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Six mois après, une course de lenteur en Ukraine ?
©FADEL SENNA / AFP

Analyse

Il y a six mois, le 24 février, la Russie agressait à nouveau l’Ukraine. Que ce 24 août soit aussi le jour de l’indépendance de l’Ukraine depuis 1991 et celui des massacres de la Saint-Barthélemy en 1572 n’est peut-être pas si fortuit. Il y a six mois, ayant sous-estimé des avertissements anglo-saxons cette fois-ci crédibles, beaucoup de chancelleries européennes, atterrées, enterraient par avance l’indépendance de l’Ukraine; elles craignaient un écrasement militaire total de Kiev dans la semaine, suivi d’un gouvernement fantoche.

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski est Diplomate européen, auteur de « Paradoxes des populismes européens » et du « Traité du Toasteur ».
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La divine surprise d’une résistance ukrainienne farouche, déterminée et efficace devait conduire à un sursaut occidental général : régime de sanctions sans précédent contre la Russie, livraison significative d’armements précis et égalisateurs, traitement plus sérieux et adéquat de la question de souveraineté énergétique et alimentaire…

Aujourd’hui le conflit semble s’installer dans la durée. Les parties adverses, sous le signe de David et Goliath, font un calcul similaire, qui peut conduire à une course de lenteur empruntant aussi bien à Pénélope qu’à Sisyphe, aux Horaces et Curiaces qu’au « lièvre et à la tortue ».

Dans cette guerre d’usure, quels sont les calculs de Poutine ? Essentiellement jouer sur la fatigue politique et l’attrition militaire, en travaillant aussi les opinions publiques occidentales, en divisant les pays membres de l’Union européenne ; en jouant encore sur les effets pouvoir d’achat et inflation dans l’Ouest ; en consolidant enfin ses gains auprès des opinions des pays émergents et en voie de développement par une propagande active sur « le deux poids, deux mesures » et les risques énergétiques et alimentaires. Cette stratégie de grignotage, multiforme et globale, concerne aussi sur un plan militaire  en premier lieu l’ensemble du Donbass.

En face, les calculs de l’Ukraine empruntent parfois une démarche proche, avec plus d’opportunisme guerrier et d’ambition pragmatique, dans un effort de reconquête très graduel : cette entreprise vise Kherson, à une moindre échelle le Donbass, et même directement la Crimée, avec dans ce dernier cas de récents succès psychologiques autant que militaires. Les attaques contre des bases aériennes, des dépôts de munitions, les lignes logistiques d’approvisionnement, les QG et des ponts stratégiques montrent clairement la voie aux touristes russes et aux troupes d’occupation.

Dans ce contexte, l’Ouest a maintenant compris que l’heure n’était certainement pas à la recherche d’une solution diplomatique, déséquilibrée car imposée. Il convient alors d’affiner le régime de sanctions, de travailler l’opinion russe et d’accroître les livraisons d’armes à l’Ukraine, sur un plan quantitatif comme qualitatif. Plus de diplomatie donc, mais un risque certain d’inscription du conflit dans la durée, un risque d’enlisement et de solution de facilité pourtant défavorable à l’Ouest : cette course de lenteur peut en effet déboucher sur un nouveau « conflit gelé »,  par essence favorable à la Russie qui restera maître du temps et rythmera des cesser-le-feu non respectés et des provocations militaires et politiques.                                                     

Quel accélérateur pourrait modifier cette course de lenteur ?

Côté russe, une défaite militaire symbolique de l’Ukraine à grand renfort de tirs d’artillerie sur des places stratégiques comme Odessa ou Kharkiv, ce qui semble aussi incertain à ce stade que l’emploi pourtant régulièrement agitée du nucléaire tactique. Un dérapage incontrôlé sur le nucléaire civil à Zaporijjia changerait aussi la donne, comme des attaques massives contre Kiev ou la direction Ukrainienne. Plus probable sera une intensification des campagnes pour la conquête du narratif auprès des opinions européennes et occidentales. Le récent rapport d’Amnesty International assimilant victimes et bourreaux a montré les effets d’un tel travail. Les élections en septembre en Italie, puis en Bulgarie, voire en Grande-Bretagne, puis les mid-terms aux États-Unis pourraient s’inscrire directement dans cette lignée.

Côté ukrainien, une victoire à Kherson ou une destruction du Pont de Kertch changerait, à tout le moins militairement, la donne.

Pour l’UE et les Etats Unis, cela implique  une reconquête active et rapide du narratif, perdu dans les pays émergents et chancelant à l’Ouest. Un isolement effectif et durable de la Russie sera difficile à atteindre. Mais en définitive, ce sera l’opinion russe elle-même qui décidera ou non d’un « regime change ». Elle est actuellement contrôlée, verrouillée, réprimée, passive dans les grandes villes et acquise au pouvoir dans les campagnes. Un renforcement de mesures bien calibrées à la fois incitatives et répressives à l’attention de l’opinion russe est hautement souhaitable. C’est dans ce contexte que s’inscrit la question d’une éventuelle interdiction, ou à tout le moins d’une limitation des visas européens aux Russes, comme le propose raisonnablement la Finlande. Tout ce qui pourra enfin pousser les autorités russes à la faute, c’est-à-dire les contraindre à la mobilisation générale, doit être encouragé. La livraison de nouveaux types d’armes (munitions ATACMS, défenses aériennes...), le renforcement de la formation militaire, des inflexions sur les volontaires et formateurs sur place, pourront aller dans ce sens. Les pertes russes sont déjà significatives (80.000 morts et blessés d’après le Pentagone). Une mobilisation russe générale conduirait enfin à un réveil de l’opinion par un renouveau des « Mères de soldats ». Une porte serait alors ouverte à une alternance imposée de l’intérieur et qui, contrairement à des craintes entretenues, serait moins chaotique que l’état du monde que cherche à nous imposer Poutine.

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