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Le drapeau des Nations Unies à l'entrée principale du Palais des Nations qui abrite les bureaux des Nations Unies à Genève, le 29 septembre 2021.
Le drapeau des Nations Unies à l'entrée principale du Palais des Nations qui abrite les bureaux des Nations Unies à Genève, le 29 septembre 2021.
©FABRICE COFFRINI / AFP

Lettre ouverte

Dans une lettre transmise à Atlantico, des diplomates et acteurs de la politique étrangère française regrettent l'absence de la France des crises mondiales contemporaines

Il fut un temps où la France intervenait comme une vraie puissance. Elle mettait des ennemis jurés autour d’une même table, scellait des accords de paix. Des conflits prenaient fin ou étaient évités grâce à elle, ou en bonne partie grâce à elle. La France engageait sa parole, celle d’un pays souverain, libre de ses choix. Des diplomates patients et expérimentés, consacraient leur vie à ces marathons diplomatiques qui, l’un après l’autre, constituaient une glorieuse politique étrangère que le monde entier regardait avec respect et admiration. 

Cette politique de pays libre et souverain, nous, diplomates, spécialistes de relations internationales, y avons contribué. En fonction des intérêts de la France, de notre analyse propre de chaque dossier, nous pouvions nous trouver soit du côté des Américains et des Anglais - dans le dossier nucléaire iranien ou coréen du nord par exemple -, soit du côté des Russes et des pays du sud – dans le dossier iraquien par exemple, à plusieurs reprises à la fin des années 90 et jusqu’en 2003. Parfois même, nous étions à la barre de négociations importantes, avec les grandes puissances à nos côtés, comme dans le dossier libano-syrien ou le dossier cambodgien au siècle dernier. 

Il y a dix jours, Emmanuel Macron s’est rendu à Moscou. À juste titre. Les résultats sont maigres. Ne lui jetons pas la pierre. Mais pourquoi y être allé si tard ? Pourquoi, l’an dernier, avoir renoncé à effectuer ce déplacement sous prétexte que des membres de l’UE ne le souhaitaient pas ? Quand admettra-t-on que la majorité de nos partenaires au sein de l’UE ne veulent pas d’une politique étrangère européenne, pas plus que d’une défense européenne, qu’ils délèguent ces encombrants attributs de la souveraineté aux Etats-Unis et que, par conséquent, ils feront toujours tout pour réduire au silence les velléités diplomatiques de la France ? La politique étrangère est affaire de pays souverain, non de conglomérat technocratique.

En 2003, Jacques Chirac et Dominique de Villepin avaient raison de tenir tête aux Américains, aux Britanniques, et à tous les Européens qui, la tête dans le sable, cautionnaient docilement les mensonges du général Powell.  Il fallait du cran pour affronter la colossale pression exercée par les Etats-Unis et tous les relais de l’opinion américaine. Et pourtant la France a tenu bon. Cela s’appelait la « politique étrangère » et des diplomates français la menaient à bien au sein du « ministère des Affaires étrangères ». Cette époque n’est pas si éloignée, mais elle appartient désormais au passé.

Cette politique étrangère de la France a disparu. Les présidences Sarkozy, Hollande et Macron l’ont, l’un après l’autre, stérilisée, détournée, dénaturée. De manière aussi incroyable que cela puisse paraître, la France, de son propre chef, a renoncé à agir de manière indépendante dans le monde ces quinze dernières années. Au nom d’une chimérique « Europe puissance », elle a cédé à la Commission européenne la direction des opérations sur des sujets cruciaux, comme la politique de sanctions économiques ou la rédaction d’accords de libre-échange. Plus incroyable encore, Emmanuel Macron, avec le Traité d’Aix-La-Chapelle, a décidé, de sa propre initiative, que la France recueillerait l’opinion de l’Allemagne - le plus puissant relais des positions américaines sur tout conflit - avant chaque prise de décision au Conseil de sécurité. Même François Hollande avait résisté à cette revendication de Berlin. Dans ces conditions, comment assumer ses responsabilités d’Etat souverain ? C’est tout simplement impossible. 

Avec l’arrogance qui est la sienne, le Président Macron a acté publiquement cet état de fait dès son arrivée au pouvoir. Depuis cinq ans, le Quai d’Orsay se dénomme désormais « ministère de l’Europe et des affaires étrangères ». Au moins, les choses sont claires. La politique étrangère qui compte à ses yeux est celle menée avec et pour l’Union européenne. Désormais, rien ne doit plus se faire hors des Européens. Toute tentative d’action diplomatique française doit d’abord être partagée et avalisée par Berlin, Bruxelles et les 25 autres membres de l’UE. C’est-à-dire in fine par Washington puisque nos partenaires dans l’UE sont quasiment tous dans la main des Américains en matière de politique étrangère.  

Jamais la France n’a été aussi absente des crises mondiales qu’aujourd’hui. Comme dans un mauvais film qui s’intitulerait « Ciel, j’ai rapetissé la France ! », nos gouvernements successifs ont rendu notre politique étrangère quasiment invisible, y compris dans des régions où nos moyens, notre action passée, notre histoire, nous donnaient une influence forte et l’écoute des gouvernants. La France a quasiment disparu du Moyen-Orient.  

La politique étrangère de la France n’est plus aujourd’hui qu’une parodie. 

Nos diplomates à travers le monde ont désormais de nouvelles instructions. Il faut faire moderne, promouvoir les tartes à la crème du moment et le faire savoir. A la défense des intérêts de la France et des Français s’est substitué la promotion de la théorie du genre, des droits des minorités et, naturellement, au changement climatique.  Un « prix de l’ambassade verte » a même été créé il y a quelques années pour inciter les ambassadeurs à concevoir des projets visant à réduire les émissions de CO2 de leur ambassade à l’étranger. C’est prouvé, la pose d’ampoules basse consommation ou la création de potagers biologiques (et bien sûr participatifs) dans l’enceinte des ambassades va contribuer à sauver la planète et à défendre les intérêts de la France. 

Réservons le meilleur pour la fin. Le Ministère « de l’Europe et des Affaires étrangères » applique désormais une « diplomatie féministe ». Ce slogan, aussi vide de sens que racoleur, est placardé depuis des mois, aux côtés de photos de pingouins et de la banquise, sur les grilles du Ministère. [Ndr : aux dernières nouvelles, les pingouins ont disparu. Le slogan est resté.] Nous sommes arrivés au terminus de la politique étrangère de la France.

Pourtant, une vraie politique étrangère demeure une nécessité vitale pour la France. De même qu’un tremblement de terre sous-marin provoque un raz-de-marée à plusieurs centaines de kilomètres de distance, les crises régionales peuvent avoir une incidence directe sur l’équilibre interne du pays. Est-il nécessaire d’énumérer les sept plaies de Tripoli qui s’abattent toujours sur la France depuis l’intervention irréfléchie du Président Sarkozy en Libye et la déstabilisation durable de cette région stratégique pour la France ?

Nous ne supportons plus de perdre notre temps dans des réunions stériles qui accouchent de communiqués européens verbeux dont le monde entier se contrefichent. Nous sommes entrés au ministère des Affaires étrangères pour défendre les intérêts et contribuer au rayonnement de la France à l’étranger, pas pour twitter toute la journée sur des sujets dérisoires. 

Nous attendons du futur Président de la République qu’il redonne à la France une vraie indépendance de jugement et d’action au niveau mondial. Il faut à la France un Président de la République qui ait une vision du temps long et mette la défense de la nation française en tête de sa politique.  Car dans le monde d’aujourd’hui, les Nations qui comptent sont celles qui s’affirment. Il nous faut surtout un Président qui ait le courage de reprendre aux fonctionnaires apatrides de la Commission européenne et du Conseil européen tous les attributs et les outils diplomatiques que les générations passées nous ont légué et que nos contemporains, particulièrement les trois derniers présidents de la République, ont bradé… pour rien. 

(MB, FS, EH, CG, PX, CB...) Diplomates et acteurs de la politique étrangère .

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