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Sommes-nous en slumpflation ?
Sommes-nous en slumpflation ?
©Philippe HUGUEN / AFP

Pire que la stagflation

La récession économique et la forte inflation font planer le spectre de la slumpflation. L’augmentation du niveau des prix et des salaires cohabite avec une réduction prolongée du niveau de production.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Comment osez-vous écrire ce mot incompréhensible, alors que François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, vient clairement de déclarer le 23 mai : « ramener l'inflation à 2% d'ici 2024… il ne s’agit pas seulement de notre prévision, c’est notre engagement ». Ceci, au moment où l’inflation atteint 4,8%,  donc « nettement inférieure à la moyenne de la zone euro – nous sommes autour de 5% alors que la moyenne de la zone euro est à plus de 7 », comme quoi la lutte contre l’inflation est plus présente que jamais, mais ce qui n’est pas très gentil pour les autres pays, qui en ont plus. 

Mais voici que le Gouverneur ajoute : « depuis le premier jour de l'invasion de l'Ukraine, les Européens et les démocraties en général, ont fait un choix économique courageux. Nous savions que ça signifierait moins de croissance, plus d'inflation, mais d'une certaine façon, c'est le prix à payer pour défendre nos valeurs, pour défendre l'Ukraine et sa liberté. » C’est donc parler de guerre et de plus d’inflation, au risque de moins de croissance : n’est-ce pas, sans oser le dire, parler de slumpflation ?

Slumpflation, ce mot valise serait-il donc la synthèse qui correspond le mieux à notre risque présent, risque que nous refusons de voir, et plus encore à nos décisions futures : accepter plus d’inflation, pour des raisons géopolitiques – gagner la guerre en Ukraine, et sociales – gagner la paix salariale ? C’est tout à fait possible. « Slump » renvoie à : baisse de l’activité et « flation » à : montée des prix. Nous sommes ainsi dans une phase inflationniste, qui paraît demeurer vive, forte et rapide. Les prix ont monté de 9% au Royaume-Uni sur un an, de 7,4% en zone euro et de 8,3% aux États-Unis, trois pays où les Banques centrales sont engagées à délivrer 2% d’inflation, comme répétait le gouverneur pour la zone euro. « Flation » il y a donc, mais « slump » n’est pas loin, avec une croissance en ralentissement au Royaume-Uni à 0,8% au premier trimestre 2022, très faible à 0,3% en zone euro et à -0,3% aux États-Unis. 

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Pire, pour sortir de l’inflation, on nous dira en théorie qu’il faut augmenter les taux d’intérêt et/ou les impôts et/ou réduire les dépenses budgétaires, donc qu’il faut diminuer la croissance. Sauf qu’elle est déjà faible, à tel point que l’économie entrerait en récession, avec une telle médecine, surtout fiscale. La slumpflation est donc cet état instable qui combine une poussée inflationniste à un ralentissement économique en cours, les deux étant supposés se neutraliser. Des erreurs de politique économique peuvent enkyster l’inflation, au risque de « désancrer » les anticipations inflationnistes, ce qui est l’horreur pour la politique monétaire et les banques centrales, ou faire empirer le ralentissement voire la récession, devant la baisse du pouvoir d’achat, ce qui est l’horreur pour la politique budgétaire. Il faut donc faire attention.

Mais d’où vient donc ce mot valise, combinaison polie de ces deux horreurs dont on ne parle pas ? De la conférence Nobel faite en 1976 par Milton Friedman, où il parle de la conjonction du chômage et de l’inflation, avec une inflation en hausse et surtout plus volatile, liée à une inertie des salaires, qui devait se corriger ? Ou plutôt, bien avant, en 1974, du premier choc pétrolier qui surprit tout le monde, fit monter les prix, pesa sur la croissance mondiale et marqua la fin de Bretton Woods, le lien entre or et dollar ? Autrement dit, c’était l’entrée dans une phase d’inflation contrôlée par les banques centrales, avec en réalité la montée d’un endettement qu’elles maintiendraient (artificiellement) bon marché. Et c’est bien ce qui se passe !

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La guerre d’Ukraine va-t-elle nous faire entrer dans une violente slumpflation ? On voit un choc pétrolier, plus un choc gazier, plus un choc des prix du blé, plus un choc des dépenses d’armement, avec le Covid-19 qui alimente une inflation salariale, notamment dans les services, sachant que le Covid freine des chaînes de production et embouteille les ports, donc accroît les risques inflationnistes.

Comment se prémunir contre ce risque majeur de slumpflation ? D’abord en en parlant, en faisant sortir ce mot de sa boîte. On comprendra mieux les risques qu’il y a à mener des politiques partielles : augmenter fortement les salaires pour soutenir le pouvoir d’achat, bonne façon de faire accélérer l’inflation, donc les demandes de hausses de taux d’intérêt, au risque de faire davantage chuter l’activité par exemple. Ensuite en expliquant qu’il faut mener des actions conjointes et modestes sur les salaires et les taux, de façon que les tensions se neutralisent dans le temps. Mais nous vivons plus qu’un choc énergétique et alimentaire : un choc géopolitique mondial ! Ceci impliquera notamment des actions militaires et écologiques, un mélange auquel nous ne sommes pas habitués, avec beaucoup de dépenses. Mais, encore une fois, si l’on tait la dangerosité de la situation actuelle, la slumpflation, il n’y a aucune chance qu’elle s’améliore par elle-même.

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