Sous-emploi record en Europe : après le chômage, l'autre poison silencieux qui traduit l'état réel du marché de l'emploi <!-- --> | Atlantico.fr
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20% de la population active européenne est touchée par le sous-emploi.
20% de la population active européenne est touchée par le sous-emploi.
©Reuters

Déprime cachée

Au delà des chiffres du chômage, le temps partiel contraint et le découragement face au marché de l'emploi gagnent encore du terrain. C'est bien 20% de la population active européenne qui est touchée.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Selon les chiffres publiés par Eurostat ce 23 janvier, la zone euro compte environ 20% de sa population active au chômage ou en en situation de sous-emploi. En effet, en plus des 12,1% de chômeurs que compte la zone, c’est le sous-emploi qu’il convient de prendre en compte. Le sous-emploi peut être considéré comme la proportion de personnes au travail à temps partiel mais souhaitant travailler plus, soit 4,2%, cumulée aux personnes découragées par leurs recherches soit 4,5%. Le fait que ces statistiques ne soient pas calculées sur des bases identiques nous empêche de les additionner de façon parfaite, mais la somme totale de ces différentes catégories représente bien les 20% de la population active.

A titre d’exemple, l’Espagne compte à ce jour 26% de chômeurs, soit un taux supérieur aux célèbres 25% de 1933 aux Etats Unis, au pic de la grande dépression. Mais l’Espagne atteint surtout un taux de 38% de sous-emploi au sens large, chômage, temps partiel contraint, et découragement compris.

Cette part de la population active représente une importante offre de travail pour le marché européen, une capacité de travail qui est laissée de côté par le continent. Il s’agit de l’offre de travail que la trop faible demande européenne ne permet pas de combler. Car la logique économique mise en œuvre actuellement consiste à provoquer l’ajustement de cette offre de travail au niveau actuel de la demande. C’est-à-dire que les salaires devront s’ajuster suffisamment à la baisse pour que ces personnes puissent intégrer le marché de l’emploi.

Et ce processus a également un coût pour les personnes actuellement en poste. Alors que la crise de 2008 a été à l’origine d’un grand nombre de licenciements afin d’ajuster l’offre à la chute de la demande, la crise a eu également pour effet de mettre la pression à ceux qui restaient en poste. Chacun travaille plus, plus longtemps, afin d’améliorer sa productivité et ainsi baisser le coût relatif de son travail par une voie annexe. En étant plus productif à salaire égal, l’employeur opère un gain de compétitivité qui lui permet de ne pas sombrer. Mais cela ne suffit pas toujours. Entreprises et salariés sont ainsi pris au piège de la chute de la demande. Car l’ajustement ne peut se faire sur les salaires. Il s’agit ici de la notion de rigidité des salaires ; ceux-ci ne sont pas suffisamment flexibles pour pouvoir s’adapter au gré des cycles économiques. On ne baisse pas un salaire, on procède au licenciement.

Cette dégradation perpétuelle de la situation de l’emploi a une cause : il s’agit du processus de désinflation mise en place en 1983 en France et consacré par l’avènement de l’euro. Cette politique de faible inflation consiste à contenir la demande, c’est-à-dire de ne pas permettre à l’économie d’avancer à plein régime. Une contrainte. La productivité augmente, les salaires stagnent, et le nombre de personnes en situation de sous-emploi évolue année après année.

Bien entendu, cette situation est également liée à l’accroissement des inégalités et en est même la cause principale. Et pourtant personne n’y gagne. Les entreprises sont obligées de s’ajuster à des niveaux de vente décevants et ne peuvent se permettre d’investir dans leur avenir. Et bien que la stagnation des salaires permette aux actionnaires de prélever une part plus importante de la richesse créée dans le processus, cette portion n’est rien comparée à ce qu’elle aurait pu être avec une demande plus forte. 

Car le drame est ici, la logique de désinflation consiste à faire tourner une économie en deça de son potentiel de développement afin de se prémunir contre tout risque inflationniste. Comme si le risque inflationniste était la priorité des priorités, le mal absolu, loin devant le chômage, les tensions sociales et la pauvreté. Bien évidemment, il n’en est rien.

Une économie qui atteint son potentiel est une économie qui profite à l’ensemble de la société. Si ce potentiel est dépassé, l’inflation devient prépondérante et la distorsion économique disloque également le marché de l’emploi. Une économie qui progresse en deçà de son potentiel, comme nous le vivons aujourd’hui, est une économie de chômage de masse, de précarisation et d’inégalités. Une économie de sous-investissement qui se paye sur le long terme.

Il s’agit du plus grand défi auquel sera confronté l’Europe au cours des prochains mois, des prochaines années : admettre, enfin, que ce modèle de développement est défaillant. Depuis plusieurs mois, G20, FMI, mais également les Etats-Unis, mettent la pression sur les autorités européennes pour que celles-ci constatent enfin ce dysfonctionnement et qu’elles puissent y mettre un terme. Le remède est connu, il s’agit de modifier les statuts de la Banque centrale européenne et d’en finir avec la logique de désinflation. La Grande-Bretagne l’a fait et a créé 450 000 emplois au cours de la dernière année. De la même façon, en 2013,  182 000 emplois ont été créés chaque mois aux Etats Unis. Chacun en bénéficie, employé, employeur, actionnaire. L’ère de la désinflation touche à sa fin, il reste à l’Europe de le comprendre.

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