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Sept arguments (au kärcher) sur les retraites
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Débat

Mathieu Mucherie, l’un des piliers du réseau d’experts d’Atlantico, apporte une réponse aux points soulevés par Julien Aubert, le député LR et Président d’oser la France sur la répartition et la capitalisation.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Cet article est une réponse à Julien Aubert, député LR du Vaucluse. Dans l'article "Retraites : on peut être de droite et préférer la répartition", il répondait à un autre article de Mathieu Mucherie intitulé "Retraites : le jeu des 7 erreurs"

1/ Les deux systèmes ont des avantages et des inconvénients, aucun ne peut être "pur", et tous les deux dépendent d'une croissance future qui s'annonce peu glorieuse. Mais je maintiens que la question des incitations au longtermisme est assez centrale quand on parle de la désirabilité des deux régimes. Et il se trouve que plus on augmente l'épargne, plus on augmente la croissance future : l'accumulation du capital est une des 3 sources de la croissance (même si l'impact dans la longue durée diffère selon que le modèle de croissance est néo-classique ou endogène). Regardez l'Asie, comparativement à l'Amérique Latine… et il est d'autant plus nécessaire que les individus épargnent en France que l'Etat et nos entreprises s'endettent beaucoup (c’est une particularité très nette de notre pays au cours du dernier cycle). Léguer à nos enfants un air pur et des phoques sur la banquise, c’est bien, mais leur léguer un peu de capital, ce serait aussi très utile. Ce qui nous amène au couple rendement/risque :

2/ Le rendement futur du régime par répartition est assez bien connu, mais il est très bas. A moins d’un miracle sur le taux d’emploi ou sur la productivité (et la conjonction des deux serait encore plus miraculeuse), disons 1,5%/an en moyenne, grand max, et encore à condition que tout se passe bien (notez au passage qu’avec la répartition et un fort taux de remplacement la pression continue d’arguments migratoires devra être traitée : plus ou moins de bonne foi, de nombreux analystes diront que la démographie hexagonale n’est pas à même de porter seule à long terme cette architecture).

Le rendement futur du régime par capitalisation est quant à lui un peu moins bien connu (il va dépendre des marchés financiers), mais il est plus élevé, et il permet de capter une partie de la croissance mondiale (sans avoir à récupérer la misère du monde). Il existe un risque, si l’on considère que les marchés mondiaux sont plus incertains que la main d’œuvre française (au regard de la tension qui se renforce dans notre beau pays, c’est discutable, mais passons) ; ceci dit, ce risque peut être mutualisé et canalisé : il existe plusieurs classes d’actifs (les actions ne sont que minoritaires), il est très possible d’apporter de la décorrélation et de la convexité aux portefeuilles, et la gestion sera de long terme (ce qui permet d’investir sur de l’immobilier, des infrastructures ou du private equity, actifs moins liquides mais plus rentables que les taux souverains). Il se trouve que la France compte des établissements qui excellent dans ce type de gestion. 4%/an nets sont très atteignables (la norme historique est de 8% environ), et plus si l’on accepte un surcroit de diversification géographique. L’exemple du fonds Norvégien (plus gros actionnaire, entre autres, du CAC40...) montre en outre que nous pourrions gagner au passage en transparence et en responsabilité : audits réguliers, contrôle annuel par le Parlement, auditions, normes environnementales pour les investissements...

Pour justifier le choix de la répartition, il faut donc être très adverse aux marchés (une mauvaise santé CONTINUE de TOUTES les classes d’actifs pendant très longtemps), et/ou archi-optimiste sur la croissance potentielle en France, et/ou peu soucieux de la question du contrôle des firmes françaises par la veuve de Milwaukee et le retraité de Pasadena. Mais ne nous étonnons pas alors d’être les éternels « cocus de la mondialisation » (vous mêmes, en envoyant votre réponse par votre compte Orange, enrichissez Blackrock et Vanguard, sans le savoir...), tant que les autres accepteront du 4% (en fait beaucoup plus) et nous du 1,5%.

NB : je ne connais aucun pays fortement engagé dans une forme ou une autre de capitalisation qui souhaiterait passer à la répartition, alors que l’inverse est plutôt la règle. Cela devrait tout de même nous mettre la puce à l’oreille (même argument que pour les 35 heures). Mais l’exemple suédois est fort mal traité dans nos médias parisiens.    

3/ En ne permettant pas de bénéficier de la création de valeur entrepreneuriale, de la magie des intérêts composés et de la croissance du reste du monde, le régime par répartition en est réduit à tout miser sur son caractère « social ».

Mais dire qu'un système est individualiste et l'autre généreusement collectif, c’est commettre un contre-sens et de belles omissions. La capitalisation comporte une dimension collective car elle dépend des rendements agrégés, de la banque centrale, de la mutualisation des fonds collectifs et des assurances, etc. La répartition comporte des éléments très individualistes, comme la tendance à transférer des charges vers les plus jeunes (depuis le début ce système n’a fait qu’avantager la génération qui l’a crée), ou la gestion par les "partenaires sociaux" et autres petits arrangements entre amis. En fait, la capitalisation est moins regardante, plus imperméable aux sables mouvants (pénibilité, âge pivot…), plus aveugle en somme et, comme vous l’avez noté en regardant les frontispices de nos palais de justice, le principal attribut de la déesse justice est la cécité.

4/ Vous dites : "une reforme doit viser l'intérêt général" : mais lequel ? d'où mon point sur la fonction de bien-être sociale à maximiser ; qu'elle est la votre ? est-elle rawlsienne ? utilitariste ? nozickienne ? autre ?

La mienne est clairement utilitariste. Voilà, c’est dit. On ne devrait jamais quitter Pareto. Mais si on cherche aussi à surpondérer les intérêts des plus bas revenus, je me dis que c’est là encore un argument pour un système qui sortira du 4% contre un système qui sortira du 1,5%, car alors il sera plus facile de financer un filet de sécurité.

Dans tous les cas, je ne me sens pas disqualifié pour en parler en raison de mon appartenance au secteur privé (il faut bien que certains cotisent, dans notre beau régime égalitaire). Je bosse dans une firme d'assurance qui, comme la plupart, est agnostique sur la question et ne milite pour rien en particulier (les assureurs gagnent leur vie sur la protection, pas sur l'épargne (a fortiori depuis que les taux ont baissé). La seule action de lobbying à laquelle j’ai vaguement participé en 12 ans est un article sur la nocivité de la directive Solva2 qui a rendu l’ensemble du secteur trop courtermiste (question piège : où étaient les politiques français à ce moment là ?).  

5/ Si 230000 milliards de dettes existent, cela signifie qu'il existe 230000 milliards de créances. La question n'est donc pas le montant (d'autant que vous notez que les taux sont bas…) mais un souci de répartition (ce ne sont pas les mêmes qui portent des dettes ou des créances). Vous qui avez en tête le bien être des plus bas revenus et un grand souci de soutenabilité intertemporelle des dettes : militez pour une remise des dettes. Comme dans la Bible. Comme dans la doctrine sociale de l'Eglise. Faites pression sur la BCE pour qu'elle loge au fond de son bilan un certain nombre de dettes privées et publiques surnuméraires ou injustes ou facturées sur d’anciens taux devenus quasi-usuriers de nos jours ; et puis, elle les annulera, petit à petit, discrètement. Cette croisade, qui ne coûtera rien à personne (ce sont des dettes achetées à leur prix, sur le marché secondaire), et qui n'est pas dangereuse (il n'y a plus d'inflation), et qui serait la meilleure réponse aux crises du type « gilets jaunes » (et une bonne façon de remettre les banquiers à leur place, qui se gavent de pénalités de retard) a besoin de propagandistes : pour l’heure, nous sommes 5…. N’hésitez pas !

6/ Les taux ont baissé non en raison de déséquilibres obscurs entre l'épargne et l'investissement, mais en raison de 2 facteurs clés bien identifiés A L'AVANCE dans des milliers de pages par votre serviteur : la riquiquisation de l'inflation (fruit des efforts déflationniste de Trichet & cie), en bonne logique friedmanienne, et un changement dans la perception du temps (plus de longtermisme de la part des consommateurs), en bonne logique fisherienne. Ces deux auteurs classifiés "à droite" réclameraient probablement de nos jours un système par capitalisation, ou au moins un provisionnement plus consistant du régime par répartition (c'est ce que les USA ont fait à partir de 1983, mais nous avons en France préféré consacrer l'argent des privatisations à des dépenses courantes).

7/ Je n’encourage pas à la capitalisation, car tout l'encourage dans le monde réel sur un mode rampant, pernicieux. Je la défends dans l’ordre du discours, où tout le monde à Paris tombe sur elle hypocritement, avec des arguments d’un autre âge. Je suis distributiste, au sens de Chersterton ou De gaulle : faire en sorte de réparer le défaut du capitalisme qui est le trop faible nombre de capitalistes. La participation, plus que la capitalisation. Je ne sais pas si Facebook fait l’objet d’une valorisation hallucinante, mais j’aimerais que ce genre de débordements capitalistes soit aussi capté par notre classe moyenne qui pour l’heure ne travaille plus pour elle-même (et on ose se demander d’où vient la crise du sens !) et qui bientôt ne pourra plus que regarder passer les trains (quand il y en aura).  

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