Seine-Saint-Denis : la "misère sociale", vraiment ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des policiers s'apprêtent à procéder à des perquisitions dans le cadre d'une opération dans la cité des 4000 à la Courneuve.
Des policiers s'apprêtent à procéder à des perquisitions dans le cadre d'une opération dans la cité des 4000 à la Courneuve.
©MEHDI FEDOUACH / AFP

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Comment approcher la réalité financière de la Seine Saint-Denis ? Utile pour une fois, l'Union européenne le permet.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Dans le Journal du Dimanche du 31 janvier 2021, une enquête titrée "narcos, version française", tirée d'un ouvrage de Frédéric Ploquin [1]. Longtemps actif en Seine Saint-Denis, un commissaire retraité y décrit "un narco-département", où le trafic de stupéfiants (mais pas seulement) nourrit "une population très importante" et une "économie grise" où des bars à chicha et sandwicheries blanchissent les gras profits du narcotrafic. De là, des rachats de bars-tabac, salons de coiffure, sociétés de VTC ; même, financement de projets immobiliers d'envergure. Au point que "l'économie réelle en est déstabilisée".

Pour ce policier, cette puissance financière est telle que les caïds du narcotrafic local peuvent appâter, voire corrompre, les politiciens du cru et peser sur des décisions politiques. Ce, alors que "la justice n'a pas encore de politique pénale structurée face à ce blanchiment de basse intensité", aggravé d'une évasion massive de capitaux vers le "bled", agencée par des chinois, pakistanais, etc. experts ès-compensations transnationales.

Parenthèse : "pas encore" ? Voilà trente ans que prolifère cette gangrène criminelle. Combien de temps faudra-t-il à une justice somnolente pour prendre le réel criminel en compte ?

Dans l'affaire, le scandale le plus inouï est incapacité de l'administration française, préfectures, INSEE, ministères concernés, de considérer un seul instant le durable tsunami d'argent criminel qui déferle sur ce département. Des médias dont les journalistes enquêtent moins qu'ils ne gobent la pâtée officielle, continuant de seriner le misérabiliste refrain de "La Seine Saint-Denis, département le plus pauvre de France". De fait, voilà (pour 2017) les 8 départements métropolitains au taux (apparent) de pauvreté le plus élevé : Seine Saint-Denis, Haute-Corse, Aude, Pyrénées-Orientales, Gard, Hérault, Bouches-du-Rhône.

Comment approcher la réalité financière de la Seine Saint-Denis ? Utile pour une fois, l'Union européenne le permet. Pour clarifier les comptes publics de ses États-membres (et mieux les taxer ensuite...) EUROSTAT, l'INSEE de l'U.E., exige que ces États intègrent à leur Produit Intérieur Brut ("baromètre" de leur richesse nationale) une estimation de "leurs" transactions illicites : travail au noir, montant des contrebandes, alcool et tabac, narcotrafic et prostitution - biens et services réels, quoiqu'illégaux. (définition classique "transaction de libre choix, par accord mutuel des parties impliquées").

Après avoir ergoté sur l'aspect volontaire de ces transactions (addiction, contrainte...) l'INSEE a admis que le tout fait environ 3 milliards d'euros, de 3 à 4% du PIB français. Et nos voisins ? Dans une Italie experte ès-combinazzione, l'économie noire est à 12% de la richesse nationale.

Dans une France ainsi régulée, considérons la Seine-Saint-Denis comme une sorte d'Italie intérieure et cherchons maintenant son PIB le plus récent. Difficile : depuis une décennie (pourquoi ?) l'INSEE publie le PIB de l'Île-de-France en un seul bloc régional. C'est dans les archives de l'OCDE [2] que l'on trouve les éléments suivants [3]:

Hauts-de-Seine           :           ± 195 MD€ de PIB

Seine Saint-Denis      :           ± 73  MD€

Val-de-Marne            :           ± 68  MD€

Yvelines                      :           ± 67  MD€

Essonne                      :           ± 57  MD€

Seine-et-Marne          :           ± 49  MD€

Val d'Oise                   :           ± 41  Md€      

Ajoutons donc au PIB de six des sept départements de l'Île-de-France les + 3% de l'économie illicite, "tarif" de la France entière. Et redressons notre "Italie interne" des 12% de son modèle transalpin en combinazzione ; on a ainsi le (réaliste) PIB départemental suivant :

Hauts-de-Seine           :           ± 201 MD€

Seine Saint-Denis      :           ± 82  MD€

Val-de-Marne            :           ± 70  MD€

Yvelines                      :           ± 69  MD€

Essonne                      :           ± 59  MD€

Seine-et-Marne          :           ± 50  MD€

Val d'Oise                   :           ± 42  MD€      

De loin, la Seine Saint-Denis est ainsi le 2e département le plus riche d'Île-de-France ; en outre, le PIB des Hauts-de-Seine est faussement gonflé par La Défense, quartier où de grands groupes ont leur siège social, paient taxes, impôts, etc. Enfin, la fortune invisible du "Neuf-Trois" irrigue surtout ses fameux "quartiers sensibles", où vivent les médiatiques "misérables".

La Seine Saint-Denis, département pauvre parmi les pauvres ?

 Plus que douteux, décidément.

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*** Fact-checkers ! Toutes références & calculs à disposition sur demande.



[1] "Les narcos français brisent l'omerta", Albin Michel, février 2021.

[2] OECD - Regional economy, Gross Domestic Products, Small Regions TL3 ; l'Île de France y figure sous les nomenclatures FR102 (77) FR103 (78), FR104 (91), FR105 (92), FR106 (93), FR107 (94), FR108 (95). Dernière année disponible, 2016.

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