Scandale Liberty reserve : la lutte contre le blanchiment d’argent reproché aux monnaies virtuelles cacherait-t-elle d’autres motifs moins avouables ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Certaines sociétés de transfert se sont spécialisées dans le blanchiment.
Certaines sociétés de transfert se sont spécialisées dans le blanchiment.
©Reuters

Cols blancs

L'affaire Liberty Reserve que le procureur de Manhattan a qualifié de "plus importante fraude financière jamais décelée sur Internet" est déjà en passe de devenir un scandale de grande ampleur. Entre blanchiment d'argent par le biais des monnaies virtuelles et main mise étatique, le feuilleton promet d'être riche en rebondissement.

Philippe Herlin

Philippe Herlin

Philippe Herlin est chercheur en finance, chargé de cours au CNAM.

Il est l'auteur de L'or, un placement d'avenir (Eyrolles, 2012), de Repenser l'économie (Eyrolles, 2012) et de France, la faillite ? : Après la perte du AAA (Eyrolles 2012) et de La révolution du Bitcoin et des monnaies complémentaires : une solution pour échapper au système bancaire et à l'euro ? chez Atlantico Editions.

Il tient le site www.philippeherlin.com

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L’arrêt brutal de la plateforme Liberty Reserve, la saisie de ses comptes bancaires et l’emprisonnement de ses fondateurs par la justice newyorkaise constitue un coup de semonce dont il faut bien mesurer la teneur.

Ce site de transactions basé au Costa Rica est accusé de blanchiment d’argent, la "plus importante fraude financière jamais décelée sur Internet" selon le procureur de Manhattan. Ce genre de sites, émettant leur propre monnaie virtuelle (citons aussi PerfectMoney) ou se limitant à effectuer des transactions (WebMonney, MoneyBookers, Neteller, etc.) assurent une certaine confidentialité, et donc permettent effectivement le blanchiment. Est-ce leur seule activité ? Non bien sûr, ces plateformes offrent surtout des frais de transaction très faibles, largement inférieurs au circuit bancaire.

Voici peut être le vrai problème ! Essayez d’envoyer 1.000 euros aux Etats-Unis en passant par votre banque, Western Union, ou même Paypal et vous constaterez que les frais sont prohibitifs. En passant par ces plateformes le coût s’avère nettement inférieur. Et cela, évidement, ça ne plait pas du tout aux banques et au duopole Visa/Mastercard qui engrangent de copieuses commissions sur les cartes bancaires et les virements. Ni non plus aux services fiscaux.

La monnaie virtuelle la plus connue, le bitcoin, est aussi dans le collimateur de l’administration américaine. Récemment, un agent fédéral a saisi le compte de Dwolla, la filiale de la plus importante société active sur le bitcoin, Mt Gox. Mais le bitcoin lui-même est impossible à arrêter : contrairement à Liberty Reserve pour lequel il a suffi d’investir ses bureaux pour débrancher le serveur, le bitcoin est un réseau décentralisé et autogéré, il n’y a personne sur qui mettre la main ! On peut seulement faire peur aux entreprises qui en font la promotion, comme Mt Gox. 

Pour en savoir plus sur le bitcoin et les monnaies virtuelles, retrouvez le mini-livre numérique de Philippe Herlin chez Atlantico éditions. 

Alors oui, certaines sociétés de transfert se sont spécialisées dans le blanchiment, et Liberty Reserve en fait certainement partie. Mais mettre toutes les monnaies virtuelles, au premier rang desquelles le bitcoin, dans le même sac est complètement abusif. Toutes ensembles, ces sociétés pèsent une part infime du blanchiment d’argent dans le monde. Quasiment rien comparé aux îles Guernesey qui dépendent directement de Londres, à l’Etat américain du Delaware, ou aux paradis fiscaux avec lesquels travaillent toutes les grandes banques internationales. Mais les Etats et le système bancaire parviennent à s’entendre, malgré des bisbilles de temps à autre, alors que les monnaies virtuelles comme le bitcoin échappent complètement à leur contrôle. Danger.

Les transactions étaient "anonymes et impossibles à tracer" justifie le procureur de New York (qui n’a jamais détecté Madoff mais passons) à propos de Liberty Reserve. C’est aussi le cas du bitcoin. C’est aussi le cas de l’argent liquide, lorsque vous effectuez une transaction avec quelqu’un. D’ailleurs, les banques aimeraient bien supprimer complètement l’argent liquide (qui coûte si cher à gérer) pour imposer le paiement exclusif par carte.

Il faut comprendre le véritable objectif : l’Etat veut tout savoir de vos transactions financières. Mais c’est pour votre bien, évidemment. Ensuite si cet État gère mal sa monnaie en faisant tourner la planche à billets, et donc en la dévaluant, vous n’avez rien à dire. De toute façon vous n’avez pas le choix. Si les comptes publics sont chroniquement déficitaires et que le gouvernement préfère renforcer les moyens du fisc plutôt que de faire des économies, vous êtes coincés, tant pis pour vous. Si le système bancaire vérolé de votre pays s’écroule, vos comptes seront vidés comme à Chypre et vous ne pourrez rien faire. Si l’inflation dépasse 10% comme en Argentine et que le contrôle des changes vous interdit de sortir votre argent, vous pouvez faire une croix sur l’épargne de toute une vie.

Ces craintes - justifiées - expliquent le succès des monnaies complémentaires (plus de 5.000 dans le monde contre quelques unes en 1990), des monnaies virtuelles et spécialement du bitcoin, et aussi du retour de l’or comme monnaie (désormais accepté dans deux Etats américains). Les grandes entreprises s’y mettent également comme Amazon qui a levé 3 milliards de dollars pour créer son Amazon Coin, une monnaie à destination de ses clients (et dont les transactions ne généreront donc aucune commissions pour les banques…). Avec ces monnaies, on sort littéralement du système bancaire, et on devient moins visible aux yeux de l’Etat. Deux fautes très graves.

"Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage" affirme le dicton, les monnaies virtuelles seront donc accusées de blanchiment d’argent sale. Mais on n’est pas obligé de suivre aveuglément les imprécations des gouvernements.

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