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Sidaction 2016 : comment 25 ans de campagnes publiques de prévention exclusivement fondées sur la peur du VIH ont semé la confusion dans l’esprit des jeunes d’aujourd’hui
©Reuters

Emotion, piège à cons ?

Si les campagnes publiques de prévention du sida ont fonctionné au début, l'immense publicité pour le préservatif qu'elles représentent ne prend plus aujourd'hui... Et le constat est d'autant plus inquiétant qu'il n'a pas été jugé nécessaire d'expliquer les comportements vraiment à risque ; juste d'effrayer.

Pr Henri Joyeux

Pr Henri Joyeux

Henri Joyeux est chirurgien cancérologue et chirurgien des hôpitaux, professeur honoraire de chirurgie digestive et de cancérologie à la faculté de médecine de Montpellier. Il a publié de nombreux ouvrages consacrés à l'écologie humaine, notamment sur l'alimentation. Parmi ses dernières publications, "Vaccins, comment s'y retrouver ?","Tout savoir pour éviter Alzheimer ou Parkinson" (en collaboration avec Dominique Vialard) et le best-seller "Changez d'alimentation".

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Atlantico : Alors que s'ouvre aujourd'hui le Sidaction 2016, beaucoup de médias ont mentionné le sondage Ifop sur "Les jeunes, l'information et la prévention du Sida". Mais la plupart se contentent de s'alarmer de la baisse du nombre de jeunes qui disent avoir "peur" du Sida (76%, contre 81 à 83% entre 2009 et 2015). La seule mesure du degré de peur inspirée par le Sida n'est-elle pas insuffisante pour évaluer la perception que les jeunes ont de cette maladie ? Et n'est-il pas paradoxal de souhaiter que les gens aient toujours plus peur ?

Pr Henri Joyeux : La peur est une mauvaise conseillère. Elle est utilisée pour médicaliser l'émotion ou pour soutirer de l'argent à ceux qui ont peur, du sida, des cancers... Les publicitaires sont très forts pour exploiter les peurs et en tirer de l’argent. Pendant ce temps la prévention ne progresse pas vraiment en France : 7000 à 8000 nouveaux cas certains de Sida de plus par an, 40 000 qui ne le savent pas et un doublement du nombre de cas pour les 15-24 ans. C’est l’échec de la prévention. Qui dira cette évidence qu’il vaut mieux prévenir que traiter quand on sait que le traitement coûte à la communauté générale 1000 à 1500 euros par mois et par malade et qu’il y a en permanence 150 000 personnes à soigner soit chaque jour 150 millions d’euros dépensés en France ? 

La prévention des infections sexuellement transmissibles est possible. Elle passe par une information adaptée à l’âge qui démarre à 4 ans et finit à 20. Or la seule information que l’on donne aux jeunes et qui est très insuffisante est le préservatif. Ils l’utilisent de moins en moins et quand ils l’utilisent cela ne suffit certainement pas. A aucun moment on explique aux jeunes garçons et filles ce que c’est que l’amour et la sexualité, que l’amour est premier, prioritaire et que l’amour est une construction qui demande du temps, de la confiance, et pas un sexe qui cherche un autre sexe.

Si les jeunes sont moins nombreux qu'auparavant à utiliser systématiquement un préservatif ou encore à faire un test de dépistage à la suite d'un rapport non protégé, est-ce vraiment aussi grave qu'il y a 25 ou 30 ans, quand l'épidémie n'avait pas encore été maîtrisée en Occident ? Ne pourrait-on pas reconnaître que les risques ont également diminué, par souci d'éviter un effet de saturation contre-productif face au discours alarmiste hérité des années 1980 ?

Ce que les statistiques nous disent c’est que les messages de prévention ne marchent pas et qu’au fond tout le monde s’en fout.. On fait rêver depuis 40 ans avec le vaccin, mais rien ne vient, sauf les traitements qui ont bien progressé mais qui stagnent malgré des sommes vraiment colossales destinées à la recherche. On ne guérit pas du sida.

Avant de risquer d’attraper le sida, par la drogue ou la sexualité, il est utile d’aider les jeunes à réfléchir. Quelle est cette personne avec laquelle je vais peut-être avoir une relation intime ? Est-ce une pulsion qui m’attire, est-ce l’angoisse qui me pousse à avoir une relation sexuelle ou à consommer telle ou telle drogue ?… Se poser de telles questions, c’est déjà une prévention qui évite une relation avec un inconnu en recherche plus de sexe que d’affection vraie. 

Alors que les jeunes sont toujours aussi nombreux à avoir été informés sur le Sida en milieu scolaire (87%, comme en 2009), et même de plus en plus souvent (42% plusieurs fois, contre seulement 29% en 2009), comment expliquer qu'ils aient tant de mal à comprendre cette maladie et son mode de transmission (20% pensent qu'on peut l'attraper en s'embrassant, et 17% croient que la pilule du lendemain empêche la transmission du VIH) ? A-t-on trop misé sur la quantité de campagnes d'information au détriment de la qualité ?

Ces informations n’ont pas atteint leur but, parce que les jeunes ne les sentent pas justes. On leur explique la ”balistique coïtale” alors qu’ils attendent qu’on leur explique ce que c’est que l’amour, et où se situe la sexualité dans la vaste espace de l’Amour. 

Les jeunes informés en milieu scolaire le sont presque aussi souvent par un intervenant extérieur (42%) que par un professeur de SVT (43%). En quoi cela remet-il en cause l'idée que l’Éducation nationale ou des associations seraient les mieux placées pour alerter efficacement les jeunes sur ce sujet ?

L’intervenant extérieur a plus de facilités, car il est justement à l’extérieur, donc on peut tout lui dire. L’anonymat est extrêmement important avec les jeunes. Je rencontre des jeunes dans les établissements scolaires publics et privés depuis 1982, je leur laisse mon mail et j’ai bien mesuré l’aggravation de la situation chez les garçons et plus encore récemment chez les filles. 

Tous se croient obligés d’avoir un ”petit copain” ou une ”petite copine” et de coucher très vite, avec alors qu’ils se connaissent à peine.

Les jeunes jouent aux adultes mais évidemment cela ne marche pas. 

Il y a beaucoup de souffrances chez les jeunes du fait de relations affectives et sexuelles immatures. Il faut le leur dire avec beaucoup de délicatesse, mais en restant vrai, en ne les manipulant pas. Or aujourd’hui beaucoup de jeunes sont manipulés par les médias, par des gourous adultes eux-mêmes en recherche de l’amour, qui leur disent n’importe quoi sur la sexualité. 

Personnellement j’interviens dans les établissements scolaires du primaire au lycée par 5 conférences, deux dans le primaire (CP+CE1 et CE2+CM1 et 2), deux dans le collège (6ème et 5ème où j’explique la puberté des garçons et des filles ensemble, et 4ème et 3ème, où je traite des bouillonnements de l’adolescence... et croyez-moi cela ne bouillonne pas au même endroit chez les mecs et les filles, bien que..) et une grande conférence pour tous les lycéens dont le thème est « Je suis amoureux, tu es amoureuse ??? ».

J’ai une grande confiance dans les jeunes, mais à condition de leur expliquer clairement, sans langue de bois, ce que c’est que l’amour et ils posent alors beaucoup de bonnes questions. Voilà la vraie prévention.

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