SOS supplément d’âme ? : cette autre voie européenne technique que défend François-Xavier Bellamy<!-- --> | Atlantico.fr
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François-Xavier Bellamy, candidat aux élections européennes pour Les Républicains, s'inquiète aujourd'hui de la tenaille Macron-Le Pen au sein de laquelle la droite pourrait se retrouver enfermée.
François-Xavier Bellamy, candidat aux élections européennes pour Les Républicains, s'inquiète aujourd'hui de la tenaille Macron-Le Pen au sein de laquelle la droite pourrait se retrouver enfermée.
©Ludovic MARIN / AFP

Droiture

Le programme du candidat LR ne manque pas d’arguments sauf peut-être d'un peu de politique face à des candidats qui le sont tant.

Jean-Luc Demarty

Jean-Luc Demarty est ancien Directeur Général du Commerce Extérieur de la Commission Européenne (2011-2019), ancien Directeur Général Adjoint et Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (2000-2010) et ancien Conseiller au cabinet de Jacques Delors (1981-1984; 1988-1995).

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : François-Xavier Bellamy, candidat aux élections européennes pour Les Républicains, s'inquiète aujourd'hui de la tenaille Macron-Le Pen au sein de laquelle la droite pourrait se retrouver enfermée. Quel bilan tirer du programme économique de François-Xavier Bellamy et des outils qu’il propose dans ce domaine dans le cadre de la campagne des européennes ? Quels sont leurs principaux atouts ?

Jean-Luc Demarty : Sous la direction d’Emmanuelle Mignon, LR a fait l’effort de bâtir un programme pour les élections européennes avec un début de structure cohérente. S’il est possible de souscrire à une majorité des objectifs affichés, malheureusement ce texte ne dépasse pas le catalogue des bonnes intentions, et de quelques mauvaises, sans expliquer un instant les moyens et les instruments pour y arriver. Or tous les dirigeants, qu’ils soient politiques ou chefs d’entreprises savent que la vraie difficulté n’est pas de définir des objectifs, souvent plutôt évidents, mais de tracer avec précision le sentier par lequel on les atteint. Ce n’est pas étonnant dans la mesure où François-Xavier Bellamy et Emmanuelle Mignon n’ont jamais géré plus que leurs assistants personnels. Il est vrai que, de ce point de vue, ils ne sont pas très différents de la majorité des politiques français.

Le programme économique de François-Xavier Bellamy comprend beaucoup d’objectifs, souvent généraux, et très peu d’outils. Dans ces conditions il est difficile d’en faire un bilan, si ce n’est qu’il comporte beaucoup de coûts supplémentaires, peu d’économies et aucune ressource additionnelle. Il y a néanmoins quelques nouveaux instruments intéressants comme l’introduction dans le droit européen du principe de non régression économique et du principe d’innovation. Favoriser l’investissement et le progrès technologique, afficher un objectif de 4% de la recherche dans le PIB est certainement louable, mais la véritable question est comment y arriver. Il faut reconnaître que ce n’est pas pire que le financement évanescent des 1.000 milliards d’Euros d’investissements supplémentaires du programme macroniste. La dénonciation des excès de l’écologie punitive et décroissante de certains éléments du pacte vert et de la fin irréfléchie du moteur thermique en 2035 est bienvenue.

Certaines propositions sont irréalistes comme l’accroissement du budget agricole européen, ou parfaitement démagogiques, comme la baisse de 25 % du nombre de fonctionnaires européens. Cette dernière proposition ne manque pas de cynisme venant d’un parti qui a été incapable de réduire significativement le nombre de fonctionnaires français lorsqu’il était au pouvoir. La Commission Européenne a réduit le nombre de ses fonctionnaires de 5 % dans la décennie 2010. Leur nombre est inférieur de 40% à celui des fonctionnaires de la ville de Paris. Evoquer le délire normatif européen est très excessif. Dans un marché unique européen il faut en effet des normes pour remplacer des dizaines de milliers de normes nationales incompatibles entre elles. Il n’est pas exclu qu’il y ait quelques excès, mais s’il y a délire normatif, il est essentiellement français.

Bien entendu on a droit à la démagogie habituelle sur les accords de libre-échange contraires aux intérêts européens. Rappelons qu’ils ont accru en quinze ans l’excédent commercial européen de 150 milliards d’Euros et celui du seul secteur agro-alimentaire de 60 milliards d’Euros. LR n’aime pas les accords réussis qui mettent en péril sa crédibilité idéologique. C’est pourquoi il a voté contre le CETA en espérant le faire disparaître du paysage pour ne plus avoir à en constater les résultats positifs au mépris des intérêts de la France.

La partie française du programme relève de « demain on rase gratis » : baisse des dépenses publiques, baisse des prélèvements obligatoires et des cotisations sociales et hausse des salaires nets de 5 à 10%. Comment le faire n’est pas évoqué un seul instant, surtout pas en mentionnant le vrai sujet, à savoir que le salarié français à temps complet ne travaille pas assez en moyenne dans l’année et tout au long de la vie.

Les quelques éclairs du programme économique de François-Xavier Bellamy ne sont pas suffisants pour masquer sa pseudo-fermeté de carton-pâte.

Christophe Boutin : Ces outils ont été mis en place à la fois par François-Xavier Bellamy et par Emmanuelle Mignon, chargée des études au sein des Républicains. Ils prennent la forme d’un long programme de ce parti pour les élections européennes qui viennent. Il est vrai, comme vous le dites, que les Républicains semblent pris en tenaille entre les deux partis qui font pour l’instant la course en tête, le Rassemblement national, très loin devant, et Renaissance – encore qu’il ne faille pas négliger une troisième liste, celle de Raphaël Glucksmann. Mais politiquement, on a, à la gauche de LR, une approche qui veut engager une politique « d’approfondissement » de l’Union européenne - autrement dit visant à de nouveaux transferts de compétence et de souveraineté en faveur de cette structure -, et, à sa droite, une approche qui veut, elle, revenir à l’idée d’une coopération d’États et dénonce une dérive fédéraliste.

Face à cela, le parti a choisi pour exister de présenter un programme très détaillé, divisée en six thématiques. La première traite du réarmement de l’Europe, face à des « puissances prédatrices » - il s’agit bien évidemment de la Russie. La deuxième parle de « garantir la souveraineté économique et augmenter le pouvoir d’achat des Français », démontrant clairement l’ambiguïté de ces élections européennes qui conduisent à parler très largement de la politique intérieure française. Troisième élément, la garantie d’une véritable souveraineté alimentaire – on retrouve la volonté des Républicains de ne surtout pas se couper d’un vote rural qui leur a permis de sauver quelques sièges aux dernières législatives. Quatrième élément, l’environnement, mais ici la lutte contre le changement climatique ou pour la biodiversité s’accompagne du rejet de tout ce qui pourrait ressembler à de la décroissance. Cinquième élément, la maîtrise des frontières extérieures – est-il besoin de relever que le problème de l’immigration est central dans ces élections européennes ? Sixième élément enfin, la volonté de rapprocher l’Europe des citoyens. Chacun de ces points est subdivisé en de nombreux éléments formant donc un véritable programme - même si on peut reprocher des formules comme « pour une mandature, de la déréglementation et de la lutte contre le délire normatif européen »… 

Ces éléments sont ceux que l’on a pu trouver parfois dans le cadre des initiatives des Républicains dans la politique nationale. Un bon point dès lors, celui de la continuité, mais qui ici conduit à des ambiguïtés. Ainsi, lorsque l’on évoque la volonté d’assurer une électricité « bon marché pour les ménages et nos entreprises » on ne sait pas très bien si l’on parle au niveau européen ou au niveau national. De plus, notre système énergétique national a été largement cassé par l’Union européenne, comme notre industrie nucléaire, et l’Union contribue, en nous mettant dans une boucle commune, à nous faire payer un surcoût énergétique. Comment espérer qu’elle revienne sur cette politique ? Quant au fait de vouloir faire de l’Union européenne « une puissance spatiale » on rappellera que cela revient à transférer à l’Union ce qui était auparavant une coopération entre États - certes de moins en moins vraie puisque la France est en train de faire passer sous contrôle allemand une part de ses techniques en la matière.

Dans quelle mesure le projet de François-Xavier Bellamy apparaît-il intellectuellement et concrètement faisable ? Sur quels alliés européens peut-il éventuellement compter pour mettre en place ce projet ?

Christophe Boutin : Difficilement faisable parfois. « Protéger les entreprises européennes des lois extraterritoriales de certains pays tiers » revient à s’attaquer aux USA, ce que nombre de nos « partenaires » européens se refuseront de faire. ..« Expulser les clandestins d’Europe » semble délicat au regard des jurisprudences de la Cour de Justice de l’Union et plus encore de la Cour européenne des droits de l’homme… Permettre les aides d’État dans les secteurs économique relève des réglementations européennes, mais aussi des règles de l’OCDE… On demande à la fois de consolider l’OTAN et de créer un pilier européen de l’OTAN : s’agit-il de consolider la structure américaine ou de la concurrencer ? Même la volonté de « mieux maîtriser la présence du loup sur le territoire de l’Union européenne » va à l’encontre de règlementations européennes et internationales…

Reste qu’il faut bien tenter de faire quelque chose, et les alliés sur lesquels François Bellamy peut compter sont ici bien évidemment au niveau européen. Ce sont d’abord les autres membres du PPE, le parti démocrate-chrétien de droite, lieu par excellence dans lequel Bellamy pourrait trouver des appuis. Ensuite, il ne devrait guère compter sur les européistes du PSE et de Renew, pas vraiment sur Identité et Démocratie, mais sans doute plus sur ECR, le groupe des conservateurs et réformistes européens, dont le conservatisme correspond en partie au moins à certaines de ses approches, et donc à une partie au moins des thèses des Républicains. Il est possible que, sur certains dossiers, des alliances se créent en ce sens plus qu’avec le PSE, mais il faut attendre de savoir comment se recomposeront les partis européens  après ces élections.

Jean-Luc Demarty : Pour que le programme économique de François-Xavier Bellamy soit faisable, encore faudrait-il qu’il sache comment le mettre en œuvre concrètement. A mon avis il n’en a pas la moindre idée. En réalité c’est un exercice de communication destiné à faire croire que François-Xavier Bellamy comprend quelque chose aux questions économiques, ce qui n’est visiblement pas le cas. Quant à trouver des alliés européens, l’isolement au sein du groupe PPE qu’a choisi LR laisse mal augurer d’alliés européens sauf si LR cherchait à se rapprocher du RN, en valorisant la partie démagogique de ses propositions, à moins qu’il ne cherche des convergences avec le parti de Giorgia Meloni. Dans les deux cas ce serait l’accélération du déclin de LR.

Le projet de François-Xavier Bellamy vous paraît-il pertinent, dès lors qu'il s'agit d'investir un espace politique entre Emmanuel Macron et le Rassemblement national ? Quels sont les écueils dans lesquels il risque potentiellement de tomber ?

Christophe Boutin : D’aucuns verront une politique de trous de souris : l’espace n’est pas large entre Renaissance et le Rassemblement national, et d’autant moins que Jordan Bardella est un candidat très sérieux, loin d’être ridicule, même comparé à un François-Xavier Bellamy dont on ne peut que reconnaître les qualités intellectuelles. 

Le premier écueil est interne : les Républicains souffrent d’une division qu’il ne faut pas négliger entre des éléments favorables à « l’approfondissement » de l’Union européenne et d’autres qui sont beaucoup plus réservés. Ces derniers ne sont pas « souverainistes » au sens d’une séparation d’avec l’Union européenne, - quasiment plus personne ne l’est - mais ont une sensibilité très critique des dérives fédéralistes, que l’on pourrait qualifier de nationaliste. Certes, les premiers ont conscience que s’ils veulent conserver encore quelques électeurs c’est bien la ligne Bellamy qu’il faut suivre, mais cela conduit à des tiraillements et des sensibilités froissées - et ce d’autant plus que le nombre de places disponibles pour aller siéger à Bruxelles est limité au vu des sondages. Dès lors, le programme des Républicains relève parfois d’une sorte de « en même temps » dont on comprend qu’il ne pouvait qu’exister. 

L’autre écueil, serait peut-être d’être allé un peu trop loin dans en ce sens pour contenter un peu tout le monde. Le résultat est que l’on a un programme « de techno », détaillé certes, mais uniquement détaillé. Il aurait pu - et peut-être même dû - y avoir en en tête de ce programme une sorte de déclaration de principe sur la manière dont les Républicains voient ce que sont la France et l’Union européenne en 2024, et quels doivent être les rapports entre les deux, d’où découleraient ensuite logiquement les solutions. Mais Emmanuel Mignon, à la fois par travers personnel et par nécessité, s’en tient à une avalanche programmatique technique et sans âme. Elle aurait sans doute gagné à se souvenir un peu plus de ses discussions avec Patrick Buisson à l’époque de Nicolas Sarkozy : la politique n’est pas uniquement affaire de technique et de techniciens… Même si François-Xavier Bellamy saura apporter sans doute un supplément d’âme, cela manque en l’état.

Jean-Luc Demarty : Il est clair que LR cherche à trianguler entre la liste macroniste et le RN, au programme économique délibérément inexistant. Sur la partie économique il y a des convergences avec la liste macroniste, comme la défense du nucléaire, l’extension du mécanisme d’ajustement carbone à la frontière, et la démagogie partagée sur les accords de libre-échange.

Par contre LR s’est rapproché considérablement du RN sur la dimension institutionnelle, pour le pire. La défense de la prééminence de la constitution française sur le droit de l’UE est incompatible avec l’appartenance à l’UE. LR invoque à tort le cas de l’Allemagne pour justifier sa position. Si la Cour Constitutionnelle allemande a été ambiguë sur le sujet, elle n’a jamais franchi le Rubicon. Il est inimaginable que pour les domaines de compétence de l’UE effectivement exercés dont l’interprétation relève exclusivement de la Cour de Justice de l’UE, chaque Etat Membre puisse invoquer sa propre Constitution pour justifier une interprétation différente. Ce serait soit la fin de l’UE, soit une sortie de facto de la France de l’UE. LR développe également une autre idée farfelue, le blocage par un tiers des parlements nationaux des initiatives législatives de la Commission Européenne qui ne respecteraient pas le champ de compétence de l’UE. Une telle réforme nécessiterait une modification des traités qui n’a aucune chance de voir le jour. En outre elle est inutile, parce que la Cour de Justice de l’UE assure déjà ce contrôle, et dangereuse en exerçant un contrôle politique et non juridique, avec un seuil d’un tiers très bas. Enfin LR et le RN partagent le refus à courte vue de tout élargissement supplémentaire. Ce serait laisser les Balkans occidentaux dans les mains de la Chine, la Russie et la Turquie, et laisser tomber l’Ukraine que LR prétend défendre.

Le dérapage institutionnel de LR constitue un quasi alignement sur le RN. La direction actuelle de LR se prépare probablement à une alliance avec le RN, espérant tirer les marrons du feu sur la politique économique. Ce serait une illusion et une grave erreur qui signifierait la fin de LR.

Le projet porté par François-Xavier Bellamy relève moins du programme européen que du programme concernant le rapport de la France à l'UE. Quels sont les avantages, et les limitations, d'une telle façon de faire ?

Christophe Boutin :Soyons clair, il est aujourd’hui absolument impossible de faire une campagne européenne en ne traitant que des questions européennes ou des problématiques liées aux institutions de l’Union, et ce pour deux raisons. La première est que les Français ne sont pas nécessairement au courant de la manière dont l’Union fonctionne. Un certain nombre d’éléments qui pourraient être avancés dans un débat entre spécialistes du fonctionnement de cette institution très particulière n’aurait donc que peu d’écho.

Par contre, ce que les Français ont maintenant parfaitement saisi, c’est que l’Union européenne entendait bien leur imposer un mode de vie, y compris dans les plus infimes détails de leur vie privée.  Et sur les questions principales qu’ils se posent, touchant à leur identité - nationale et non pas européenne -, à l'insécurité ou à l'immigration, ils voient la France engluée dans les textes européens. Le débat des européennes est donc nécessairement une réflexion sur la place de la France par rapport à l’Union européenne : non pas si elle doit la quitter, ce qui est dépassé, mais comment elle peut et doit faire prévaloir certains de ses intérêts vitaux contre la technostructure bruxelloise.

Or ce que les Français voient par contre moins, et qui est la vraie limite de ce projet, mais aussi des élections européennes dans leur ensemble, c’est que le débat concerne leur représentation au sein du Parlement, et que les pouvoirs limités de ce dernier le rendent bien secondaire par rapport à l’action de la Commission et d’un Conseil européen où siège pour la France un Emmanuel Macron qui n’a de cesse de transférer tout ce qu’il peut de la souveraineté française à l’Union. En ce sens, le vrai débat est peut-être celui de la restructuration des institutions européennes prévue dans un avenir proche, avec, pour prendre cet exemple évident, la question de la disparition du vote à l’unanimité et donc du veto des États. Il est indispensable que cette évolution fasse l’objet d’un référendum, et c’est cela aussi qui devrait faire clairement partie du programme des Républicains, plus en tout cas que de maîtriser la présence du loup…

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