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Si les Français voulaient vraiment d’une coalition des partis traditionnels, ils sont déjà exaucés : toutes ces mesures sur lesquelles droite et gauche s'opposent alors qu'elles finissent par faire la même chose
©Reuters

Alliés de fait

Dans un sondage Odoxa pour le Parisien, 68% des sondés estiment qu'une coalition entre la gauche, le centre et la droite serait une démarche constructive.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Christophe  Naudin

Christophe Naudin

Christophe Naudin est criminologue, docteur de la Sorbonne, chercheur enseignant pour l’Université Paris II Panthéon-Assas. Spécialisé dans la lutte contre la criminalité identitaire et le terrorisme aérien, il est également formateur pour la police nationale et la gendarmerie nationale. Il a exercé pendant 20 ans dans de nombreux pays sur les 5 continents, dans le cadre de la coopération technique policière et de défense.

 
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Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Imposition, politiques de relance, prestations sociales, retraites... Droite et gauche font-ils la même chose en matière économique lorsqu’ils sont au pouvoir ?

Nicolas Goetzmann : Cette question mérite un rapide rappel historique. En 1974, Jacques Chirac est premier ministre et oriente le pays vers une politique de relance keynésienne, c’est-à-dire que celle-ci est financée par une hausse des dépenses publiques. Ainsi, entre 1974 et la fin de l’année 1980, les dépenses publiques sur PIB progressent d’un niveau de 39% pour en arriver à 46%. L’arrivée de Raymond Barre au poste de premier ministre en 1976 ne changera pas grand-chose à cette tendance. Puis, François Mitterrand prend le pouvoir pour mener une politique…Keynésienne qui va faire progresser le niveau de dépenses publiques de 46% à 50% entre 1981 et 1983. On se rend compte alors que le diagnostic était erroné, et le pays arrive à un point de rupture.

A partir de 1983, avec le tournant de la rigueur, c’est un libéralisme "à la française" qui va doucement s’implanter. Les deux familles politiques basculent de logiciel de pensée. D’une part, la politique monétaire devient stricte, sur le modèle de la Bundesbank, et d’autre part, les comptes de la nation vont être regardés d’un peu plus près. Cette politique va s’accentuer avec le retour de Jacques Chirac en 1986, qui parvient à réduire le niveau de dépenses sur PIB de 51.46% en 1986 à 50% à la fin de l’année 1988. Puis, c’est au tour de Michel Rocard de prendre la main, et celui-ci va mener une politique d’orientation sociale libérale, avec la création du RMI ou le rétablissement de l’impôt sur la fortune.

A la fin de l’année 1992, le référendum sur le traité de Maastricht va avoir une influence considérable sur les années suivantes. En imposant des critères stricts sur la politique monétaire et sur la politique budgétaire, les marges de manœuvres économiques vont devenir beaucoup plus faibles pour les décideurs, qu’ils soient de droite ou de gauche. Tout se passe comme si la classe dirigeante voulait se prémunir contre ses propres méfaits, en dégageant les véritables leviers de l’action économique hors de sa portée. Dès lors, la capacité à créer des marqueurs entre les deux bords politiques devient bien plus difficile à imaginer, les différences ne peuvent se faire qu’à la marge. Il s’agit ici de la raison principale de la perception, par la population, que droite et gauche font la même chose. Parce que les grands axes macroéconomiques sont effectivement identiques.

Il existe cependant des différences qui restent profondes, la gauche a mis en place les 35 heures alors que la droite a introduit la loi Tepa (le paquet fiscal de 2007). Les orientations budgétaires ne suivent pas les mêmes priorités, mais restent "dans le cadre". Ainsi, après la forte hausse des déficits publics consécutive à la crise de 2008 ; le gouvernement Fillon a choisi de mettre en place une politique de hausse d’impôts. Et celle-ci a été suivie et accentuée sous la Présidence de François Hollande. Ici, les divergences ne portent pas sur l’aspect macroéconomique, puisque le taux de prélèvements obligatoires progresse dans les deux cas, mais sur la question de savoir qui paye. C’est sur cette question que les oppositions se forment, et non pas sur la question de savoir s’il est opportun, ou non, de faire progresser le taux d’imposition pour réduire les déficits.

Le meilleur exemple reste les dépenses. Sur ce point, la gauche affiche un bilan neutre depuis 20 ans, parce que les dépenses sur PIB ont baissé sous Jospin et progressé sous Hollande, pour un résultat nul. Concernant la droite, le total depuis 20 ans est de +3% de dépenses publiques sur PIB. Si l’on veut remonter plus loin, c’est-à-dire depuis 1974, la droite a "poussé" la dépense publique de 11 points de PIB contre 7 points pour la gauche. Ce qui correspond à peu près à la différence de temps passé au pouvoir. Le résultat reste sensiblement identique.

Sur d’autres points, comme les retraites, il existe des différences, mais celles-ci s’expriment bien plus en période électorale que lorsque les hommes sont au pouvoir. Il s’agit de l’histoire même du quinquennat Hollande, qui assume une politique de "compétitivité" depuis sa prise de fonction, alors que ses électeurs pensaient élire l’homme du discours du Bourget, qui a été écrit par Aquilino Morelle. 

Aujourd’hui, la droite ne semble pas vouloir faire autre chose que l’orientation donnée par le couple Valls-Macron, ce qui change, c’est simplement l’intensité dans l’action, ou plus simplement, sa réelle mise en œuvre. Mais pas la direction. La droite veut aller plus loin dans la réduction de dépenses, les réformes du droit du travail, c’est-à-dire les "réformes structurelles". Cette similarité dans l’approche globale est également la conséquence du poids de l’administration, notamment de la Direction générale du Trésor, qui n’est pas sans influence sur l’orientation des réformes à mener.

Concernant la politique européenne. Depuis le Traité de Maastricht, droite et gauche se sont partagées les actions. Lionel Jospin est nommé premier ministre en ayant porté un discours de "non au Traité d’Amsterdam", qu’il signera pourtant dès le mois de juin 97, puis c‘est le non au référendum de 2005 qui finira par la signature du traité de Lisbonne, et enfin, la volonté affichée par François Hollande de renégocier le pacte budgétaire européen (TSCG) en 2012, ce qu’il ne fera pas. Il s’agit ici d’une fuite en avant politique, qui aboutit à ne laisser qu’un pouvoir marginal entre les mains des dirigeants, et ceux-ci se trouvent obligés d’accentuer des divergences plus ou moins virtuelles avant leur prise de pouvoir. Pour sortir de cette impression donnée du "kifkif", il n’y aura pas d’autre choix que de porter un projet de refonte économique européen. Sans cela, il ne pourra s’agir que de cosmétique plus ou moins visible, de discussions sur la redistribution. Même si cela n’est évidemment pas neutre, cela n’est tout simplement suffisant pour porter un réel changement de cap économique pour le pays. L’essentiel est donc de permettre l’émergence d’une pensée "hors cadre", et ce, aussi bien à droite qu’à gauche. C’est à ce prix que le débat d’idées pourra avoir lieu, et que le clivage économique droite-gauche retrouvera une réelle pertinence. 

Concernant l'immigration et les sujets qui en découlent comme l'intégration par exemple, quelles sont les positions défendues par les gouvernements de droite ou de gauche ?

Laurent Chalard : Si, au premier abord, les postures concernant l’immigration apparaissent plutôt différenciées entre d’un côté une gauche considérant que l’immigration est une chance pour la France et de l’autre une droite qui met en doute les capacités d’intégration d’une partie des populations immigrées, il n’en demeure pas moins que la politique mise en place est à peu près identique, ce qui n’a rien de surprenant puisque les politiques se reposent largement dans leurs prises de décision sur les hauts fonctionnaires, qui eux ne changent guère selon les élections. La question peut être abordée sous trois angles : les entrées d’immigrés, l’intégration et la politique de la ville, qui constitue de facto la version territorialisée de la politique d’immigration.

Au niveau des entrées d’immigrés, le premier point de ressemblance concerne la mise en place d’une action répressive qui porte sur les clandestins, que le gouvernement soit de gauche ou de droite. En effet, la politique d’expulsion engagée sous la présidence de Nicolas Sarkozy s’est poursuivie sous François Hollande, en particulier concernant les roms d’Europe de l’Est.  Concernant l’immigration légale, il existe aussi un certain consensus entre la droite et la gauche pour ne pas agir sur le volume d’immigrés légaux non originaires de l’Union Européenne entrant chaque année sur notre territoire, soit près de 200 000. Jusqu’ici, aucun gouvernement n’a appliqué une politique visant à limiter leur nombre, ce qui les distingue du Front National, qui souhaiterait ramener le nombre d’entrées légales à 10 000 personnes par an. L’hypothèse de quotas d’immigrés envisagés au début du mandat de Nicolas Sarkozy a très vite été abandonnée, étant jugée contraire aux idéaux de la République.

Au niveau de l’intégration, il est assez difficile de distinguer de réelles différences, étant donné l’attachement de nos dirigeants au caractère  Un et Indivisible de la République, ce qui sous-entend que le multiculturalisme, considéré comme la reconnaissance de la diversité de la population française consécutive de l’immigration, n’a pas sa place dans notre pays selon une interprétation rigide de la constitution. Dans ce cadre, pour la gauche et la droite, les politiques menées s’inscrivent dans une poursuite du modèle républicain assimilationniste, qui repose sur le respect de la laïcité, même si sur le terrain cela ne marche plus depuis longtemps. La création plus que maladroite d’un Ministère de l’immigration et de l’Identité Nationale sous Nicolas Sarkozy n’a pas changé grand-chose aux politiques d’intégration menées. La gauche et la droite continuent de penser que l’éducation nationale peut à elle seule faire de français l’ensemble des populations fréquentant les bancs de ses écoles, d’où les mesures portant par exemple sur l’éducation civique.

Au niveau de la politique de la ville, là aussi, les politiques menées par la gauche et la droite se ressemblent, dans le sens que la droite ne vient jamais modifier les réformes engagées par la gauche concernant cette question à chaque fois qu’elle occupe le pouvoir. En effet, la "mixité sociale", mise en avant depuis trente ans, passe par l’instauration de quotas minimums de logements sociaux dans les communes, suivant une logique utopique d’une France composée de territoires où les pourcentages de personnes d’origine étrangère seraient identiques, vision d’inspiration marxiste totalement irréaliste, qui se retrouve nulle part au monde, puisque l’être humain a tendance à se regrouper avec ses semblables. Cette politique résulte de nouveau du refus de reconnaître le caractère multiculturel de la France, qui fait que nos dirigeants utilisent l’euphémisme "mixité sociale" pour désigner la "mixité ethnique".

Qu'en est-il en matière de sécurité intérieure ? Quelles mesures les gouvernements de droite et de gauche mettent-ils en place à ce sujet ?

Christophe Naudin : Quand la gauche est dans l’opposition, le besoin de sécurité publique est forcément liberticide. C’est philosophique et idéologique. Pour la droite opposante, la sécurité est toujours négligée ou sous dimensionnée. Mais quand l’un et l’autre sont au pouvoir, les politiques de protection de l’espace publique sont globalement identiques.

La promulgation de l’Etat d’Urgence (14/11/2015), même après un attentat, n’aurait pas été acceptable, si elle n’avait pas été initiée par la gauche. Il est vrai que la droite est systématiquement soupçonnée à charge d’arrière-pensées nauséabondes (mai 1958 et 1961 par le Général de Gaulle), tandis que la gauche se perçoit toujours comme bienveillante à l’égard des libertés individuelles et collectives.

La vidéosurveillance de voie publique, évidemment liberticide ! Voir Levallois-Perret (LR). Sauf que les municipalités, y compris celles de gauche, ont vite réalisé que plus de caméras c’était plus de traçabilité judiciaire, donc plus de performance policière. Meilleure démonstration : Vaulx-en-Velin, la ville (PS) la mieux vidéo surveillée de France avec un centre de supervision urbain au top grâce à sa maire et à son prédécesseur. Rien à envier au couple Balkany.

Evoquons également le PNR (Passenger Name Record), inadmissible quand il était proposé sous l’ère de Nicolas Sarkozy, mais qui désormais devient une solution parfaitement acceptable pour les voyageurs aériens et même ferroviaires selon Ségolène Royal. Qui proteste ? Personne.

La passation de pouvoir houleuse entre Claude Guéant et Manuel Valls ne fut qu’une posture. Aucun changement en réalité : la politique initiée par l’un a connu une égale continuité sous le règne de l’autre. Seuls les mots changent et quelques responsables payent le prix de leur fidélité. Le temps politique n’est pas le temps administratif. Il serait trop compliqué de bouleverser le fonctionnement global des choses, entres autres le train-train de tous les services d’un ministère complexe. Alors pour marquer son passage d’une bien inutile empreinte, il faut jouer sur les réformes inutiles, les symboles secondaires, les accessoires politiques.

Les Français n’attendent-ils pas des vraies réformes ? Cela ne me surprendrait pas…

Et en politique étrangère ? Est-il possible de dinstinguer une diplomatie différente entre les deux ?

Florent Parmentier : Il est de coutume d’utiliser la métaphore du paquebot en matière de politique étrangère : le demi-tour sur place y est proprement impossible ; le changement de cap dépend de forces et de courants, qui impliquent d’inscrire le changement dans la durée pour que celui-ci soit perceptible et produise des effets. Et à chaque alternance, les traits prêtés au camp d’en face peuvent être reconsidérés opportunément : les révolutionnaires de la Convention voyaient par exemple d’un bon œil les congrégations religieuses à l’extérieur de la nation. La continuité de l’Etat et des engagements internationaux font le reste.

Par conséquent, il apparait évident que les différences entre une politique étrangère menée par un gouvernement de droite et un gouvernement de gauche sont à nuancer fortement. En effet, la manière de percevoir les intérêts de l’Etat n’est pas nécessairement différentes entre un gouvernement de droite ou de gauche. Aussi, les clivages peuvent se situer à l’intérieur de chaque camp : l’anti-américanisme peut être le fruit d’une extrême-droite classique, critiquant une civilisation bourgeoise éloignée de l’identité française, mais également d’un anti-impérialisme d’extrême-gauche. Il en irait de même s’il fallait décrire les clivages sur les questions européennes, où le souverainisme et le fédéralisme peuvent trouver des versions de droite et de gauche. La figure de Poutine est plus réprouvée à gauche qu’à droite, mais on trouve des personnalités anti-Poutine de droite ou des personnalités de gauche qui lui sont favorables.

C’est la raison pour laquelle, suivant les époques, les coalitions et les personnalités des dirigeants, on pourra soutenir qu’un camp ou un autre est plus sensible à la question des Droits de l’Homme, et prouver le contraire aussi rapidement en prenant un exemple inverse. Les différences tiennent sans doute davantage des idées que des actions, qui nécessitent de voir l’application d’idées dans la durée.

Si les gouvernements sont liés par les actions de leurs prédécesseurs, peut-on parler de politiques étrangères de droite ou de gauche ?

Florent Parmentier : épouser le champ des idées offre une perspective différente de l’action des gouvernements. Les différentes familles de la droite comme de la gauche défendent des visions du monde propres dont les ramifications s’étendent dans l’ordre international : une gauche libérale portera son attention sur la constitution d’institutions à même de garantir la justice internationale, tandis qu’une gauche critique pourra critiquer les rapports de forces qui structurent le système international. Une droite souverainiste s’avérera rétive au droit d’ingérence et à toute idée se rapprochant du fédéralisme européen, tandis qu’une droite libre-échangiste visera à éradiquer les entraves à la liberté de commerce.

On pourra penser que certaines idées, sur le désarmement, l’environnement, l’aide au développement ou les Droits de l’homme répondent plus à des idées de gauche que de droite. C’est là aussi discutable : le désarmement, ou plus précisément le contrôle des armements, est aujourd’hui largement partagé, tout comme le libre-échangisme si on perçoit celui-ci comme un principe d’une politique étrangère de droite. Les Droits de l’homme ont été utilisés pour lutter contre les dictatures autoritaires de droite, comme contre celles de gauche ultérieurement, notamment à partir des années 1970. Le Général De Gaulle a su aimanter les opinions publiques dans ce que l’on appelait alors le Tiers Monde, avec une fibre anti-impérialiste, comme plus tard Mitterrand n’a pas proposé d’alternative forte au système de la Françafrique hérité de Jacques Foccart.

Il y a donc des idéaux qui peuvent être plutôt considérés comme de gauche ou de droite, mais qui font partie en réalité d’un socle commun plus ou moins assumé. La longévité d’un Talleyrand au poste de Ministre des affaires étrangères s’expliquent tant par son talent de négociateur que par sa capacité à assumer la continuité de l’action diplomatique. 

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