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"La crise n'est pas la seule raison pour laquelle 28 % des Français ont peur de tomber dans la pauvreté"
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Pauvres de nous

Selon une étude de l’Insee, 28% des Français considèrent qu’il y a un risque pour qu’ils tombent dans la pauvreté en 2012. Des résultats qui s'expliquent logiquement par le contexte actuel de crise mais aussi par les particularités de notre marché du travail.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Selon une récente étude de l’Insee, 28% des Français considèrent qu’il y a un risque pour qu’ils tombent dans la pauvreté en 2012. Comment expliquez-vous ce résultat ?

Jérôme Fourquet : Un élément conjoncturel explique en partie cela: la crise qui s’aggrave depuis quelques mois maintenant, avec son cortège de plans sociaux et de licenciements. La probabilité d’être soi-même touché n’est pas négligeable. Dans une enquête IFOP, nous avions remarqué qu’à peu près 2/3 des Français se disent touchés par la crise. Cela ne veut pas dire qu’ils tomberont tous dans la pauvreté, mais l’on voit bien que le contexte de crise accentue clairement les effets.

Il y a aussi un facteur plus structurel. Il y a aujourd’hui 13% de la population qui vit sous le seuil de pauvreté (pour une personne seule : 960 euros par mois). La pauvreté n’est donc pas totalement quelque chose d’abstrait ou d’improbable pour beaucoup de nos concitoyens.

Ces chiffres vous surprennent-ils ?

Ce n’est pas un niveau qui soit forcément très étonnant. Il y a de nombreuses années que les enquêtes posent ce genre de questions. Cela fait maintenant une quinzaine d’années que nous avons des chiffres assez importants concernant cette probabilité de connaître un jour la pauvreté.

Cette inquiétude ne date pas d’aujourd’hui. Elle a d’ailleurs déjà été analysée dans La peur du déclassement : une sociologie des récessionsd’Eric Maurin. Au début de la crise, nous avions une forte progression de cette inquiétude de connaitre un jour le chômage, alors qu’objectivement les chiffres de licenciements (quand vous les rapportiez à la population en activité) étaient relativement faibles. La théorie de Maurin était de dire que nous avons renforcé les protections pour ceux qui sont installés dans le système (les « insiders » qui ont un CDI). Mais que la contrepartie de tout cela était qu’il est très dur d’intégrer ce système. L’effet pervers est que le jour où vous perdez votre statut, la chute est bien plus importante. Plus nous mettons des protections, plus la peur de les perdre pour ceux qui en bénéficient est grande.

De plus, un autre phénomène est apparu ces dernières années avec la crise, la multiplication des plans sociaux et l’apparition d’une nouvelle pauvreté : les « travailleurs pauvres ». Les protections juridiques et statutaires ont été renforcées. Le différentiel entre ceux qui en bénéficient et ceux qui n’en bénéficient pas s’est fortement accrue au cours des vingt dernières années. Jusqu’à assez peu de temps encore, dans l’imaginaire collectif, à partir du moment où l’on accédait au monde du travail, on était plus ou moins tiré d’affaires. La figure du travailleur pauvre s’est installée dans l’imaginaire collectif, l’emploi n’est plus vu comme un rempart. Nous nous sommes aperçus qu’une personne pouvait être en CDI mais aussi qualifiée de « travailleur pauvre », avoir des difficultés à trouver un logement et combler les fins de mois. De plus en plus de travailleurs fréquentent d’ailleurs des institutions comme les Restos du cœur.

Cette inquiétude montante est-elle uniquement française ?

Eric Maurin montre que d’autres sociétés européennes, en ayant fait le choix d’une fluidité plus importante du marché du travail, dédramatisent plus les différents aléas de la vie. Le système y est plus flexible, la marge entre un CDI et un emploi moins protégé est moins importante et le va-et-vient est plus facilité. L’inquiétude est donc peut-être un peu moins forte dans certains pays, comme les nations scandinaves ou l’Allemagne.

Cependant, la crise a tout de même frappé. Pour l’IFOP, nous avions demandé aux Allemands s’ils trouvaient leur société juste et égalitaire. Toute une partie de la population était assez critique sur leur modèle. Leur compétitivité nationale s’est faite aussi au prix d’un certain nombre d’ajustements sur les acquis sociaux. Cela va de paire avec une interrogation plus globale sur la capacité d’adaptation de nos systèmes d’Etat-providence dans une économie mondialisée. Jusqu’à quand ? Sous quelles conditions peut-on avoir des protections correctes et suffisantes sans entraver la compétitivité ?

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

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