Sommet de l’Otan : le choix désastreux d’Emmanuel Macron concernant l’Asie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Xi Jinping lors d'une visite officielle.
Emmanuel Macron et Xi Jinping lors d'une visite officielle.
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Diplomatie

L'OTAN devait ouvrir un poste de liaison au Japon mais la France temporise… pour ne pas froisser la Chine.

Sophie Boisseau du Rocher

Sophie Boisseau du Rocher

Sophie Boisseau du Rocher est docteur en sciences politiques, chercheure associée au Centre asie IFRI. Elle travaille sur les questions politiques et géostratégiques en Asie du Sud-Est.

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Atlantico : La réunion des pays membres de l’OTAN à Vilnius a été l’occasion, pour Emmanuel Macron, de se positionner sur certaines questions concernant l’Asie. Ainsi, le chef de l’Etat français a décidé de s’élever contre l’ouverture d’un bureau de l’OTAN à Tokyo, dont l’objectif consiste à assurer la sécurité du pays face à la Chine. Comment expliquer un tel choix du président ?

Sophie Boisseau du Rocher : Paris a toujours été clair sur la question : un bureau de l'OTAN à Tokyo éloignerait l'organisation de ses objectifs fondamentaux centrés sur l'Atlantique Nord (article 5 et 6 de ses statuts). Ce serait en quelque sorte "l'étirement de trop". L'OTAN peut s'intéresser à la situation sécuritaire en Asie et le fait d'ailleurs depuis plusieurs années au nom de l'indivisibilité de la paix (les liens avec les partenaires de la région Indo-Pacifique sont resserrés). Mais Paris estime que les ambassades et conseillers de défense des pays-membres peuvent assurer très bien les tâches d'un bureau de liaison. Recourir à un bureau permanent reviendrait à envoyer un mauvais signal, un signal qui ajouterait à une confusion déjà palpable. 

A quel point est-ce une erreur stratégique au regard d’une part de la menace chinoise et d’autre part de nos liens privilégiés avec certains pays d’Asie du Sud-Est, dont le Japon ?

Il ne me semble pas qu'il s'agisse d'une erreur stratégique et il est nécessaire de remettre cette décision dans une juste perspective : un bureau n'est pas un organe opérationnel mais pourrait délivrer, par sa seule création, un message "excessif" qui ne va pas forcément dans le sens de la paix ! A nouveau, l'Asie n'est pas dans le spectre géographique de l'OTAN et il n'y a aucune raison justifiée pour étendre son rayon d'action à l'Asie de l'Est. On se souvient dans la région que l'OTASE (Organisation du Traité de l'Asie du Sud-Est, 1954 - 1977, présentée comme le pendant asiatique de l'OTAN) n'a pas bien fonctionné pour toute une série de raisons et a discrédité l'approche pro-militaire des pays occidentaux. A nouveau, la décision du président Macron paraît juste et appropriée : il ne faut pas tout mélanger et établir des correspondances systématiques entre les théâtres européen et asiatique. Les enjeux militaires en Asie méritent une attention particulière et différentes stratégies (Indo-Pacifique / QUAD / AUZUS) tentent d'y répondre. Nous maintenons une présence militaire en Asie, avec des partenariats privilégiés et engagés auprès de certains pays en Asie du Nord-Est (Japon) comme en Asie du Sud-Est (Singapour, Malaisie, Vietnam et de plus en plus Indonésie et Philippines). L'objectif de la France, qui a des ressources limitées, est de continuer à approfondir la confiance, pas d'éparpiller ses ressources. En outre, la forte présence, pour ne pas évoquer la prédominance, des Etats-Unis au sein de l'OTAN pourrait aussi biaiser les jeux et la lecture des enjeux ainsi que nos propres intérêts.  

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Quelles conséquences pourraient avoir cette décision sur la coopération entre la France et les pays d’Asie, à commencer par le Japon ?
D'après mes contacts, les réactions sont positives : les pays d'Asie (Asie du Sud-Est principalement) craignent avant tout d'être entraînés dans un conflit qui les dépasserait et sur lequel ils n'auraient aucune maîtrise; les souvenirs de la Guerre froide sont encore chauds. L'obsession américaine d'une concurrence chinoise les angoisse : non seulement ils seraient sommés de choisir leur camp mais ils n'auraient aucune influence réelle sur des opérations qui les concernent directement. Personne n'est dupe sur les intentions chinoises de défier la prédominance américaine dans la région : mais une réponse frontale est-elle la meilleure tactique face à un acteur qui joue le temps long, voire très long, et qui a des ressources importantes ? Discuter et préparer une riposte adaptée leur paraît plus cohérent. C'est sur ce point-là qu'il faut les aider et, à ce titre, notre contribution vise à améliorer leur niveau de sécurité en maintenant un engagement visible et clairement interprétable (cf le respect de la libre circulation maritime par exemple). Pas en attisant des jeux dangereux dans un contexte déjà inflammable. 

Emmanuel Macron est connu pour sa tendance à courtiser la Chine, à tout le moins à la ménager. Est-ce une erreur de stratégie ?
Il semble effectivement que lors de sa dernière visite officielle à Pékin, Emmanuel Macron soit tombé dans l'offensive de charme tendue par Xi Jinping. Et c'est fort regrettable car, sur la base de l'analyse de la stratégie et des modes opératoires du président chinois, le président avait été largement prévenu de cette tactique. Paraître en position d'influence (le président Xi Jinping sait flatter les orgueils et induire en erreur sur l'intérêt qu'on représente) et espérer des gains économiques pour nos entreprises ne justifie pas cette démission de la part d'un président avisé. Sa déclaration sur Taiwan était malvenue et n'a d'ailleurs pas été bien accueillie sauf par Pékin qui en a fait son miel. Taïwan représente un enjeu d'abord symbolique et cristallise au final, la rivalité systémique entre monde "libre" et monde "autoritaire". De quel côté nous positionnons-nous ? Au-delà du discrédit jeté sur les positions européennes, l'ambivalence du président Macron a fait douter de nombreux partenaires de la France en Asie : son orgueil a eu un coût réel en termes de crédibilité et d'image de la France. Il aurait eu une réponse subtile et avisée, cela lui aurait permis de gagner le respect du président Xi Jinping et le respect de nos partenaires. 

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