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SOS Union européenne en détresse : pourquoi l’impact destructeur potentiel de la bombe Salvini ne doit pas être minimisé
©ALBERTO PIZZOLI / AFP

La bomba

En Italie, Matteo Salvini mène la fronde du pays contre la politique migratoire européenne dans un contexte qui lui est favorable politiquement.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Alors que deux économistes considérés comme des eurosceptiques viennent d'être nommés à des postes importants, Alberto Bagnai à la Commission des finances du Sénat, et Claudio Borghi à la tête du Comité du Budget de la Chambre des députés, le gouvernement italien ne semble pas "adoucir" ses positions. Dans le même temps, Matteo Salvini mène la fronde du pays contre la politique migratoire européenne dans un contexte qui lui est favorable politiquement, sa côte de popularité au sein du pays ne cessant de progresser. Ne sous-estime-t-on pas la capacité de déstabilisation de Matteo Salvini ?

Christophe Bouillaud : Oui, sans doute, ne se rend-on pas assez compte de ce côté-ci des Alpes des capacités politiques du personnage. En synthèse, c’est tout de même quelqu’un qui a repris en 2013 la direction d’un vieux parti régionaliste, qui ne faisait plus que 4% des voix à  l’échelle nationale, pour le porter aux élections de mars 2018 à 17% des voix. Il a donc fait resurgir du néant la Ligue du Nord. Il a réussi, au moins partiellement, à attirer des électeurs partout en Italie, ce qui au regard de l’histoire de la Ligue du Nord tient du miracle politique. Il a ainsi réussi à rendre nationale la Ligue du Nord. L’utilisation de la xénophobie et de la lutte contre l’immigration extra-communautaire - qui ont toujours été l’un des ingrédients de l’offre politique de la Ligue du Nord depuis 1991 - a été adaptée par ses soins à l’ère des réseaux sociaux. De fait, Matteo Salvini, un Milanais, a passé toute sa vie depuis son adolescence comme militant, puis comme professionnel de la politique : il a appris bien des leçons, d’autant plus qu’il fut un temps journaliste au sein du journal du parti. Son approche de la vie politique ressemble beaucoup à celle de Donald Trump. Il essaye de tenir le même rythme d’une provocation à l’usage des médias de masse par jour, voire par demi-journée. Par contre, contrairement au milliardaire D. Trump,  Salvini joue beaucoup de son côté homme italien ordinaire. Il se présente aussi comme un homme du peuple dont on connait toute la vie privée, fort banale au demeurant – là encore le leader historique de la Ligue du Nord, Umberto Bossi, avait inauguré ce style décontracté de leadership. Salvini  a tellement transformé l’image publique de la Ligue du Nord, en l’assimilant à la fois à sa personne – omniprésente sur les réseaux sociaux - et au nationalisme italien (et non plus seulement nordiste) que beaucoup d’analystes pensent qu’il faudrait parler de la Ligue de Salvini. D’ailleurs, à la veille des élections, Salvini a décidé de supprimer le mot de Nord du nom du parti.

Quoi qu’il en soit, Salvini s’est révélé ces dernières années être un acteur politique hors pair, en tout cas pour l’audience de droite. Il est évident qu’il veut devenir à terme Président du Conseil, et, tel Trump, il ne reculera devant rien pour y arriver, tôt ou tard.

Comment lire la stratégie menée par le leader de la Ligue du Nord, et comment comprendre sa victoire de popularité face à son partenaire le M5S ?

D’abord, il faut comprendre que, pour une bonne part de l’électorat de la droite italienne, il n’était pas du tout évident de s’allier avec le M5S, vu comme un ramassis de gauchistes, écologistes ou décroissants, un M5S qui vouait aux gémonies le leader historique de la droite italienne, Silvio Berlusconi. En plus, comme le M5S a triomphé au sud, cela peut être vu  par l’électeur traditionnel de la Ligue du Nord, et plus généralement de la droite du nord du pays, comme un ramassis de sudistes cherchant à obtenir l’assistanat à vie à leurs dépens. Donc, pour faire oublier cette trahison en quelque sorte, quoi de mieux pour Salvini que de faire une fois arrivé au pouvoir exactement ce qu’il aurait fait s’il avait été au pouvoir dans le cadre d’une coalition de droite comme Ministre de l’Intérieur ou Président du Conseil ? En commençant donc par un open-bar des propos les plus sécuritaires et xénophobes possibles.

Par ailleurs, comme je viens de le dire, Matteo Salvini est un animal politique hors pair. Quoi qu’il ait été à la tête d’un parti vu comme extrémiste par la majorité des électeurs italiens, il était déjà personnellement plus  populaire que le chef politique du M5S. Luigi di Maio. Ce dernier, plus jeune de 10 ans,  n’a pas autant d’expérience politique, et il sait sans doute moins bien utiliser les moindres occasions pour se faire remarquer du grand public. Le M5S de fait est paradoxalement un parti à l’ancienne où il existe plusieurs têtes de gondole médiatiques et plusieurs sensibilités. Du côté de la Ligue, dans son image médiatique tout au moins, on se trouve face  un parti personnalisé à l’extrême : tout repose sur l’activisme du leader. Salvini disparait, la Ligue retombe à 4% des voix.

Enfin, il faut bien comprendre que la lutte contre l’immigration clandestine, et plus encore la critique acerbe à l’encontre des partenaires européens de l’Italie, sont très largement partagées dans l’électorat italien. De fait, même les dirigeants du Parti démocrate pensent que l’Italie a souffert d’être abandonnée face à ce problème européen. Ils attribuent une bonne part de leur défaite aux élections du 4 mars 2018 à cette attitude des autres Européens. En conséquence,  la Ligue de Matteo Salvini s’envole dans les sondages, en passant de 17% des suffrages le 4 mars à un possible 29/30% aujourd’hui, parce que son chef est parfaitement en accord avec le sentiment de ras-le-bol d’une majorité des Italiens face à la situation migratoire en Méditerranée.  Inversement, les politiques publiques que propose le M5S sont moins immédiatement visibles, et surtout plus lentes à mettre en œuvre. Il est moins facile de mettre en place l’équivalent d’un RSA ou une lutte efficace contre la corruption publique  que d’interdire à un bateau d’aborder en Italie. Salvini leur vole effectivement la vedette, et cela peut durer au moins jusqu’au moment où il faudra discuter des choix budgétaires de l’Italie, mais, là,  Salvini va sans doute redécouvrir qu’il est le leader de la Ligue Nord qui défend les finances des régions du nord du pays... ce qui lui permettra encore d’exister médiatiquement.

Sur la stratégie à plus long terme, l’interrogation commence déjà à monter du côté M5S : est-ce que M. Salvini ne veut pas gonfler sa popularité afin d’aborder des élections anticipées qu’il provoquerait en position de force comme le leader indiscuté de toutes les droites italiennes à la place de S. Berlusconi ? En effet, en dehors de son allié-rival M5S, l’autre victime de l’activisme de Salvini n’est autre que S. Berlusconi, son ancien allié national et toujours allié régional et local.  Il prouve par le fait que ce dernier a toujours été trop conciliant avec les partenaires européens. A chaque provocation de Salvini, S. Berlusconi semble vieillir d’une année, voire d’une décennie.

Jusqu’où peut-on estimer que Matteo Salvini pourrait aller, aussi bien concernant la question de la politique migratoire européenne que pour la remise en question de l'euro ?

Sur la politique migratoire, il est sans doute  prêt à aller très loin, au moins en paroles. La  récente position franco-allemande, prise sous la pression de la CSU allemande, qui appelle à un retour aux règles du Règlement de Dublin et donc en pratique  à un renvoi vers l’Italie de personnes cherchant asile en Europe entrées via l’Italie présentes en Allemagne, en France ou ailleurs, a été vécue comme une provocation. Le gouvernement M5S/Ligue est uni sur ce point, et même le Président Mattarella y voit un manque de solidarité européenne. De fait, Salvini sur ce point a brûlé ses vaisseaux. Il ne peut pas reculer. Il veut obtenir des autres Européens l’équivalent symbolique du « mur de Trump » avec le Mexique. C’est, me semble-t-il, ce qu’il est en train de négocier avec certains gouvernements conservateurs de l’est du continent. Je parierai même que, sur ce point, plus il s’engueulera avec certains autres européens, plus il sera populaire en Italie. Il offrira en effet au moins aux électeurs italiens la satisfaction d’avoir dit leur fait à ces arrogants français et allemands donneurs de leçons, largement responsables de tout cela. Il faut en effet le dire et le répéter : pour une bonne partie du public italien, les ennuis commencent avec la chute de Kadhafi en 2011 sous la pression de la France et du Royaume-Uni. .

Sur la remise en question de l’Euro, la nouvelle position italienne, correspondant aux nominations que vous évoquiez, est de dire que la zone Euro doit être gérée en tenant compte désormais des intérêts italiens. Aussi bien du côté du M5S que de la Ligue, on pense en effet que l’appartenance de l’Italie à la zone Euro fut une mauvaise affaire. Tout l’enjeu n’est pas actuellement de sortir de la zone Euro, mais de faire de l’appartenance à cette dernière une bonne affaire pour l’Italie et les Italiens.  La sortie de l’Euro ne constitue alors, d’une part qu’une menace dans cette négociation, et, d’autre part que la solution auquel on pourrait avoir recours si les partenaires européens restaient vraiment sourds et aveugles aux requêtes italiennes.

Plus généralement, c’est vrai qu’il n’est jamais arrivé depuis les années 1950 que l’Italie se mette sur autant de sujets à la fois en opposition avec le consensus européen. Cela n’est pas le fait du hasard, mais résulte de toute l’histoire des 30 dernières années. Les autres Européens feraient bien d’en tenir compte.

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