souverain, ne refuse jamais une embauche supplémentaire de professeur, la construction d’une ligne TGV, la mise en place d’une compagnie de CRS ou tout autre dépense appelée à se renouveler année après année. Or, en dépit des allégements de charge et autres options fiscales discutables, il faut bien avoir en tête un fait très clair : les recettes fiscales augmentent d’année en année, en valeur absolue mais aussi relative par rapport au PIB. En clair, l’Etat prélève toujours plus. Ce sont donc les dépenses qui sont excessives et qui surtout progressent trop vite. Pour combler cet écart entre recettes et dépenses, nous nous endettons puisque la différence est empruntée pour couvrir le déficit.

A partir de quel moment la dette devient excessive ?

Il n’y a pas de réponse unique à cette question. Mais ne confondons pas le messager et le message. On vilipende les agences de notation, qui brandissent dans le cas français la menace de la perte du AAA ? La réalité est que la France (ainsi que l’Allemagne, on l’oublie un peu) a elle-même abrogé le Pacte de Stabilité et de Croissance, en septembre 2004, pour franchir la limite de 3% de déficit par rapport au PIB. On accuse les banques qui détiennent des obligations émises par des Etats Européens ? On oublie par la même que tout a été fait, techniquement parlant, pour qu’elles achètent ces dettes publiques et ne s’en séparent pas. On critique les investisseurs dont les exigences vis-à-vis des Etats s’accroissent ? On néglige le fait que par la même, c’est à la valeur de l’épargne des citoyens que l’on s’attaque. Ne nous y trompons pas, les 1%, les hommes et femmes politiques court-termistes qui votent des budgets en déficit, en parfaits Ponce Pilate des finances publiques, sont ceux qui ont trahi la souveraineté des peuples, en cédant à la facilité. La finance n’est qu’une technique, largement perfectible, de transfert des valeurs dans le temps, et d’allocation des actifs. Quand elle est publique (FMI, Club de Paris), les hommes et femmes politiques l’encensent, surtout si les pays restructurés sont d’obscures contrées exotiques type Pérou, Thaïlande ou Argentine. Mais quand elle est privée, ces mêmes hommes et femmes politiques la fusillent, parlant de guerre contre les marchés financiers.

En réalité, rien de nouveau sous le soleil. Quand Philippe IV le Bel s’est dégagé de la contrainte que faisait peser sur le Roi de France l’Ordre des Templiers, qui lui avait prêté, il s’est implicitement prévalu, le 13 octobre 1307, d’une sorte de souveraineté du peuple dont il était le dépositaire en tant que Roi, contre une sorte de dictature des créanciers qu’étaient les chevaliers Templiers (ainsi que les Lombards et les Juifs), trahissant les contrats passés et avalisant sa politique monétaire erratique. Alors, s’il fallait tirer une seule conclusion, elle serait celle-ci : « Peuple Souverain, aide la finance à surveiller celles et ceux qui agissent en ton nom et te représentent,  limite le pouvoir de toutes celles et tous ceux qui ont le Pouvoir. ».

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