Sebastian Roché, le sociologue du CNRS qui voyait la France moins violente qu’en… 1300<!-- --> | Atlantico.fr
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Des policiers arrêtent un émeutier lors de débordements en marge d'une manifestation suite à la mort de Nahel à Nanterre après un refus d'obtempérer.
Des policiers arrêtent un émeutier lors de débordements en marge d'une manifestation suite à la mort de Nahel à Nanterre après un refus d'obtempérer.
©ZAKARIA ABDELKAFI / AFP

Chacun voit les chiffres à sa porte

Dans le but de démontrer la baisse des chiffres de la criminalité juvénile, le sociologue Sebastian Roché a utilisé des données remontant au Moyen Age.

Alain Bauer

Alain Bauer

Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York et Shanghai. Il est responsable du pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces et Crises (PSDR3C).
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Maurice Signolet

Maurice Signolet

Maurice Signolet est un ancien commissaire divisionnaire. Il a notamment exercé à Aulnay-sous-Bois.

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Atlantico : Pour démontrer une baisse des chiffres de la criminalité juvénile, le sociologue Sebastian Roché utilise un graphique qui remonte à 1300… Qu’est-ce qui se cache derrière cette mentalité des chercheurs qui surjouent les statistiques ?

Maurice Signolet : Un chercheur est par définition quelqu’un…. qui cherche, non pas une issue qui mettrait un terme à sa quête, mais une justification de cette quête ! Tous les chemins, surtout ceux qui présentent le plus de méandres, sont pour lui des circonvolutions intellectuelles qui vont asseoir sa crédibilité, son référencement, la pertinence de ses analyses, en omettant sciemment l’exhaustivité qu’une démarche scientifique critique exigerait. Il va donc se complaire dans ces méandres, parfois les plus endiguants, pour figer le raisonnement à son avantage, sa notoriété lui conférant une expertise interdisant la contradiction.

L’interprétation des statistiques, choisies, sélectionnées, se caractérise par des sentences qui ne sont qu’artifices si on ne les contextualise à aucune autre. Dire qu’en 1300 ...il y avait beaucoup plus d’homicides commis qu’en 2024, et en déduire que nous n’avons jamais été autant en sécurité, c’est faire un parallèle d’une rare malhonnêteté intellectuelle, mais surtout un raccourci que l’on n’accepterait pas d’un élève de CM1 ! C’est oublier les 700 ans d’avancées sociétales, éducatives, d’apaisement des mœurs, de structuration pénale et procédurale, en un mot d’ordonnancement civilisationnel qui a séparé les deux dates et qui fait que ce qui était tolérable au regard de son temps devrait apparaître comme intolérable aujourd’hui.

C’est la mise en évidence de l’intolérable, c’est à dire le ratio normalité/anormalité qui devrait servir de curseur d’appréciation statistique. Il s’agit là d’un débat philosophique qui échappe à la sociologie, celle-ci ne devant être prise que dans sa dimension énonciative, en aucun cas doctrinale. S’il y a confusion des genres, le désastre est inéluctable. Karl Marx s’est prêté à cette confusion, on en connaît l’issue !

Sebastian Roché annonce que la violence et la délinquance des jeunes en France est en baisse depuis 1999. Comment expliquer cette erreur de chiffres ?

Alain Bauer : Ce n’est pas une erreur mais une vision plus politique que statistique, un « biais » de présentation.

Si l’on prend les tendances longues, cinq siècles, le nombre brut d’homicides, tous âgés confondus, comme le rapport à la démographie (pour 100 000 habitants) a constamment baissé jusqu’à un point très vas dans les années 2010 (de 150 homicides pour 100 000 habitants à 1). Ceci est vrai aussi pour la courbe 1999/2023. Le problème est la tendance que l’on veut comparer. Plutôt que de choisir « sa » période, tant visualiser l’ensemble. Voici donc le relevé des homicides et tentatives depuis 1972. Chacun pourra ainsi tout vérifier.

Cette mauvaise interprétation des chiffres révèle-t-elle un déni de la réalité ? Sommes-nous face à un problème de lecture de la politique de réparation ? Comment ce transfert du niveau de violence impacte-t-il la compréhension de la délinquance en France ?

Alain Bauer : Ce n’est pas une « mauvaise lecture » mais une mauvaise analyse des cycles qui ont montré une très forte baisse des violences notamment homicides (en période de paix) jusqu’à 2012 mais avec des cycles assez remarquables :

2093 en 1972

1912 en 1973

3183 en 1983

1529 en 1988

760 en 2013

1023 en 2023 

Mais si l’on décompte les tentatives, qui ne sont que des homicides ratés, on passe de 948 à 2009 (plus bas historique) à 4289 en 2023. 

Ceci touche la population générale, les jeunes et même les très jeunes.

Pourquoi certains chercheurs ont du mal avec la réalité de la criminalité et ont besoin de tordre les chiffres ?

Maurice Signolet : Tout dépend de l’esquif qu’ils ont choisi pour naviguer, c’est à dire de l’idéologie aveuglante qu’ils ont épousé et qui balisera leur parcours. Dès lors leurs travaux seront exclusivement interprétatifs de cette idéologie pour mieux en asseoir la pertinence, son essaimage, son ruissellement. Le sociologue que vous citez dans votre première question est « l’inventeur », au début des années 90 du « sentiment d’insécurité » qui aujourd’hui encore fait des ravages dans la doxa dominante. Mieux, il a été l’un des concepteurs de la fameuse « police de proximité », cette aberration conceptuelle philosophico-sociologique ! J’étais à l’école des commissaires de Police dans ces années où il y dispensait des cours avec la bénédiction d’un gouvernement de gauche totalement acquis à ses préceptes. Pour expliquer le « sentiment d’insécurité » il citait un cambriolage commis dans un appartement. L’ensemble des habitants de l’immeuble, voire du pâté d’immeubles environnants, mis au fait de l’exaction commis chez ce seul résident, allait ressentir « un sentiment d’insécurité » par identification, totalement subjectif, irrationnel, infondé, et donner un effet loupe à une insécurité inexistante... De même, alors qu’il aurait été beaucoup plus judicieux de parler de « proximité policière » réelle, orchestrée méthodiquement comme un quadrillage de proximité et donc d’efficacité, la « police de proximité » devait se révéler une coproduction de sécurité mêlant le maximum de compétences, avec une appréhension globale de tous les acteurs institutionnels, la police ne devant apporter qu’une réponse parcellaire voire la moins répressive possible. Par exemple, si on avait relevé plusieurs agressions, le soir, aux alentours d’un abri bus, il fallait demander à EDF d’augmenter la puissance de l’éclairage en ces lieux , faire intervenir les services paysagistes de la mairie pour retirer les haies environnantes trop hautes qui pouvaient donner une impression d’enfermement aux usagers des transports en commun, ou voir avec la RATP s’il n’était pas possible d’éviter cet arrêt ! A aucun moment l’idée d’une sanction lourde, exemplaire, à l’égard d’un auteur interpellé ne devait être envisagée, cet acte ne pouvant être que la résultante d’un « mal être socialement imputable »… J’ai pu mesurer la dérive de cette « police de proximité » jusqu’au sein même de l’Institution policière : un gardien de la paix de mon commissariat, affecté comme responsable d’un « Centre de Loisirs Jeunes » très à la mode à cette époque, avait demandé à la Préfecture une subvention pour permettre à ses jeunes de passer le permis de conduire. Il expliquait, lors d’une réunion plénière de police de proximité, que certains jeunes roulaient sans permis, voire dans des voitures volées et qu’il serait bon qu’ils aient au moins leur permis pour éviter les accidents !! 30 ans après aucune BRAV Moto, aucune CRS, aucune Compagnie d’intervention, aucune BAC, fussent-elles dotées de tous les flash ball possibles ne pourront revenir sur des décennies d’aveuglement !

Comment expliquer que chez une partie de la doctrine universitaire, il existe une volonté obsessionnelle de niée la criminalité juvénile ?

Maurice Signolet : Pour une raison simple : l’aveuglement idéologique. Martin Heidegger disait : « l’aveuglement est pire que la cécité. Cela ne consiste pas à avoir perdu la vue, mais ne pas voir ce qui est sous nos yeux » !

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