Souvenirs d’un chef du protocole : le 50ème anniversaire du débarquement allié en Normandie<!-- --> | Atlantico.fr
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François Mitterrand arrive pour les cérémonies lors de la commémoration du 50e anniversaire du Débarquement, du 06 juin 1994, à Omaha Beach, en compagnie de Bill Clinton et Elizabeth II.
François Mitterrand arrive pour les cérémonies lors de la commémoration du 50e anniversaire du Débarquement, du 06 juin 1994, à Omaha Beach, en compagnie de Bill Clinton et Elizabeth II.
©MARCEL MOCHET / AFP

Bonnes feuilles

Daniel Jouanneau publie « Souvenirs d’un chef du Protocole » aux éditions Plon. Chef du Protocole sous les présidents Mitterrand et Chirac, Daniel Jouanneau se confie pour la première fois sur son métier et livre ses souvenirs. Extrait 2/2.

Daniel Jouanneau

Daniel Jouanneau

Diplomate, Daniel Jouanneau a servi au Caire, au Zimbabwe, en Guinée et à Québec. Ambassadeur au Mozambique, au Liban, au Canada et au Pakistan, il a été chef du Protocole des présidents François Mitterrand et Jacques Chirac avant de diriger l’Inspection générale des Affaires étrangères. Il est l'auteur du Dictionnaire amoureux de la diplomatie.

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C’est l’événement le plus complexe que j’aie eu à organiser en quatre ans de Protocole, et la seule circonstance dans laquelle j’ai mal dormi la veille. Onze chefs d’État, dont la reine d’Angleterre, la reine des Pays-Bas, le président Clinton, Lech Walesa, et cinq chefs de gouvernement étaient présents. Le schéma de la journée était le suivant : les chefs d’État et de gouvernement arrivaient en Normandie en ordre dispersé, certains la veille, d’autres après une étape à Paris. Elizabeth II venait de Portsmouth à bord du yacht Britannia, à bord duquel elle avait invité aussi le grand-duc Jean de Luxembourg, le roi Harald de Norvège, les présidents de la République tchèque Václav Havel et de la République slovaque Michal Kovác, et les Premiers ministres John Major, Jean Chrétien (Canada), Paul Keating (Australie) et Jim Bolger (Nouvelle-Zélande). Ensuite, deux déjeuners parallèles étaient organisés. Les chefs d’État se retrouvaient à la préfecture de Caen pour le repas offert par le président de la République et les chefs de gouvernement à la sous-préfecture de Bayeux, à l’invitation du Premier ministre. Tous se rejoignaient ensuite pour une grande cérémonie militaire sur la plage d’Omaha Beach. Plusieurs cérémonies nationales étaient prévues afin d’honorer la mémoire des soldats de différentes nations, en présence, soit du président de la République, soit de M. Balladur, soit d’un membre du gouvernement : la reine Beatrix des Pays-Bas se rendait au cimetière militaire néerlandais de Pont-Audemer; le gouverneur général et le Premier ministre du  Canada à Courseulles-sur-Mer puis Bény-Reviers; Lech Walesa à Urville-Langannerie ; Harald de Norvège à Villons-les-Buissons. Après quoi, nos invités rentraient chez eux ou regagnaient Paris pour prolonger leur séjour en France.

La préparation de cette journée avait commencé un an plus tôt, sous l’autorité du ministre des Anciens combattants et victimes de guerre, Philippe Mestre, et nous avions eu plusieurs grandes réunions interministérielles à Matignon, sous la présidence de Pierre Mongin. Elle soulevait toute une série de problèmes logistiques, et d’abord celui du transport et de l’hébergement dans la région des milliers de vétérans alliés, âgés, souvent en fauteuil, venus avec leurs familles, mission assignée au ministère des Anciens combattants. Le rôle du Protocole était d’organiser pour chacun des chefs d’État et des Premiers ministres étrangers un programme individuel cohérent avec ceux des autres. Le minutage des cortèges, une vingtaine en tout avec ceux des hautes personnalités françaises, sur les petites routes de Normandie, avait été étudié à fond par le SPHP. J’avais relu très attentivement chacun des programmes. Tout avait été vérifié, revérifié sur le terrain. Mes collaborateurs avaient organisé des missions préparatoires collectives sur place avec les ambassades à Paris concernées.

Mais, dès le matin du jour J, les difficultés commencent. Le président de la République quitte l’Élysée avec un retard de vingt minutes sur l’horaire prévu, impossible à rattraper sur une distance aussi courte que Villacoublay-Caen Carpiquet. Dans l’avion, il m’interroge sur le projet de plan de table que je lui ai soumis pour le déjeuner à la préfecture – ce qu’il n’a jamais fait jusqu’ici pour un repas officiel. «Qui est ce M. Ramon Hnatyshyn ? » Il le sait fort bien : c’est le gouverneur général du Canada. «Comment pouvez-vous placer à la même table la reine du Canada et son obligé ?» Je fais valoir qu’au Canada il a rang de chef d’État, et qu’il est reçu comme tel à l’étranger. Il n’est pas possible de l’inviter au déjeuner des chefs de gouvernement offert par M.  Balladur à Bayeux, et auquel participera son Premier ministre, Jean Chrétien. Le Président n’insiste pas.

À notre arrivée à la base de Carpiquet, où le Président est accueilli par Édouard Balladur, Charles  Pasqua, ministre de l’Intérieur, et Philippe Mestre, mon adjoint Guy Yelda, qui est sur place depuis la veille, me fait part aussitôt d’un problème. Bill Clinton est arrivé tôt le matin pour une cérémonie franco-américaine à la pointe du Hoc, Alain Juppé l’a salué, et le Président doit l’accueillir à l’aéroport de Caen. Mais comme le Président est en retard, Bill Clinton est déjà là, et nous devons éviter l’image du président des États-Unis accueillant le nôtre en territoire français! Je me précipite au-devant de Bill Clinton, qui accepte avec humour d’être mis à l’abri sous une tente, en attendant que la cérémonie d’accueil soit préparée.

Ce problème réglé, un autre survient. L’ambassadeur de Grande-Bretagne, sir Christopher Mallaby, que je connais bien, vient me voir, très tendu. La BBC a prévu de retransmettre en direct, l’après-midi, après l’hommage international d’Omaha Beach, une cérémonie militaire purement britannique, consistant à faire défiler sur la plage d’Arromanches, devant la reine Elizabeth, des unités héritières des régiments qui avaient débarqué le 6 juin 1944. «Il ne vous échappera pas, cher Daniel, que ce défilé ne peut avoir lieu qu’à marée basse, pas quand la mer remonte. Or, nous avons maintenant vingt minutes de retard. J’ai regardé l’horaire des marées. Elles risquent de tout remettre en cause. Comment allez-vous faire pour les rattraper?» Je contacte immédiatement l’intendant de l’Élysée, Patrick Morlot, un grand professionnel, qui a la responsabilité du déjeuner à la préfecture, où il s’est installé la veille. Nous convenons de trois choses : l’apéritif sera réduit à cinq minutes; le fromage sera supprimé; le café sera servi à table. Les vingt minutes étaient rattrapées. Je pouvais rassurer tout de suite le représentant de Sa Majesté : le défilé télévisé pourrait avoir lieu comme prévu.

Une autre difficulté se présente encore avant le déjeuner, et je pense à cette phrase de mon lointain prédécesseur de  la IVe République, Jacques Dumaine : «J’appelle délassement l’intervalle de temps qui me sépare d’un nouvel embêtement.» Le Président et Mme  Mitterrand accueillent leurs invités à l’extérieur de l’hôtel de la préfecture, devant le porche d’honneur. Les cortèges des chefs d’État sont supposés arriver toutes les deux minutes, dans l’ordre de préséance croissant, la reine Elizabeth, la plus ancienne dans ses fonctions, arrivant la dernière. Au début, tout va bien. Soudain, le bel ordonnancement se dérègle. Ce devrait être le tour de Václav Havel, mais plus aucun cortège ne se présente. Le directeur du Service de protection des hautes personnalités, René-Georges Querry, cherche à comprendre pourquoi, et appelle son équipe par radio. Le Président s’impatiente et me fait signe de venir le voir.

A lire aussi : Souvenirs d’un chef du protocole : l’inauguration du tunnel sous la Manche

Extrait du livre de Daniel Jouanneau, « Souvenirs d’un chef du Protocole », publié aux éditions Plon.

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