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"Le personnel politique contribue largement à dégrader l'usage du français."
"Le personnel politique contribue largement à dégrader l'usage du français."
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Brigade du style, bonjour

Pour Christian Combaz, les usages les plus impropres en français ne sont pas dus aux journalistes qui les propagent mais aux décideurs dont ils s'inspirent, et dont le langage s'est considérablement dégradé depuis trente ans.

Christian Combaz

Christian Combaz

Christian Combaz, romancier, longtemps éditorialiste au Figaro, présente un billet vidéo quotidien sur TVLibertés sous le titre "La France de Campagnol" en écho à la publication en 2012 de Gens de campagnol (Flammarion)Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Eloge de l'âge (4 éditions). En avril 2017 au moment de signer le service de presse de son dernier livre "Portrait de Marianne avec un poignard dans le dos", son éditeur lui rend les droits, lui laisse l'à-valoir, et le livre se retrouve meilleure vente pendant trois semaines sur Amazon en édition numérique. Il reparaît en version papier, augmentée de plusieurs chapitres, en juin aux Editions Le Retour aux Sources.

Retrouvez les écrits de Christian Combaz sur son site: http://christiancombaz.com

Voir la bio »

Le personnel politique contribue largement à dégrader l'usage du français. Aurélie Filippetti comme les autres. Les usages les plus impropres en français ne sont pas dus aux journalistes qui les propagent mais aux décideurs dont ils s'inspirent, et dont le langage, depuis trente ans, s'est dégradé jusqu'à l'absurde.

L'un des cas les plus sévères est celui de Laurent Fabius, qui pratique l'invariabilité du pronom relatif depuis ses débuts en politique et qui n'a jamais cessé en quarante ans de carrière de traiter la syntaxe avec désinvolture, à peu près autant que Martine Aubry ou Ségolène Royal ce qui donne à peu près les mesures sur lequel le Sénat doit voter demain , le gouvernement prépare des réformes sur lequel j'attire l'attention etc.  Bah, me dira t-on, c'est une inadvertance ponctuelle, et une conclusion hâtive. A quoi je réponds qu'après quarante ans nous ne sommes plus dans la hâte ni le ponctuel , et qu'une chose épatante dans la société de l'indexation est que tout est disponible sur internet, il suffit de vérifier.

Un jour par exemple on s'apercevra qu'Aurélie Filippetti a terminé sa lettre inaugurale aux agents de son ministère par merci à vous, ce qui témoigne d'un niveau de formation consternant pour la titulaire d'un tel poste. Le à vous , issu du langage des caissières américaines tient à introduire une réciprocité quand le client remercie la dame en ramassant sa monnaie. Désormais il a envahi la vie sociale entière et la réciprocité est complètement oubliée. Non contents de se souhaiter une excellente fin de matinée comme on dit dans  la Grande Distribution, nos contemporains rajoutent à vous comme ils l'ont entendu à la radio et comme hélas, la ministre de la Culture, qui devrait être la gardienne du temple, les invite à le faire désormais. Il n'y aurait d'ailleurs rien d'étonnant à ce que Mme Filippetti pratique  le même sectarisme à l'égard du beau français que le ministère des Affaires étrangères, à qui est confiée la tâche de défendre notre langue hors frontières et dont je vous cite des recommandations qui datent de 2008.

Nous séparer de ces stéréotypes qui ont pu être nos alliés dans le passé, mais nous renvoient aujourd’hui une image étriquée et promouvoir
- Le français, langue en liberté (vs la « police » de la langue, le repli) : langue des banlieues, sms, blogs
- Le français, à la pointe d’une movida (vs « la culture patrimoniale ») : slam, cultures urbaines, mangas
- L’excellence sportive (vs  « une langue féminine, formelle et chic »)

Je ne résiste pas à la tentation d'ajouter, à ce chapelet de crétineries la citation d'un télégramme diplomatique relatif aux “journées du Réseau Culturel français à l'étranger”qui ont eu lieu à Paris le 16 juillet 2009 : Peut-on encore défendre l'idée que la transmission de la pensée et du savoir-faire français passe obligatoirement par l'apprentissage de notre langue ?

Balayons avec mépris une objection liminaire : d'après la date nous étions en pleine ère sarkozyste mais l'argument selon lequel les ridicules de cette prose, qui vient d'entrer dans les annales de Google à cause de moi, appartiennent à la droite ne tient pas un instant parce qu' à l'époque, au sein des ambassades européennes les plus prestigieuses, dans les dîners qui réunissaient le directeur du lycée français, des attachés culturels, de coopération, des directeurs et des agrégés de toute sorte, on désignait le président de la République avec dédain comme le nabot, ce qui témoigne du fait que les auteurs de ces propos avaient à la fois l'âme grossière et le coeur à gauche. A présent revenons au fait que l'apprentissage de la pensée française, pour le ministère des Affaires étrangères et pour celui de la Culture qui l'inspire largement, ne dépend plus de celui de notre langue. Voilà qui se vérifie toujours davantage. L'emploi du mot juste, par exemple dans l'expression c'est juste pas correct, dérivé de l'anglais le plus fatigant, est plébiscité en ce moment par nos hommes politiques, y compris et surtout à droite. Mais l'analyse de cette altération de notre langue par l'anglais, la définition d'une politique de résistance, la surveillance de tout ce qui provient du Québec, véritable cheval de Troie de l'anglicisme, sont entièrement négligées par le ministère de la Culture pour les raisons que vous pouvez lire plus haut. Il ne faut pas donner l'impression que l'on est dans le repli. Le souci de la forme est féminin, il vaut mieux lui préférer les valeurs sportives (on croit rêver, surtout quand on entend le français des footballeurs), et la grammaire relève plus ou moins du patrimoine, c'est à dire, rappelons-le, qu'elle n'est pas culturelle, car le ministère de la Culture distingue désormais patrimoine et culture. Par exemple une exposition Carpeaux est du patrimoine, un bocal d'urine signé Ben est de la culture.

S'étonner que la France ne réagisse pas au fait que la commune de Montréal multiplie les panneaux pas de parking en tout temps,( traduction littérale et stupide de no parking at all times), réclamer que les doublages et les sous-titrages des films californiens ne soient pas réalisés au Canada pour être importés chez nous, avec à la clé des dialogues du genre"tu dis ça pour vrai? Are you telling this for true? s'émouvoir d'entendre employer l'expression américaine too cool ou just too cool (trop bien, juste trop bien) dans des téléfilms financés par l'argent public, c'est pencher pour la police de la langue et compromettre la politique du français en liberté, qu'on se le dise.

En tout cas grâce aux efforts de Google pour ramener chacun à ses véritables responsabilités le rôle qu'aura joué Aurélie Filippetti en faveur du bon usage du français (ou dans l'accélération de sa chute) sera analysé longtemps après la dissolution du gouvernement . J'aime à penser que ce texte fera partie du dossier.

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