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Sommet de l’Otan : l’Europe saura-t-elle transformer le choc Trump en electro-choc de survie ?
©SAUL LOEB / AFP

Taquin

Donald Trump au sommet de l'Otan en enchaîné les déclarations choc sur l'Allemagne s'attirant l'ire générale. Pour autant, n'est-ce pas lui qui met l'Europe face à ses contradictions et pointe les vrais problèmes?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Fidèle à lui même, Donald Trump n'aura pas attendu l'arrivée de ses partenaires de l'OTAN pour mettre la pression, notamment en déclarant que Berlin était "totalement contrôlée par la Russie", en référence au Nordstream 2. "Nous Américains devons défendre l'Allemagne de la Russie, tandis que la première paie des milliards à la seconde et l'aide ainsi à s'enrichir (...) Ce n'est pas normal!». Une attaque qui s'ajoute à celles qui avaient pu viser Berlin et ses excédents commerciaux, source de déséquilibres macroéconomiques mondiaux. Paradoxalement, ne peut-on pas voir Donald Trump comme un potentiel "sauveur" de l'Europe, en forçant ses élites à affronter les véritables problèmes de l'Union ?

Edouard Husson : Il faut repartir de ce qui se passe lors de la réunification de l’Allemagne en 1989-1990. L’Allemagne de l’Ouest de l’époque ne veut pas voir émerger une Allemagne de l’Est démocratique indépendante. Elle veut absorber cette dernière. George H.S. Bush donne le feu vert, à une condition: que l’Allemagne ainsi réunifiée appartienne à l’OTAN. Dans les années qui suivent, pourtant, l’Allemagne se comporte comme si elle n’était plus dans l’Alliance Atlantique: elle ne cesse de faire baisser la part de PIB qu’elle consacre à la défense. Elle en est aujourd’hui à moins de 1%. Presque trois décennies plus tard, Donald Trump qui, mettant, derrière les apparences, ses pas dans ceux de Barack Obama, abandonne la politique impériale des USA et revient à une politique d’intérêt national, ne voit pas lpourquoi continuer à assurer la défense de l’Allemagne: elle préfère investir ses exécents commerciaux dans la prise de participations dans des entreprises américaines ou dans la construction d’un oléoduc relaint directement la Russie à l’Europe occidentale plutôt que dans la particpation à l’effort de défense occidental commun. Donald Trump parle soudain aux Allemands la langue que les Allemands parlent à leurs partenaires européens. C’est cela qui les surprend: depuis la fin de la Guerre froide, ils croyaient ne plus avoir à rendre de comptes aux USA. C’était oublier qu’ils demandent encore aux Américains d’assurer leur défense. Vu de Washington , la hiérarchie européenne n’est pas celle de l’Union européenne: regardez comme Trump a tendu la main à Emmanuel Macron qui se trouve être à la tête du pays qui fait, proportionnellement à son PIB, le plus gros effort de défense en Europe occidentale. Ensuite, je ne suis pas sûr que Trump veuille faire le bien de l’Europe à sa place: il est trop respectueux du principe de souveraineté des Etats pour cela. Enfin, je ne crois pas qu’il soit dans l’intérêt des Européens , en particulier des Allemands, de se couper de la Russie. Ce n’est pas l’intérêt des Etats-Unis non plus, d’ailleurs, qui ne devraient pas continuer à pousser Moscou vers Pékin. 

Quels sont ces dossiers que Donald Trump osent affronter et que les européens préfèrent éviter ? 

Les points de désaccord sont nombreux. Et ils sont largement liés au fait que l’Europe, de par les mécanismes de décision propres à l’Union Européenne, est effroyablement lente à s’adapter au monde tel qu’il est. Regardez la question des relations avec Israël. L’Union Européenne critique la politique palestinienne de Tel Aviv comme si on en était encore à la fin des années 1990. Entretemps, Israël a fait plusieurs propositions de règlement du conflit, a évacué la bande de Gaza et vu s’y installer le Hamas et se trouve bien plus vulnérable face à l’Iran que lorsque l’Irak et la Syrie étaient des Etats solides. Pourquoi l’Europe et les Etats-Unis ne pourraient-ils pas se rejoindre dans une politique d’alliance intelligente avec Israël? Au lieu de subir la crise de l’espace géopolitique méditerranéen comme elle le fait, pourquoi est-ce que l’Europe ne s’entend pas avec les Etats-Unis pour la construction d’un nouvel ordre méditerranéen? Pourquoi l’Europe n’aurait-elle pas une relation d’équilibre des puissances avec la Russie, à laquelle Trump semble se ralllier? Avoir un partenariat équilibré avec la Russie ne signifie pas être dépendante d’elle sur le plan énergétique comme l’Allemagne qui, par idéologie, est sortie de l’industrie nucléaire sans que la technologie des énergies renouvelables soit suffisamment avancée ni bon marché et se trouve obligée d’acheter massivement du gaz russe pour ne pas perdre la face. Pourquoi l’Europe se condamne-t-elle à avoir une politique monétaire malthusienne au lieu de mettre la monnaie au service de la croissance comme le font les Etats-Unis? Comment l’Europe peut-elle croire, dans un monde d’Etats souverains ,que l’on puisse peser en quoi que ce soit sur les affaires internationales sans qu’il existe une « défense européenne » digne de ce nom? Comment l’Allemagne, qui dit croire au commerce international, peut-elle ne pas jouer le jeu traditionnel de l’économie ouverte: cela implique non pas d’accumuler les excédents mais de les dépenser ou de les investir?  Vu de Washinfton, les questions sont nombreuses. Et n’importe quel président américain aurait fini par les poser.  Ne confondons pas les provocations de style de Trump et la réalité des rapports de force entre Américains et Européens. 

En quoi la pression mise par Donald Trump pourrait aboutir à une prise de conscience ? Cette prise de conscience pourrait-elle aboutir elle même à un renforcement, ou à délitement de l'UE ? 

Premier scénario: les dirigeants européens font front contre Donald Trump. Il les réconcilie à ses dépens. C’est peu probable parce que l’Europe est divisée sur beaucoup de sujets. Deuxième scénario, aussi improbable, les Européens s’entendent avec Trump, en faisant abstrction de sa personne pour se rendre compte que n’importe quel président américain se poserait ces questions tôt ou tard du point de vue des intérêts nationaux américains. En fait, le dialogue entre Européens et Américains est impossible parce que les conceptions budgétaires respectives sont à l’ opposé: l’Allemagne a fait triompher au sein de l’Union Européenne, et plus particulièrement de la zone euro, une vision très restrictive. Franchir les 2% du PIB consacrés à la défense pourrait amener plusieurs pays à dépasser les plafonds de déficit autorisés par les traités européens. Quant à 4%, ce ne serait possible qu’après la fin du système de l’euro. Le débat est très significatif de la différence fondamentale entre les Etats-Unis, où la monnaie est au service de la croissance et de l’investissement et l’Europe où l’activité écvonomique est soumise à l’exigence de stabilité monétaire.  Dans tous les cas, Trump a un impact immédiat en concentrant ses critiques sur l’Allemagne: il pose la question de l’efficacité du leadership allemand en Europe. L’Allemagne devient du coup plus vulnérable dans les discussions internes à l’UE. 

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