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Shutdown : Donald Trump fait mentir les pronostics sur le coup politique de son bras de fer avec les démocrates
©NICHOLAS KAMM / AFP

Etats-Unis

Donald Trump va-t-il dans le mur en essayant de le construire ? Cela n'est pas certain...

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Un nouveau tweet de Donald Trump relatant sa rencontre avec "Nancy et Chuck" pour discuter du financement du mur entre les Etats-Unis et le Mexique, qui s'est achevée par un refus démocrate et un départ immédiat du président au son de "Bye Bye". Alors que les précédents shutdowns américains avaient pu être négatifs pour le camp républicain, que Donald Trump voit sa cote de popularité s'affaisser au cours de ces derniers jours, Donald Trump s'apprête-t-il à aller dans le mur ou sommes nous entrés dans une nouvelle phase ? 

Jean-Eric Branaa : Tout d’abord, il convient de faire une petite correction, ou d’apporter un éclaircissement, qui peut être important pour poser cette discussion sur des bases objectives: la cote de Donald Trump ne s’affaisse pas vraiment!

D’après Real Clear Politics (RCP), elle était à 42,5% le 22 décembre, jour du début du shutdown, et elle est à 42,3 aujourd’hui. Si on prend un autre intégrateur (qui regroupe les différents sondages existants) comme le site 538, Donald Trump était à 42,2% le 22 décembre et il est à 41,1 aujourd’hui. L’affaiblissement est donc de 0,2% dans le premier cas et se monte à un maximum de 1% dans l’autre, autrement dit très largement dans la marge d’erreur, d’une part, mais aussi, une variation tellement infime que je trouve étonnant qu’on utilise un verbe aussi fort « qu’affaisser » qui, dans sens premier veut certes juste dire qu’il y a une baisse, mais qui est le plus souvent compris dans le langage courant comme signifiant un écroulement.

On peut toujours argumenter en s’intéressant plutôt à sa cote d’impopularité, qui reste extrêmement forte depuis son élection et qu’il ne parvient pas à faire évoluer en sa faveur, comme on le constate aujourd’hui : 53,8 de mécontents chez RCP et 53,5 chez 53,8. Toutefois, là encore, la variation par rapport au premier jour du shutdown n’est vraiment pas significative puisqu’elle était de respectivement de 51,8 et 53,5, c’est-à-dire une poussée de 1 point chez RCP et de 0,7 chez 538.

Cette discussion revient sans cesse dans notre pays, avec des journalistes ou des observateurs qui expliquent à longueur de temps que Donald Trump subit des baisses « vertigineuses » , « brutales », significatives », à tel point que si ces commentaires étaient mis bout à bout, le président des Etats-Unis n’aurait plus un seul supporter ! Or chacun peut constater que la réalité américaine n’est pas celle-là : les élections de mi-novembre n’ont pas traduit ce pessimisme

 et le gain en postes dans un sénat qui a été conservé par les républicains a été un vrai camouflet pour ceux qui voulaient faire de ce scrutin un référendum.

Pour autant, les mêmes ne changent pas de registre et souhaiteraient trouver dans cet épisode du shutdown quelques indices des dommages irréversibles qui devraient finir par être causés à ce mandat, avant de faire chuter Trump. Peut-être convient-ils de revenir à un calme plus propice à l’observation et se souvenir que :

  1. Les précédents shutdowns n’ont JAMAIS eu le moindre impact sur la cote de popularité des présidents, du moins au-delà qu’une quinzaine de jours
  2. L’impact réel d’un shutdown est extrêmement limité dans le quotidien des Américains et beaucoup d’entre eux s’en désintéressent totalement
  3. L’image de TOUS les politiciens est grandement abîmé à chaque épisode de shutdown, sur le thème de « ce sont tous des gamins » et ils ne sont bons qu’à des bagarrer entre eux »
  4. Le Congrès est extrêmement impopulaire (19,6% de bonnes opinions et 69,6% de mauvaises [RCP du 10 janvier 2018])
  5. Les cotes personnelles respectives de Nancy Pelosi (présidente de la Chambre des représentants) et de Chuck Schumer (leader des démocrates au Sénat) sont ENCORE plus basses que celle de Trump : 33,5% d’opinions positives pour Pelosi et à peine 26,7 pour Schumer.

Plus pragmatiquement encore, on peut remarquer que la cote personnelle de Donald Trump ne bouge absolument pas depuis son élection et sa base lui reste résolument fidèle : 80% des républicains et 96% de ceux qui ont voté pour lui ne changent absolument pas d’avis. Le shutdown n’est pas un événement majeur qui fera bouger cela. 9a l’est d’autant moins que les épisodes les plus tumultueux de la présidence Trump, du Muslim Ban aux enfants séparés, en passant par le retrait de l’Accord de Paris ou Charlottesville, pour n’en citer que quelques-uns n’ont RIEN changé au soutien que sa base apporte à Donald Trump. Il n’ira donc pas dans le mur. Sauf s’il cédait.

Là, ce serait une toute autre histoire.

Quels sont encore les atouts dont dispose Donald Trump, et quels sont encore ceux que peuvent jouer Nancy Pelosi et Chuck Schumer ? Comment anticiper la suite dans une telle configuration ? 

Il me semble que les atouts de Nancy Pelosi et Chuck Schumer sont extrêmement limités, et qu’ils sont paradoxalement encore plus handicapés par la majorité démocrate qu’ils possèdent à la Chambre des représentants : car cela les expose désormais comme responsables de la bonne marche du pays, ou pas. En cas d’échec, d’une crise grave, d’un blocage trop dur et prolongé, il y a le risque que ce soit eux qui soient blâmés le plus durement. Tout se jouera alors dans la perception que le public aura de ce match et à qui il attribuera le blocage : dans l’hypothèse la plus favorable pour Donald Trump, ils seront accusés d’obstruction, c’est à dire de tout faire pour empêcher Trump de gouverner, au mépris de l’intérêt des gens. Trump répètera aussi certainement qu’ils volent ainsi le vote des ses électeurs parce qu’ils n’ont jamais accepté la défaite.

Dans l’autre cas, inverse, on ajoutera cet événement au grand nombre de frasques déjà commises par Donald Trump et tout le monde oubliera. Il semble assez peu vraisemblables qu’il y ait plus de griefs à son encontre.

Donald Trump le sait et il joue donc avec les nerfs de l’autre camp, tout en mettant en scène, comme l’ancien producteur de télé-réalité qu’il est, un scénario que tout le monde commence à lire tellement il est évident, mais que personne n’arrive à contrer dans le camp démocrate :

  1. Il a dramatisé le conflit avec une déclaration solennelle
  2. Il multiplie les initiatives, les mains tendues, quitte à les retirer aussitôt en arguant d’un blocage, d’une attitude « bornée » du camp d’en face
  3. Il va visiter le mur et montrer au pays sa réalité
  4. Le shutdown va devenir le plus long de l’histoire et ceux qui en ignoraient encore l’existence vont commencer à s’y intéresser
  5. Il va blâmer les démocrates sur les effets négatifs sur la croissance, et donc sur l’emploi, alors qu’il a ramené la prospérité dans le pays. Il va aussi se servir de tous les commentaires sur les effets au quotidien du shutdown pour réclamer que le congrès agisse enfin

Puis il va siffler la fin de la partie en accusant les membres du congrès d’incapacité à gouverner et en expliquant au pays qu’il est obligé de tout faire… tout seul.

Ce pourrait être alors la promulgation de l’état d’urgence

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