Soudan : encore une crise-surprise imprévue<!-- --> | Atlantico.fr
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"Pourtant, pas de pays plus stratégique, plus crucial pour la géopolitique africaine, que le Soudan !", selon Xavier Raufer.
"Pourtant, pas de pays plus stratégique, plus crucial pour la géopolitique africaine, que le Soudan !", selon Xavier Raufer.
©AFP

Sans précédent

Le Soudan est confronté à l'un des pires conflits de son histoire. Voire, à une situation "sans précédent". C'est le triste constat qu'a fait l'ONU, dimanche 30 mai.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Pourtant, pas de pays plus stratégique, plus crucial pour la géopolitique africaine, que le Soudan ! Sept importantes frontières...Port-Soudan, canon braqué sur la Mecque et Djeddah...

Des signes avant-coureurs, "signaux faibles" et "ruptures d'ambiance" en nombre ; une ubiquitaire et hyperactive OTAN dont le budget annuel de 3,3 milliards d'euros permet peut-être de s'infor­mer - outre sa symbiose avec les services spéciaux des 31 pays-membres. Tout ça pour devoir cueil­lir en panique ses ressortissants, sur des aéroports désignés au dernier moment.

Pourquoi ? La fonction d'anticiper a été dévolue à des militaires et officiers de renseignement, per­sonnels aux grandes qualités professionnelles ; mais, parmi tous les effectifs d'un État-nation, pas les mieux formatés pour anticiper. Constamment, ces hommes d'ac­tion sont mobi­lisés sur l'immé­diat et ont, comme on dit, "le nez sur le guidon". Rien dans leurs études, malgré des diplômes émi­nents, ne les familiarise à la spéculation intellectuelle ; ne les prédis­pose au "ruckschritt", phéno­ménologique, pas en arrière dévoilant le paysage large, ouvrant la perspective.

Aussi parfois, l'attitude un peu agacée du renseignement envers l'univers des civils, enseignants ou autres. À ce sujet, un cas ancien, mais comme forcément il en advient encore. De par ses circons­tances, comme du fait de ses gravissimes conséquences, l'histoire mérite d'être narrée, malgré sa dis­tance dans le temps.

L'auteur connut jadis un eth­nologue (américain), spécialiste de la langue arabe des temps du pro­phète Mahomet et du Coran. Pour l'étudier à la racine, ce savant vivait alors au sultanat d'Oman, proche de l'Iran et de religieux chiites qui, dans leurs madrasas et mosquées, pratiquent l'arabe coranique comme langue d'église. Cet ethnologue sillonnait le Golfe sur des boutres ; côté Iran, dans les ports et villes voisines, il allait écouter les sermons du vendredi, pour le classi­cisme de l'arabe des mol­lahs.

Or vers 1977, un phénomène le frappe : mois après mois, la teneur de ces sermons évolue subtile­ment. Là où il va, dans chaque mosquée chiite, le chiisme noir du deuil, des larmes versées sur ce pauvre imam Hussein*, affliction et chagrin, tourne au chiisme rouge de la colère. Naguère, Hus­sein était une figure tragique - la voilà révolutionnaire : de Jésus-Christ au Che Guevara.

Le ven­dredi, d'usage, les fidèles sortent tristes de la prière ; les voilà furieux contre le chah et son régime. De mosquée en mosquée, la rage monte, gagne les rues. Sidéré, notre savant change à dessein de ville - même scénario partout : une révolution bouillonne, nul ne le voit.

Rentré à Mascate, l'ethnologue contacte l'ambassade des États-Unis. Y aurait-il sur place (Sui­vez mon regard...) un spécialiste des évolutions politiques du voisinage ? Le voilà face à un "deuxième consul" qui prend poliment la note que l'ethnologue a écrite - note qui précisément, décrit l'amorce de la révolution islamique d'Iran - quand il est encore possible de l'infléchir. Ensuite, rien. L'année suivante (1978), cette révolution s'embrase ; rien de l'arrête jus­qu'au retour de l'aya­tollah Khomeini à Téhéran le 1e février 1979.

Les années passent. En conférence à Washington, nous évoquons un jour cette révolution avec mon vieil ami Vincent Cannistraro, figure tutélaire de la CIA, alors chargé du rensei­gnement à la Maison-Blanche. Nous n'avons rien vu venir dit-il - pourtant vous aviez été avertis rétorquai-je - et je raconte l'his­toire de l'ethno­logue. Suffoqué, Vincent note les détails, noms, dates, etc.

Une semaine après, il arrive, af­fligé, avec la note d'avertissement - les services conservent tout - ainsi annotée au poste de Mascate de la CIA : "Another egghead & pain in the ass" ("encore un in­tello venu nous faire ch....").

Insister serait cruel.



*Tué par les troupes du calife (Omayyade sunnite) Yazid, le 10 octobre 680, (10 Moharram 61) avec une partie de sa famille, et des compagnons. Hussein était fils du 4e calife Ali, petit-fils du prophète Mahomet par sa mère Fatima bint Muhammad.

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