Sans espoir ? La croissance des pays occidentaux étranglée par le vieillissement et le déclin démographique<!-- --> | Atlantico.fr
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Le vieillissement de la population des pays développés expliquerait-il leur faible croissance ?
Le vieillissement de la population des pays développés expliquerait-il leur faible croissance ?
©Flickr

Chape de plomb

Nombreux sont les analystes à expliquer que la croissance peine à revenir depuis 2008 en raison de la crise du crédit et de la bulle immobilière, conditions qui rendent le climat d'avenir incertain pour les investisseurs. Or trois économistes de la Fed ont récemment publié un papier de recherche affirmant que le déclin démographique serait en fait l'une des principales causes de cette faible croissance, qui semble se pérenniser dans les pays développés.

Eric Heyer

Eric Heyer

Éric Heyer est Directeur adjoint au Département analyse et prévision de l'OFCE (observatoire français des conjonctures économiques - centre de recherche en économie de Sciences Po).

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Atlantico : Un récent papier de recherche rédigé par trois économistes de la Fed (voir ici) met en avant comme explication au ralentissement de la croissance depuis 2008 et aux faibles taux d'intérêt le déclin démographique. Selon les estimations réalisées, la croissance potentielle des Etats Unis se serait affaissée de 1,25 point depuis 1980 pour cette seule raison. Au regard des niveaux toujours plus bas de la natalité européenne, faut-il faire définitivement une croix sur des niveaux de croissance élevés au sein des pays occidentaux ? En quoi la crise de 2008 a-t-elle pu masquer une situation qui semble structurelle ?

Eric HeyerIl existe deux grosses tendances dans ce qu'on appelle la croissance potentielle, c'est-à-dire la croissance à moyen terme : la productivité globale des facteurs et le taux d'activité, soit la population. Si l'on raisonne, toutes choses égales par ailleurs, dans un monde où il y aurait une constance dans la productivité globale des facteurs, et que le facteur démographique déclinerait, alors la croissance de demain serait rognée. Effectivement, le vieillissement de la population, et le fait que dans certains pays le taux de fécondité n'est pas suffisant pour permettre le renouvellement des générations, viennent amputer la croissance économique de ces pays-là : c'est d'ailleurs le cas de l'Allemagne.

Cette perte de population peut être compensée par une augmentation du taux d'activité, c'est-à-dire que l'on va permettre aux jeunes d'arriver plus tôt sur le marché du travail, tout en retenant plus longtemps les seniors sur ce même marché. Il peut être également envisagé de faire venir sur le marché du travail des hommes et des femmes qui n'y sont pas à l'heure actuelle, notamment ceux et celles qui préfèrent rester à domicile. On peut aussi considérer que le salut viendra d'innovations importantes qui permettront, à moyen terme, d'accélérer la productivité globale des facteurs, et donc de compenser les pertes démographiques. 

La situation démographique actuelle dans la plupart des pays développés est caractérisée par un nombre croissant de retraités et un vivier de travailleurs qui se réduit. N'est-ce pas paradoxal d'avoir finalement une offre de travail faible et des taux de chômage élevés, notamment en France ?

Les causes du chômage sont multifactorielles. Toutes choses égales par ailleurs, on peut penser que plus la démographie est importante, plus le chômage risque d'être élevé. Pour moi, le chômage s'explique par l'insuffisance de la demande dans un certain nombre de pays. Dans des pays qui ont une démographie faible, comme l'Italie, la demande est tellement faible que même eux ne parviennent pas à faire baisser le chômage; mais encore une fois, s'ils avait eu une démographie à la française, leur taux de chômage serait bien plus élevé. 

L'une des conclusions de ce papier de recherche est d'affirmer que nous vivons une période caractérisée par ce que les auteurs appellent la "nouvelle normalité". Cette dernière se définit par une faible croissance économique et des taux d'intérêt bas, situation qui devrait perdurer, selon eux, encore plusieurs décennies. Quelles seraient les conséquences d'une telle situation ? Quel impact ce message peut-il avoir sur les investisseurs ? 

Cette idée de la "nouvelle normalité" reprend celle de la "stagnation séculaire". Selon cette dernière, à moyen/long termes, il s'agit de dire – soit pour des raisons démographiques, soit pour des raisons de progrès techniques qui n'alimentent pas assez la productivité globale des facteurs, soit pour une insuffisance de la demande – que les nouveaux sentiers de croissance pour l'avenir seront extrêmement faibles. Ce que cette situation pourrait changer, c'est notre réflexion autour du chômage. Si vous arrivez dans cette situation de stagnation séculaire avec 5% de chômage, vous pourrez vous en sortir. En revanche, si vous y arrivez avec un taux de 10 à 20% de chômage, cela signifie que les politiques d'aujourd'hui ne permettront pas de faire baisser le chômage. A l'heure actuelle, on essaye de faire baisser le chômage en créant les conditions d'une plus grande croissance économique. Si, pour des raisons d'offre, cette croissance ne pourra plus s'accélérer, cela contraindra les pays concernés à vivre avec un chômage élevé, ou bien à réfléchir à une autre façon de fabriquer du chômage. Face au problème du chômage, nous serons confrontés à une alternative : soit on procède au partage des revenus – c'est-à-dire que ceux qui travaillent payent pour ceux qui ne travaillent pas , soit on procède au partage du travail – et à ce moment-là, on demande à tout le monde de travailler, ce qui implique de créer des emplois.

Je voudrais rappeler les causes à l'origine de la stagnation séculaire : le facteur démographique; un problème d'offre selon la conception de Robert J. Gordon, relatif à la stagnation de la productivité globale des facteurs à cause du manque d'investissements permettant de faire advenir une rupture technologique : on voit donc là que le rapport de causalité s'inverse; ou bien, si l'on se réfère à Larry Summers, un problème de la demande dû à des inégalités croissantes qui font que les individus en bas de l'échelle ne sont plus en mesure de consommer par manque de moyens. On remarque donc que soit les investisseurs sont responsables de la situation de stagnation séculaire, soit ils n'ont plus intérêt à investir dans le cas où il s'agit d'un problème de demande. 

Comment l'acceptation des conclusions de ce papier de recherche pourrait affecter les politiques économiques et monétaires mises en oeuvre actuellement ? 

Pour ce qui est de la démographie, plusieurs réponses peuvent être mises en œuvre. Sur le long terme, les États pourraient travailler sur la natalité et mettre en place des politiques familiales plus généreuses afin d'encourager la natalité en vue de renverser la tendance au déclin démographique. Sur le court terme, l'une des solutions qui peut être mise en place est l'augmentation de l'âge du départ à la retraite ou bien le fait d'attirer plus rapidement les jeunes sur le marché du travail, ou bien y attirer les hommes et les femmes qui étaient en dehors; l'augmentation du temps de travail peut aussi être envisagée. Enfin, dans le cas des pays où les taux d'activité, d'emploi des seniors et des jeunes sont déjà élevés, il est possible de faire appel à l'immigration des pays en voie de développement; il s'agit là encore d'une réponse de court terme. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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