Shoah : un documentaire coup de poing signé Hitchcock refait surface 70 ans après son tournage<!-- --> | Atlantico.fr
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Une image extraite du film "German Concentration Camps Factual Survey".
Une image extraite du film "German Concentration Camps Factual Survey".
©IWM FLM

Pépite retrouvée

Le film "German Concentration Camps Factual Survey", filmé par les soldats lors de la libération des camps de la mort, a bénéficié du génie d'Hitchcock, qui en a fait l'un des documentaires les plus poignants sur le sujet. Il a pourtant été oublié pendant près de 70 ans.

En 1945, Alfred Hitchcock était un réalisateur reconnu dans le monde entier. Avec L'homme qui en savait trop (1934) ou Les 39 marches (1935), il avait déjà connu le succès critique et commercial avant le début de la Seconde guerre mondiale. C'est donc tout naturellement qu'à son niveau, il a participé à l'effort de guerre en réalisant fin 1943-début 1944 deux courts-métrages pour le Ministère de l'Information britannique, Bon Voyage et Aventure malgache. Ces films - tournés pour les Forces françaises libres - sont d'ailleurs les seuls qu'il réalisa en français.

Cette notoriété explique pourquoi, en 1945, il est engagé comme "conseiller artistique" (qui s'avèrera en fait être un rôle de monteur) pour un documentaire produit par l'Armée britannique et consacré à la Shoah.

German Concentration Camps Factual Survey (littéralement : "Enquête factuelle sur les camps de concentration allemands") a été tourné dans dix camps de concentration et quatre autres sites en 1945, au fur et à mesure de leur libération par les soldats alliés. "Ce devait être LE film qui serait montré en Allemagne après la chute du Troisième Reich – montré aux prisonniers de guerre allemands où qu'ils se trouvent", explique l'Imperial War Museums, l'organisme national de musées militaires britannique qui l'a récemment restauré.



"L'idée était de montrer le film en Allemagne pour que le public sache ce qui a été commis en son nom", résume The Telegraph.

Commandé par le Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force (SHAEF, le quartier général des forces alliées en Europe nord-occidentale), le montage du film à partir d'images filmées par les soldats britanniques, américains et russes est confié au producteur Sidney Bernstein. Celui-ci s'empresse de s'entourer de "conseillers artistiques", dont Hitchcock qui deviendra de fait "le réalisateur du film" (les mots sont de Bernstein) après qu'il a passé un mois en salle de montage.

"Le film montre le visage de la mort comme je ne l'avais jamais vu", témoigne la journaliste Hanna Kozlowska, du site Quartz. "Il montre le creusement des joues d'une femme ravagée par la faim et la maladie, le bouche ouverte d'un homme qui rend son dernier souffle, les yeux vides et vitreux de corps émaciés", décrit-elle à propos d'une scène située dans le camp de Bergen.

"Il y avait des milliers de corps partout", s'était remémoré en 1984 le Sergent Mike Lewis, caméraman britannique ayant filmé la scène. "J'ai trempé un mouchoir dans le pétrole avant de le plaquer sur mon nez, et je ne savais pas si je préférais être intoxiqué par les vapeurs de pétrole ou continuer à sentir l'odeur de la mort".

Le caméraman Mike Lewis dans le camp de Bergen-Belsen :



Pendant de longues minutes, en silence, on peut voir des soldats SS forcés par les Alliés de transporter les corps de leurs victimes vers leur dernière demeure, alors que des politiciens locaux assistent à la scène, courbés de honte, le regard cloué sur leurs souliers. Ils savaient.

"Ces longs travellings sont en grande partie dus à Alfred Hitchcock", explique Hanna Kozlowska. La volonté du réalisateur ? Que personne ne puisse accuser le film d'avoir été truqué. Le réalisateur y a aussi intégré des cartes et a voulu montrer qu'à quelques kilomètres des camps, la vie continuait comme si de rien n'était. D'où une scène où des images de prisonniers d'un camp autrichien alternent avec le rendez-vous amoureux et bucolique d'un soldat nazi, près d'un lac situé non loin.

Considéré comme "un impressionnant et important travail" par les experts, le film a pourtant été complètement oublié pendant des décennies. Certaines de ses images ont bien été utilisées pour d'autres films ; mais point de diffusions au grand public, avant sa restauration en début d'année par l'Imperial War Museums.

Peut-être le film fut-il victime de son ambition. "Faire un long film sur un sujet si important et complexe fut difficile. Après septembre 1945, les priorités pour l'Allemagne étaient passées de la dé-nazification à la reconstruction et le film fut donc rangé sur une étagère", écrit l'organisme chargé de sa restauration. "

"Il devait vraiment être une puissante et complète image du degré de destruction des gens dans le système concentrationnaire. Cela signifie qu'il a été terminé des mois après la fin de la guerre et a raté sa fenêtre de tir", explique Michael Loebenstein, chef exécutif du National Film and Sound Archive australien, qui a organisé des diffusions dans le pays.

Une autre raison est soulevée par l'éditorialiste Roger Cohen dans le New York Times. En montrant la machinerie de destruction mise en place dans les camps, "les jeunes et les vieux corps entremêlés, entassés les uns sur les autres", le film aurait pu ajouter à ce qu'il nomme "l'embarras" des alliés concernant la question juive… et renforcer la volonté des survivants de bénéficier d'une terre en Palestine, à l'époque contrôlée par les Britanniques. Finalement, passer à autre chose – la guerre froide avait déjà commencé – paraissait bien plus pratique.

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