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Sincérité budgétaire : le Sénat lève involontairement le voile sur la dette cachée de l’Etat
©BERTRAND GUAY / AFP

Boulette hors bilan

Au Sénat, le récent débat sur la " Prorogation de l'état d'urgence sanitaire " a donné lieu à un imbroglio financier intéressant à rapporter ici.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Il est opportun de décrire les conditions du rejet d'un amendement rédigé par Nathalie Goulet, vice-présidente de la Commission des Lois du Sénat.

Avant de situer le contexte de cet amendement, il convient d'énoncer deux préalables.

L'Unedic et la dette hors-bilan

L'Unedic va devoir s'endetter du fait de la redoutable crise de l'emploi qui commence à se traduire dans les faits. Déjà lestée par une dette de plus de 43 Mds, il est clair que cet organisme, partie intégrante de notre modèle social et paritaire français, ne pourra lever des lignes d'emprunts qu'avec la garantie de l'État.

Autrement dit, les engagements financiers de l'État vont s'alourdir de 20 voire 25 Mds additionnels. Comptablement, ils ne feront pas partie de la dette au sens de Maastricht égale à près de 120% du PIB et légèrement inférieure à 2.700 Mds d'€uros. Ils rejoindront les quelques 4.500 Mds de la dette implicite, dite hors-bilan qui regroupe les cautions et garanties accordées par l'État. Le premier poste étant les engagements en faveur des pensions et retraites des agents publics.

L'article 40 de la Constitution 

Selon cet article : " Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. "

Ainsi bridée, l'initiative parlementaire doit être – a minima - neutre au regard de l'équilibre budgétaire.

L'amendement déposé par la Vice-Présidente Goulet

Il vise, dans le cadre du projet de loi portant " Prorogation de l'étatd'urgence sanitaire " à compléter l'article 3 terdecies par un paragraphe ainsi rédigé : " Pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire pour les entreprises du voyage et d'événementiel, un décret fixe les conditions de substitution des garanties personnelles données par les dirigeants de ces entreprises par une garantie de l'État. "

La justification de cet amendement

" L'État a donné une garantie de plus de 7 milliards à Air France, le montant de ses engagements hors-bilan s'élève à plus de 4000 milliards.

Il serait injuste que les entreprises du tourisme et de l'événementiel qui sont menacées dans leur existence même par la crise sanitaire ne soient pas soutenues. 

A cet égard, l'État pourrait envisager dans des conditions fixées par décret de substituer les garanties personnelles des dirigeants à sa propre garantie.

Cette substitution de garantie serait un signe fort de soutien à un secteur vital pour l'économie française menacé de disparition par la crise sanitaire. "

Rejet de l'amendement et discussion de fond

L'amendement Goulet a été déclaré irrecevable par la Commission des Finances au motif qu'il " aggrave une charge publique au sens de l'article 40 de la Constitution ".

Si l'on s'en tient fidèlement à l'esprit de la décision de la Commission des Finances, cela clôture le débat sur la pleine matérialité de la dette hors-bilan que certains jugent utile de remettre en cause au motif que l'État est éternel et que cette dette ne serait pas exigible.

Comme en attestent des rapports de la Cour des comptes et le rapport de la Sénatrice ( UDI ) Goulet du 21 novembre 2019 alors membre de la commission des Finances et Rapporteur général des Engagements financiers de l'État

https://www.senat.fr/rap/l19-140-313/l19-140-313.html 

on trouve des cas où l'alourdissement de la dette hors-bilan a été réalisée au moyen d'habiletés comptables.

Ainsi, tout récemment, il a été mis en place un programme de prêts garantis par l'État ( PGE ) à hauteur de 300 Mds d'€uros. La garantie portant sur 90% du nominal – le risque bancaire net est donc mathématiquement plafonné à 10% - via le relais opérationnel de BPI France.

A ce jour, 130 Mds ont été consommés. Lorsque le terme de ces prêts surviendra, il y aura nécessairement et hélas un taux de sinistralité donc un appel en garantie de l'État. Pour l'heure une somme a été, conformément à la rectitude budgétaire, provisionnée. Elle rejoint la masse des " Engagements financiers de l'État "…

En conclusion, le recours à l'article 40, hic et nunc, était une façon de ne pas répondre sur le fond à la question du marasme sectoriel signalé mais pose une question de principe : toute aggravation de la dette hors-bilan doit-elle être validée via le prisme constitutionnel de l'article 40 ?  Est-ce toujours le cas ?

Évoquant récemment la dette publique, Christine Lagarde a jugé opportun de déclarer : " La dette est une question qui ne pose pas maintenant ".

Autant dire qu'un jour viendra où elle se posera, de gré ou de force. Dette explicite ( de 2700 Mds ) et dette implicite, dite hors-bilan.

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