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Sondage exclusif : les Français adhèrent de moins en moins à la philosophie de la réforme de l’assurance chômage envisagée par le gouvernement
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

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48% des Français considèrent que "compte tenu du nombre élevé de chômeurs, il faut baisser le montant des allocations versées aux chômeurs et raccourcir la période d’indemnisation de manière à inciter les chômeurs à rechercher plus activement du travail".

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : 48% des Français considèrent que "compte tenu du nombre élevé de chômeurs, il faut baisser le montant des allocations versées aux chômeurs et raccourcir la période d’indemnisation de manière à inciter les chômeurs à rechercher plus activement du travail" soit 6 points de moins qu'en 2014 et 2 points de moins qu'en 2016. Comment analyser cette tendance alors même que la proportion de personnes se sentant menacées par le chômage semble quant à elle suivre une courbe descendante ? Faut-il y voir ici un rappel d'une recherche de protection, de correction des inégalités de la société française ?

Jérôme Fourquet : Premier constat : on est toujours sur une France qui est coupée en deux, à quelques points près. On voit donc que cette question continue de diviser profondément la population française, avec une partie de la population qui peut considérer, selon l'adage, qu'il y a "trop de social en France", et que les incitations à reprendre un travail pour les chômeurs ne sont pas assez stimulantes. De l'autre côté, à peu près la même proportion considère que dans un contexte de chômage de masse, et avec les difficultés du marché du travail, il faut absolument maintenir en l'état notre modèle de protection sociale et d'indemnisation des chômeurs. Donc la messe n'est pas dite sur cette question. On voit aux récentes réactions suite à la saillie présidentielle – l'échange qu'a eu Emmanuel Macron avec un jeune demandeur d'emploi lors des journées du patrimoine – qu'effectivement cette question continue de partager les Français. Néanmoins, il y a une légère tendance qui se dessine : celle qui est en faveur du maintien du niveau des prestations. Comment l'interpréter ? Sans doute par le fait qu'une partie des Français considère que beaucoup a déjà été fait en matière de fluidification du marché du travail, notamment avec la Loi Travail de Myriam El-Khomri, puis les ordonnances, la barémisation des indemnités prudhommales, etc. Le sentiment serait alors qu'il ne faut pas trop charger la barque dans un sens par rapport à un équilibre qui était à peu près trouvé.

On peut sans doute aussi y voir le fait que nous sommes aujourd'hui dans une situation qui est économiquement peut-être un peu moins compliquée qu'il y a trois ou quatre ans, et que pour autant, ça a été beaucoup dit, le chômage ne baisse pas rapidement. Cela peut nourrir chez certains l'idée d'une persistance d'un chômage élevé, y compris en phase de relative reprise économique. Ce qui veut dire qu'il y a tout de même toute une série de problèmes qui se posent, problèmes d'employabilité de ces demandeurs d'emplois, d'inadéquation entre leur formation et les jobs proposés. Il n'est donc pas forcément aussi évident que cela qu'en abaissant simplement les niveaux ou les durées d'indemnisation, on ferait rapidement retourner vers l'emploi ces demandeurs d'emplois. Si c'était si simple, cela se saurait.

Le fait qu'un chômage d'à peu près 9% se maintienne alors que la reprise économique est là a interpellé un certain nombre de Français. C'est peut-être là l'objet du débat qui nous occupe maintenant : dans la société française telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, l'idée que la reprise de l'économie permettrait d'aboutir à un chômage frictionnel de l'ordre de 4-5% ne semble pas vérifiée. Manifestement, les freins au reflux du chômage sont beaucoup plus forts. D'aucuns diront CQFD, il faut abaisser le niveau des prestations, mais d'autres rétorqueront que nombre de chômeurs, pour des raisons X ou Y se trouvent durablement éloignés du marché du travail.

On perçoit notamment un différentiel assez important entre les actifs et les retraités sur cette question…

Jérôme Fourquet : Oui les retraités sont beaucoup plus durs. De la même manière qu'ils soutenaient massivement la réforme de la SNCF et relativement les ordonnances sur le marché du travail, nous avons de nouveau là des retraités (65 ans et plus) qui penchent très nettement en faveur d'une dégressivité ou une réduction des indemnisations de chômage afin de les rendre plus incitatives. Là on est sur un schéma que l'on connaît bien. Et évidemment cela peut compter dans la volonté du gouvernement de reconquérir l'électorat retraité. On avait déjà observé une dichotomie entre actifs et retraités au moment des débats sur les réformes des retraites. Les retraités se comportaient alors globalement comme de petits actionnaires individuels de l'entreprise France, dont le dividende serait la pension de retraite. Comme tout petit actionnaire, le retraité a à cœur que le dividende soit pérennisé, et amélioré si possible, quitte à devoir opérer un certain nombre de restructurations dans l'appareil productif. Les retraités étaient donc, et c'était assez attendu, très majoritairement favorables aux mesures de recul de l'âge de départ à la retraite, de la même manière qu'ils étaient favorables à des assouplissements de la législation sur le travail, et qu'ils le sont maintenant vis-à-vis d'une dégressivité ou d'une diminution des allocations de chômage. Tout ce qui peut aller dans le sens d'une plus grande productivité et d'une meilleure effectivité du marché du travail, quitte à rogner sur les droits des salariés, qu'ils ont été mais ne sont plus, obtient leur faveur.

Tout cela est significatif quand on observe ce qu'il se passe du côté du gouvernant, lorsqu'il mène une politique d'atténuation de l'existant, notamment en matière fiscale, ou lorsqu'il suit un agenda de réformes libérales qui s'appliquent aux autres, ceux qui n'ont pas la chance d'être retraité, avec le soutien de ces derniers. Les retraités, au premier tour de l'élection présidentielle, ont voté à 34% pour F. Fillon, et à 27% pour E. Macron. Cela représente donc 61% des retraités qui ont voté pour un bloc libéral, addition des deux (contre 12% seulement à J-L. Mélenchon, et 17% à M. Le Pen), lorsque sur l'ensemble des Français, on atteint péniblement 44%. Tout cela est très cohérent : sur tous ces chantiers-là, il y a une adhésion très forte des retraités autour de ce "libéralisme pour les autres".

Mais, il y a un autre élément selon moi. Qui dit retraité dit culture, ou rapport au travail, peut-être différents dans ces générations que dans les générations suivantes. La vision du monde, ou de la société, qui est partagée là collectivement par cette classe d'âge est aussi un élément d'explication. On peut penser que la "valeur travail" est encore davantage répandue au sein des générations qui ont connu le plein emploi. Bien sûr, ceux qui ont soixante ans aujourd'hui ont connu trente années de chômage de masse, mais le contexte dans lequel ils ont été socialisés correspondait à une période de plein emploi. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Un signe qui va dans ce sens, c'est sans doute ce qu'il s'est passé au moment de la primaire de la gauche, avec la mise sur la table de la proposition de Hamon sur le revenu universel. C'était nettement en contradiction avec la valeur travail, très ancrée chez les plus âgés, en revanche ce concept-là a fait mouche chez les plus jeunes générations qui se disent, pragmatiquement, que jamais ils n'arriveront à redonner du boulot à tout le monde.

C'est que la réponse faite à la question du niveau d'indemnisation du chômage est très liée, un cran au-dessus, à la question de savoir s'il est facile de trouver un travail.  La première réponse va donc un peu moins de soi, même si la pente n'est pas très forte, qu'il y a quelques années, parce que sans doute chemine dans l'opinion l'idée qu'il n'y aura pas de travail pour tout le monde.

Retrouvez l'analyse complète de Jérôme Fourquet accompagné d'un commentaire de Christophe Boutin demain sur Atlantico.

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