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Silence radio sur l’actu, passage à tabac au GUD, voyage catastrophique de Marine Le Pen au Canada : quels risques prend le FN à déserter le champ médiatique ?
©Capture d'écran ibtimes.co

Roue libre

Le Front national essuie les revers: visite désastreuse au Canada, diffusion d'une vidéo montrant la violence de militants du GUD... Pourtant, le silence médiatique de Marine Le Pen est peut être sa meilleure arme.

Jean-Yves Camus

Jean-Yves Camus

Chercheur associé à l'Iris, Jean-Yves Camus est un spécialiste reconnu des questions liées aux nationalismes européens et de l'extrême-droite. Il est directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et senior fellow au Centre for the Analysis of the Radical Right (CARR)

Il a notamment co-publié Les droites extrêmes en Europe (2015, éditions du Seuil).

 

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Atlantico : La visite au Canada de Marine Le Pen a été un échec à tous points de vue: refus des politiques de la rencontrer, manifestations antifascistes, annulations de réservations hôtelières, et réactions acerbes dans la presse à sa critique de la politique d'immigration de Trudeau. Mais au-delà de ces déconvenues, cette visite ne marquerait-elle pas un véritable retour à la diabolisation du parti ? Marine Le Pen ne peine-t-elle pas à rendre crédible la dédiabolisation du FN à l'international ?

Jean-Yves Camus : Je ne dirai pas ça, car il y a eu des déplacements à l'international plus réussis, notamment en Italie. Ceux en Russie ont suscité beaucoup de commentaires, mais ils se sont très bien passés. Le problème de ce voyage au Canada, c'est qu'on ne voyait pas la logique derrière le déplacement. Lorsque Marine Le Pen se rend aux Pays-Bas ou en Italie, on comprend bien que c'est pour voir M. Wilders ou la Ligue du Nord. De même pour la Russie: elle y rencontre des personnalités de l'appareil d'Etat ; on sait exactement pourquoi elle y va et qui elle y voit. Le problème du Canada et du Québec, c'est qu'il n'y existe aucun mouvement proche du Front national, et ce pour une raison simple: la société canadienne est basée sur une forme de multiculturalisme, effectivement très vivement débattu - on se souvient des nombreux débats qui avaient entouré la fameuse loi sur les accommodements raisonnables - mais le Canada sans l'immigration, le Québec sans au minimum la coexistence des différents apports de population qui se sont greffés sur la population souche, c'est tout bonnement inimaginable. C'est un déplacement qui manquait de cohérence dès le départ.

Médiapart a diffusé cette semaine des vidéos de l'agression d'octobre de l'ancien président du GUD, Edouard Klein, par son successeur, Logan Djian. Les images sont très violentes: on y voit Klein nu, couvert de sang, un couteau sous la gorge. Au-delà de cette violence, la proximité de Djian avec Frédéric Chatillon et Axel Loustau, mis en examen pour financement illégal de parti politique l'année dernière, ne remet elle pas sur le devant de la scène les activités potentiellement frauduleuses du parti ? Est-ce préjudiciable pour l'image du parti en vue de 2017 ?

Il s'agit là d'une affaire de droit commun, qui a fait l'objet d'une plainte. Je n'ai pas les informations judiciaires nécessaires pour apporter une réponse certaine, mais c'est une affaire qui sera résolue lors de l'instruction. La vraie révélation de Médiapart, et qui est à mettre au conditionnel, concerne le paiement de la caution, qui aurait été payé par une personne ayant des responsabilités au sein du FN. On reste ainsi dans une histoire de violence, et pas une histoire d'argent: ce n'est pas le parti qui a payé, il n'y a pas eu de malversation. Une personne physique a payé la caution, et c'est son droit le plus strict.

C'est donc un problème d'image, non pas en soit, mais quand on le replace dans le contexte plus général de tout ce qui a été écrit sur les liens entre ce groupe de militants et le Front national. Mais ce n'est certainement pas la première fois que des articles de presse sont publiés sur ce type de liens. Quel en est l'effet? Force est de constater que ça n'a pas, pour l'instant, poussé Marine Le Pen à prendre publiquement ses distances avec les gens venus du GUD, encore moins à rompre les liens qu'elle a avec eux. Je constate que ce type de révélations n'ont pas d'effet politique sur le FN, et c'est précisément ça qui interroge: normalement, lorsqu'un parti est indirectement touché par des faits de ce genre, ça produit quand même à un moment donné un effet, une prise de position ou une prise de distance. Là non. La raison pour laquelle le Front national ne prend pas ses distances est assez simple: toutes ces affaires ne touchent pas ses électeurs. Pour cela, il faudrait d'abord qu'ils soient au courant, et surtout que cela les conduisent à reconsidérer leur vote. Ce n'est pas le cas, car les raisons pour lesquelles ils votent FN sont toujours les mêmes, et qu'ils attachent finalement davantage d'importance à ce que dit le Front national sur l'immigration, la sécurité ou l'Europe, qu'à ce type d'affaires.

"Vous me verrez peu cette année", avait déclaré Marine Le Pen dans ses vœux à la presse après les élections régionales. La présidente du Front national semble se tenir à cette stratégie de silence médiatique, absente sur les sujets importants du moment, comme le projet de loi El Khomri ou les attentats de Bruxelles. Cette stratégie est-elle réellement viable, ou est-ce une erreur politique ? N'est-ce pas un risque de renvoyer les électeurs récemment acquis vers la droite républicaine, ou de laisser la place sur la scène politique à sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen ?

Je pense que c'est viable. Le FN s'exprime sur la loi El Khomri par d'autres voix, et sur les attentats, il n'y a rien à dire. Il n'y a qu'à laisser l'actualité travailler pour le Front national. Il n'est pas nécessaire de rajouter un énième communiqué de presse pour crier son horreur face aux attentats de Bruxelles. Il me semble finalement beaucoup plus intelligent de laisser doucement infuser dans la tête de la population que ces attentats ont un lien direct avec une partie de la population: avec l'islam radical, ou avec l'islam tout court. Les gens constatent d'eux-mêmes que certains des auteurs ou des complices des attentats de Paris et Bruxelles ont emprunté la route des migrants venus du Moyen-Orient, et comme toutes les idées, elles font leur chemin toutes seules.

Je pense que Marine Le Pen aura beaucoup d'occasions pour s'exprimer lors de la campagne présidentielle proprement dite, elle n'a pas tort de s'économiser. Elle va probablement laisser la droite se déchirer autour de sa primaire, et ça non plus elle n'a pas besoin de le commenter.

Les dernières déclarations de Marion Maréchal-Le Pen lors d'une intervention télévisée étaient très claires sur le fait qu'elle faisait allégeance à sa tante. Elle a expliqué que celle-ci était à l'origine de son engagement politique, et qu'elle parlait en fait dans sa ligne et en son nom. Certes, elle fait entendre une petite musique différente au plan des valeurs sociétales et du libéralisme économique, mais pour l'instant, les stratégies de la tante et de la nièce sont complémentaires et non pas antagonistes.

Enfin, à la lumière de ces déconvenues diverses, quelle stratégie Marine Le Pen peut-elle adopter pour rebondir ? N'est-ce pas déjà un peu tard ?

Elle n'est pas obligée de se jeter dans la bataille présidentielle tout de suite. Une campagne présidentielle, c'est terriblement long, il faut économiser ses forces. Je ne suis pas persuadé que le capital de sympathie du Front national soit particulièrement écorné. Il est vrai qu'il y a eu un échec aux élections régionales par rapport à l'espoir de gagner les régions. Il est également vrai que sa victoire à la présidentielle de 2017 me semble impossible, sa présence au second tour plus probable. Ce qu'on peut dire, c'est que la période clé pour le FN n'est pas la présidentielle de 2017, mais la préparation de la suivante, celle de 2022. En effet, le grand problème du Front national est toujours le même: c'est d'être seul, de ne pas avoir d'allié. Pour qu'il finisse enfin par avoir des alliés à droite, il faut que la droite du gouvernement explose. Elle ne peut exploser que par une défaite, ou alors en 2022 après un nouveau quinquennat qui n'aura pas rempli les promesses faites aux électeurs.

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