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Seuls 16% des Français ont le sentiment de bénéficier personnellement de la politique d’Emmanuel Macron : qu’en est-il vraiment ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Turbo pessimistes

Selon un sondage BVA, la popularité d'Emmanuel Macron après deux ans de mandat s'établit à 32 %. D'après cette étude, 16 % des personnes interrogées ont le sentiment de bénéficier de la politique gouvernementale.

Eric Heyer

Eric Heyer

Éric Heyer est Directeur adjoint au Département analyse et prévision de l'OFCE (observatoire français des conjonctures économiques - centre de recherche en économie de Sciences Po).

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico.fr : Selon un sondage réalisé par BVA en partenariat avec la Tribune, seuls 16% des Français considèrent bénéficier personnellement de la politique d'Emmanuel Macron. Qu'en est-il de la réalité ? Comment estimer la proportion de Français ayant pu bénéficier, ou qui bénéficieront directement ou indirectement des mesures mises en place par Emmanuel Macron ? Ne sont-ils pas plus nombreux que ces 16% ? 

Eric Heyer : Si l'on prend en compte uniquement les mesures fiscales, il y a certainement plus de gagnants que 16%, en particulier en ce qui concerne les budgets de 2018 et de 2019. Bien entendu, on n'a pas complètement intégré les dernières mesures, comme la baisse de l'impôt sur le revenu. Mais avant ces mesures, il y avait au contraire à peu près 70% des Français qui étaient gagnants, en tout cas il y avait beaucoup plus de gagnants que de perdants, pour ce qui est des mesures fiscales.

Il est certain qu'il y a plus de gagnants que de perdants parce que ces mesures fiscales sont essentiellement financées par le déficit. Malgré le fait que les baisses d'impôt leur bénéficient directement, les Français comprennent que le gouvernement leur reprendra demain ce qu'il finance aujourd'hui grâce à son déficit, et ne se considèrent donc pas comme gagnants. Cela explique en partie les 16%. Par ailleurs, même si on annonce les baisses d'impôt, tant qu'elles ne sont pas effectives, les Français n'y croient pas non plus.

Quant aux mesures fiscales, telles que la flexibilisation du marché du travail et les ordonnances Pénicaud, le salarié a le sentiment d'être moins protégé et a donc l'impression d'y perdre. Lorsqu'il était encore candidat, Emmanuel Macron promettait à la fois la flexibilisation et davantage de protection des salariés, à travers la mise en place, d'un côté, d'ordonnances du marché du travail qui « libèrent l'économie » selon ses propres mots, et flexibilisent les salariés ; et de l'autre, la réforme du logement, de l'assurance-chômage et de la formation professionnelle, doublées de réformes qui ouvrent aux prises de droit (plus de personnes protégées par l'assurance-chômage, augmentation de la qualité des logements, permettre à tout le monde d'accéder à une relation professionnelle de bonne qualité).

On s'aperçoit aujourd'hui que si le « volet flexibilisation » a bien été mis en place, le « volet protection » est venu un peu buter sur la contrainte budgétaire, laquelle ne permet pas d'ouvrir l'assurance-chômage à tout le monde et protège moins les personnes en moyenne à cause des économies prévues sur les dépenses. L'équilibre n'est donc pas complet, ce qui peut expliquer le sentiment des Français qui ont l'impression d'avoir été, pour l'instant, plus précarisés qu'autre chose.

Edouard Husson : Machiavel, qui a tranché le lien entre action publique et morale, et qui imprègne toute la politique moderne, incite les dirigeants à maîtriser les apparences plutôt que de poursuivre le bien commun. A l’âge démocratique, cela veut dire communiquer, communiquer, communiquer. La conséquence, perverse, est que la politique devient toujours plus affaire de perception. Emmanuel Macron a obtenu 24% des voix au premier tour de l’élection présidentielle; les mesures qu’il a annoncées le 10 décembre 2018 et le 25 avril 2019 touchent un cercle plus large de Français; et pourtant seuls 16%, selon le sondage BVA publié hier, ont le sentiment d’être bénéficiaires de l’action qu’il mène! Malgré les cadeaux fiscaux, budgétaires, et le grand débat ! En fait, le président est pris au piège de sa communication et de son style de pouvoir. La politique moderne, post-machiavélienne, est aussi affaire d’individualisme. “Le Prince” conduit au triomphe de la subjectivité. Aucun de nos présidents n’a autant dit “Moi, je....”. La conférence de presse du 25 avril a tourné, avec la complicité de plusieurs journalistes, à une sorte de gigantesque psychanalyse publique. C’en était indécent. Alors que tant de Français souffrent dans leur chair des conséquences de 30 ans de politique monétaire absurde, alors que les forces de l’ordre ont pour ordre d’exercer une répression sans précédent dans l’histoire de notre république, le président a fait part de ses états d’âme, dit comme il était heureux ou bien malheureux de voir que telle ou telle chose se passât comme elle se passait. A force de tout ramener à lui, à force de “la ramener” tout simplement, le Président a sans doute, depuis deux ans, divisé par deux, ou deux et demi, ses soutiens potentiels dans l’opinion.

Quelles sont les mesures qui ont pu toucher, ou qui toucheront, le plus de Français ? 

Eric Heyer : Sans doute les mesures qui ont touché le plus de personnes sont la taxe d'habitation et le transfert de cotisations vers la CSG, qui a permis de faire un gain de pouvoir d'achat pour les salariés du secteur privé. Quasiment tous les salariés du secteur privé y ont gagné, les fonctionnaires n'y ont rien gagné et les inactifs y ont perdu. Sur ces mesures, il y a donc eu plus de gagnants que de perdants, même si les finances publics sont un jeu à somme nulle. Puisque c'était annoncé, les retraités ne se sont pas tellement plaints à ce moment-là ; ils se sont plaints le jour où ils ont appris que leurs pensions ne seraient pas indexées sur l'inflation.

D'autres mesures ont-elles pu affecter négativement les Français, ce qui pourrait venir expliquer ce chiffre , à priori restreint, de 16% ? 

Eric Heyer : Probablement la taxe carbone mais elle a été retirée. L'augmentation du prix de l'essence à la pompe touche beaucoup de personnes très vite et est une des raisons principales à la montée du mécontentement qui a déclenché le mouvement des Gilets jaunes. Le gouvernement a fait marche arrière mais le mal était déjà fait.

Réaliser une distinction entre ceux qui ont l'impression de bénéficier ou non des mesures du gouvernement ne donne-t-il pas une idée assez fidèle de la politique économique et fiscale d'Emmanuel Macron ?

Eric Heyer : Si l'on met de côté les mesures prises en réaction au mouvement des Gilets jaunes et si l'on regarde les premiers budgets qui ont été votés – ceux de 2018 et de 2019 -, les gagnants sont essentiellement les 5% les plus aisées de l'économie, avec la transformation de l'ISF en IFI et le prélèvement forfaitaire unique. Le deuxième budget est vraiment dans la ligne politique de Macron : il faut que le travail paie, il faut augmenter le pouvoir d'achat des actifs et le financer en prélevant du pouvoir d'achat aux inactifs et aux retraités, il faut taxer la rente immobilière et non la rente financière.

Pour équilibrer ces premières mesures, d'autres mesures sont de plus en plus mises en place, les mesures du 10 décembre 2018 et celles qui sont en train d'être prises par Bercy. Celles-ci visent beaucoup plus les classes moyennes, qu'il s'agisse des actifs ou des inactifs, voire les classes moyennes supérieures avec l'impôt sur le revenu et la réforme qui est en train d'être menée.

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