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Une photographie prise à la Bourse de New York.
Une photographie prise à la Bourse de New York.
©Johannes EISELE / AFP

Jusqu'ici tout va bien...

La forte contraction de la masse monétaire et les difficultés dans les secteurs du crédit et de l’immobilier devraient-elles nous alarmer ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Sommes-nous en train de passer à côté des signes avant-coureurs d’une énorme crise économique et financière et notamment au regard de la contraction de la masse monétaire ?

Don Diego de la Vega : De fait, on en parle, on voit les éléments se mettre en place pour la crise, mais on ne fait rien, si ce n’est continuer à monter les taux d’intérêt, qui est la chose à ne pas faire. C’est en réalité la crise la plus téléphonée du monde, elle est programmée, presque voulue – si l’on se réfère à la politique de taux. Il y a effectivement une chute libre de la masse monétaire : M1 en zone euro et M2 aux Etats-Unis.

Pourcentage de variation par rapport à l'année précédente corrigé des variations saisonnières de l’agrégat monétaire M2 aux Etats-Unis.

Pourcentage de variation par rapport à l'année précédente corrigé des variations saisonnières de la l’agrégat monétaire M1 en zone euro.

Donc, maintenant, on rentre en crise, cela va notamment être douloureux sur le crédit et l’immobilier. C’est évident mais on ne fait rien. D’habitude on vend les actions, ce qu’on ne fait pas là car on fait confiance aux entreprises. Et du côté des banques centrales on a l’impression que perdu pour perdu, elles continuent à monter les taux. Cela change des dernières crises où nous n’avions soit rien vu du tout, soit tenté des choses pour l’éviter. Là on ne réagit pas. C’est l’échec total et définitif du Policy mix contracyclique en Occident. On a arrêté de faire une politique budgétaire adéquate et en politique monétaire nous sommes visiblement mêmes prêts à accélérer face à l’iceberg.

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Certains estiment que le resserrement n’est pas grave car nous sommes encore au-dessus des niveaux de 2020, sur M2 aux Etats-Unis. Mais le problème, c’est qu’il y a une chute qui n’avait jamais été observée depuis la crise de 1929. Et le principe de précaution devrait nous inciter à arrêter de monter les taux.

Historiquement, une contraction de la masse monétaire de cette ampleur est-elle toujours synonyme de crise ?

Oui, il n’y a pas de faux négatif. Un resserrement monétaire c’est toujours grave en T+1 ou T+2, sauf quand le resserrement monétaire est nécessaire. Il y a eu des époques où c’était le cas. Parfois un peu trop violent, comme en 1982, mais ils ne se traduisent pas des rebonds en 1983 et 1984. Mais depuis 40 ans, les resserrements monétaires sont synonymes de récessions qui auraient pu être évitées. Mais ça dédouane les banques centrales et enrichit les banques commerciales. Ce n’est donc pas une perte pour tout le monde.

Mais il n’y a pas qu’un indicateur qui le montre. Le taux de change aussi.  

Taux de change au comptant du dollar américain en euro (DEXUSEU)

Pour avoir une bonne vision des conditions monétaires il faut cumuler taux de change et taux d’intérêt. A cela il faut rajouter la dépentification de la courbe des taux, qui nous indique depuis longtemps l’arrivée d’un ralentissement aux Etats-Unis. L’inversion de la pente de la courbe des taux est le meilleur indicateur conjoncturel. Il n’y a pas eu de croissance depuis un an, on a fait 0, les Américains ont une croissance résiduelle.

Selon un graphique de Rexecode, le jugement des ménages français sur l'opportunité de faire des achats importants a atteint en avril son troisième niveau le plus bas jamais enregistré depuis 1975. Qu’est-ce que cela témoigne ?

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Il faudrait sans doute normaliser ce graphique, préciser ce qu’on appelle achat important. Mais c’est un indicateur intéressant qui montre effectivement la tendance. Normalement, avec ces chiffres, on demande à la BCE d’arrêter de monter des taux. Mais comme elle est devenue indépendante, on ne peut plus lui demander.

Les gens vont probablement se tourner vers le cash, faire le gros dos. Cela va créer une demande de monnaie au moment où l’offre sera limitée. Tout cela va annihiler les prévisions de Bercy qui estiment qu’il y aura de la croissance en 2023 et 2024.

Est-ce que la crise est inéluctable ?

Il y a des signaux qui montrent que tout n’est pas joué. Sur le marché action, il y a des signaux qui montrent que le marché veut encore y croire. Les ménages américains arrivent dans cette crise avec des poches relativement pleines, ce qui pourrait servir à réduire l’intensité de la crise. Par ailleurs, le rebond chinois post-covid profite à toute la planète, même si on le paie cher sur les matières premières. Il est donc encore possible d’éviter une crise de type 2008. Mais ce serait bien plus rassurant si on arrêtait de monter les taux, et même, si on le pouvait, de les baisser avant la fin de l’année. C’est ce qu’aimerait le marché. Sans nouveau choc (type Ukraine) et avec des taux qui cessent de monter, cela peut n’entrainer qu’une petite récession. Le problème, c’est que nous sommes en période de vulnérabilité et que, par ailleurs, cela accroit notre dépendance à la Chine. Nous qui ne cessons de prêcher la souveraineté nous sommes mis dans une situation ou la dépendance de l’économie mondiale aux cycles économiques chinois sera maximale à l’hiver prochain. Le CAC 40, c’est à 40% du luxe, donc avec une dépendance au jour le jour aux consommateurs chinois.

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En résumé, rien n’est joué, mais le scénario devrait nous inciter à nous battre contre toute nouvelle hausse de taux. La BCE semble vouloir mener les taux courts à 3.75. Si on entre en récession avec ces taux et un euro à 1.20, c’est échec et mat.

Après avoir ralenti en mars, l'inflation est repartie à la hausse en avril (5,9%) en France, selon les premières estimations publiées ce vendredi 28 avril par l'Insee. Qu’en penser ?

Ces chiffres devraient nous indiquer que nous sommes en stagflation. Ce n’est pas le cas. Le CPI est un très mauvais indicateur, qui a de la latence. Il n’y a pas de croissance, mais l’inflation est statistique. Il y a une dérive des coûts qui est liée à l’absence de gain de productivité depuis 4 ans, en France et dans la zone euro.

Les membres du directoire de la BCE semblent décidés à continuer la hausse des taux. Quand seront-ils convaincus d’arrêter ?

Difficile à dire. L’évolution de l’inflation va surtout dépendre de l’évolution du baril. Le CPI est un traqueur stupide de l’évolution du pétrole et du gaz. Si ces indicateurs montent, l’inflation fera de même et la BCE voudra continuer à monter les taux. L’inflation statistique rétrocède depuis 9 mois aux Etats-Unis. La zone euro a traditionnellement six mois de décalage.

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