Sans Hollande ça aurait été mieux ? A quoi auraient ressemblé les 100 premiers jours de Martine Aubry à l’Elysée<!-- --> | Atlantico.fr
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Aubry à la place de Hollande : "La campagne présidentielle aurait été plus dure, plus agressivement bipolaire."
Aubry à la place de Hollande : "La campagne présidentielle aurait été plus dure, plus agressivement bipolaire."
©Reuters

Politique fiction

Habituée à la décision mais moins médiatique que François Hollande, Martine Aubry aurait pu être une présidente dans la lignée de Georges Pompidou.

David Valence

David Valence

David Valence enseigne l'histoire contemporaine à Sciences-Po Paris depuis 2005. 
Ses recherches portent sur l'histoire de la France depuis 1945, en particulier sous l'angle des rapports entre haute fonction publique et pouvoir politique. 
Témoin engagé de la vie politique de notre pays, il travaille régulièrement avec la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) et a notamment créé, en 2011, le blog Trop Libre, avec l'historien Christophe de Voogd.

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A (re)lire, le premier épisode :

Sans Hollande ça aurait été mieux ?
A quoi auraient ressemblé les 100 premiers jours de Ségolène Royal à l’Elysée


Atlantico : Martine Aubry quittera, sauf coup de théâtre, la direction du Parti socialiste après le congrès de Toulouse, fin octobre. Si elle avait été élue en 2012, à quoi aurait ressemblé sa présidence ?

David Valence : Encore une fois, cet exercice d'uchronie va nous permettre, en creux, de mieux mesurer la singularité des 100 premiers jours de François Hollande. Je pense d'abord qu'avec Martine Aubry comme candidate des socialistes et des radicaux, la campagne présidentielle aurait été plus dure, plus agressivement bipolaire... Le fantôme de 1981 aurait été beaucoup plus présent et les observateurs étrangers auraient probablement écrit que la France n'était, politiquement, pas encore sortie des années 70 !

Pendant la campagne, François Hollande a nettement posé "sa" différence avec Nicolas Sarkozy sur la forme, et moins radicalement sur le fond. N'oublions pas qu'il était, après Manuel Valls et Jean-Michel Baylet, le moins à gauche de candidats à la primaire. Martine Aubry se serait, elle, opposée à Nicolas Sarkozy sur le fond comme sur la forme, avec une implacable netteté. Du coup, elle aurait eu un peu de mal à apparaître comme une présidente rassembleuse.Sa victoire aurait, plus profondément  que celle de François Hollande, été une victoire de "la gauche" sur "la droite". ;

Durant la primaire socialiste, Martine Aubry a implicitement accusé François Hollande d'être "mou". La gauche de Martine Aubry aurait-elle été vraiment moins molle que celle de François Hollande ? 

Je pense que, présidente de la République, Martine Aubry aurait moins communiqué sur la modestie du nouveau pouvoir que François Hollande ne l'a fait. Par goût, par expérience et par conviction, elle aurait renoué avec cette "rareté de la parole présidentielle" qu'avait théorisée Jacques Pilhan pour François Mitterrand et Jacques Chirac. Cela ne l'aurait pourtant pas empêchee de "mettre le nez" dans des dossiers très techniques, de rendre des arbitrages nombreux : contrairement à François Hollande et à Ségolène Royal, Martine Aubry a exercé des fonctions ministérielles de premier plan. Elle a la passion de la loi, le goût des dossiers et l'habitude de la décision.

J'imagine assez bien l'équilibre institutionnel subtil qui se serait imposé avec elle : une présidente qui décide beaucoup mais sans s'exposer trop médiatiquement, comme Georges Pompidou autrefois ; un gouvernement très collégial, mais très soumis à l'autorité du chef de l'Etat, et qui aurait été chargé de faire la pédagogie du "changement". Et un Parlement un peu bousculé par l'exécutif. Les caricaturistes de tout poil n'auraient pas manqué de caricaturer Mme Aubry en tsarine qui décide de tout sans se montrer au grand public, comme autrefois les souverains russes depuis le Kremlin !

Plus sérieusement et sur le fond, Martine Aubry a courageusement défendu la rénovation au sein du PS, comme la représentation de la diversité. Parfois même contre les partisans de François Hollande ! On peut en déduire que, composé par elle, le gouvernement aurait été plus jeune, avec peut-être la promotion de nouveaux députés comme Karine Berger (Hautes-Alpes), Guillaume Bachelay (Seine-Maritime), Seybah Dagoma (Paris) et même Olivier Ferrand (Vaucluse), qui a disparu prématurément en juillet. Je pense aussi que Martine Aubry, qui apprécie Cécile Duflot et Jean-Vincent Place, aurait mieux "servi" les écologistes : soit en leur attribuant des portefeuilles de plus (ils n'en détiennent que deux dans le gouvernement Ayrault), soit en leur confiant des responsabilités plus importantes (le ministère du Développement durable dans son périmètre le plus large pour Cécile Duflot par exemple).

Martine Aubry aurait-elle fait plus de concessions à l'aile gauche du PS, notamment sur les questions budgétaires ? 

Je pense que Martine Aubry aurait lancé rapidement certaines réformes très symboliques, auxquelles elle tient plus que François Hollande : ainsi de l'interdiction du cumul des mandats, ou de l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe, par exemple. Sa démarche en matière économique aurait probablement été plus étatiste, moins spontanément portée à la négociation et au dialogue social que celle de François Hollande.

Son gouvernement aurait pris très vite de grandes initiatives législatives en matière de politique industrielle et de lutte contre le chômage. La session extraordinaire aurait été autrement chargée, au Palais-Bourbon ! En revanche, je crois qu'elle n'aurait pu faire autrement que d'endosser, elle aussi, la responsabilité d'une réduction de la dette et des déficits (public et commercial). La fille de Jacques Delors n'aurait certainement pas osé agir comme si le reste du monde, et singulièrement l'Europe, n'existait pas.

Précisément, la fille de Jacques Delors aurait-elle signé le traité européen ?

Je vois d'ici les manchettes que nous aurions eu dans les journaux : "Aubry : trahir le père ou le peuple de gauche?". Je pense que lors de la négociation, Aubry se serait montrée très pugnace, au point de risquer une brouille avec Merkel. Mais qu'elle n'aurait pas non plus "mis en scène" cette tension au-delà de ce que l'efficacité aurait exigé.

On l'a parfois comparée à une Merkel de gauche. Les deux femmes aurait-elles pu s'entendre dans la négociation du traité budgétaire ?

Vous me demandez d'une certaine façon d'imaginer ce que les autorités allemandes, et l'opinion d'outre-Rhin, auraient pensé d'une Martine Aubry présidente de la République. Je pense que son élection aurait beaucoup plus inquiété que celle de François Hollande. Beaucoup d'Allemands l'auraient taxée d'irréalisme de prime abord, l'aurait caricaturée en "présidente rouge", plus proche des positions d'un Gregor Gysi ou d'un Oskar Lafontaine (les leaders historiques de Die Linke) que des options très sociales-libérales du SPD. Ce nouveau couple franco-allemand, uniquement féminin, se serait formé sur une base de défiance mutuelle.Mais je pense qu'avec le temps et les difficultés, le gouvernement et l'opinion allemands auraient appris à apprécier l'attitude de Mme Aubry dans les négociations : directe et franche jusqu'à la brutalité, mais fiable.

Sur le plan de la sécurité et de laïcité, Martine Aubry aurait-elle pris des options différentes de celles de François Hollande ?

Ces deux politiques relèvent de la place Beauvau, mais je crois qu'il ne faut pas tout mélanger. Sur la laïcité, les procès intentés à Mme Aubry relèvent d'une certaine mauvaise foi. Je ne la crois pas moins "laïque" que François Hollande par exemple.En revanche, elle aurait vraisemblablement défini une ligne plus explicitement "à gauche" sur la question de l'insécurité. Sans revenir à l'angélisme de gauche, elle aurait moins hésité à bousculer la police sur la question des contrôles d'identité ou du respect des libertés. Elle aurait été plus clairement du côté des magistrats que des policiers, alors que le fléau de la balance hésite beaucoup, dans le gouvernement Ayrault...

Aurait-elle nommé Manuel Valls au ministère de l'Intérieur et aurait-elle assumé le démantèlement des camps de Roms ?

Je pense qu'elle aurait surtout nommé une proche à la Chancellerie, par exemple la maire de Reims Adeline Hazan, magistrate de profession. On peut imaginer qu'elle aurait préféré, pour le ministère de l'Interieur, une personnalité moins médiatique que Manuel Valls, pour garder les coudées franches quant à la définition de la politique de sécurité. Or, Valls est à lui tout seul une politique, aux yeux de l'opinion. Le strauss-kahnien Jean-Jacques Urvoas, aujourd'hui président de la Commission des lois, aurait été donc peut-être été préféré à Manuel Valls par une Martine Aubry présidente de la République. Mais ce n'est qu'une pure hypothèse. Ce serait trop s'avancer, enfin, que d'imaginer l'attitude d'une Martine Aubry chef de l'Etat sur le dossier des Roms. C'est une question très complexe, que les élus de gauche envisagent souvent avec plus de pragmatisme que d'idéologie quand ils s'y trouvent directement confrontés...

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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