Salon des inventions de Genève : voilà à quoi ressemble l’innovation aujourd’hui

Atlantico : A l'occasion du Salon de l'invention à Genève, on peut se demander où en est cette invention aujourd'hui. Produit-on des inventions radicalement utiles ou des gadgets ?

Geneviève Bouché : Dans toute innovation, il y a des sous-jacentes et des visibles. Les visibles sont faciles à évaluer. Les sous-jacentes, à mon avis, sont plus intéressantes : il s'agit de toutes ces inventions qui, sans pour autant apparaître comme radicalement innovantes, me semble être le signe de la recherche d'un paradigme nouveau. Ces innovations sous-jacentes irriguent les travaux sur le renouveau politique mais aussi médical, avec une volonté de créer une médecine préventive et intuitive par exemple. Tout cela est embryonnaire évidemment, et demande une innovation sociale très lente, parce que non seulement il faut que les idées soient comprises par une part importante de la population pour être portée à réalisation (20% d'une population à mon avis), mais il faut qu'elles trouvent des applications convaincantes dans l'invention.

Notre période n'est donc pas tellement une période d'invention que d'innovation, dans le sens où la lente gestation en cours nous fait passer d'un monde où la loi était celle du plus fort à un univers où la loi devient celle du plus adaptable. Le plus adaptable est celui qui est le plus en interaction avec son environnement. En ce sens, les inventions clés qui voient le jour aujourd'hui épousent ce principe-là.

L'invention, contrairement à une époque précédent où elle était portée par des individus, devient l'affaire des réseaux. D'où l'émergence de tous ces "co-" co-créer, co-produire, co-penser... Il ne s'agit plus de se confronter mais de se mettre en harmonie et en réseau. Les inventions qui rentrent dans cette dynamique sont celles qui fondamentalement vont jouer un rôle dans les 50 prochaines années, et ne seront pas des "gadgets". Il en va ainsi de la nouvelle médecine.

Notre période favorise-t-elle ces inventions ?

Mon dernier livre, Changeons de civilisation, se pose la question de savoir quelle transformation va vivre la civilisation de référence au niveau mondial, c'est-à-dire la nôtre. Je montre que le XXe est la période de bascule dans ce processus de transformation.

Ce changement de pensée, qui prend forme par exemple dans des mouvements comme Nuit Debout, prône un changement radical de monde. Implicitement, les innovations que nous voyons émerger vont dans le sens de cette dynamique-là : le numérique, la réappropriation de l'énergie... Par exemple, la bascule énergétique a déjà commencé : nous sommes en meilleure harmonie avec l'environnement et avec notre capital : nous sommes plus proches de la production et plus décisionnels. Aujourd'hui, c'est une dynamique qui montre que l'on innove non plus dans le désordre mais en suivant des objectifs et horizons communs. Il s'agit d'être dans le sens de l'histoire...

Il faut suivre cette mutation, qui est de même amplitude que celle qu'ont connus les hommes quand ils ont commencé à se sédentariser. Ils ont introduit alors la question de propriété, qui n'existait pas avant. Et bien cette notion est arrivé à sa limite aujourd'hui, et c'est pour cela qu'on parle de plus en plus de bien commun. Les transformations actuelles encouragent ce genre de collectivité. L'exemple le plus intéressant de ce phénomène est le fait que dans les prix Nobel, on observe de plus en plus de prix décernés à des équipes ; c'est un indice qui ne trompe pas. Moi qui suis impliquée dans la sélection de start-up, j'ai bien conscience que le point de vue du futurologue est essentiel pour aiguiller ces inventions vers ce que le monde futur qui se prépare.

Il y a bien pourtant des inventions qui ne fonctionnent pas, des bidules qui ne sont qu'un effet de mode et qui n'apportent rien à la marche de l'histoire que vous décrivez, voire qui montrerait plutôt l'inverse ! Quel regard porter sur ces inventions ratées ?

L'innovation est un mouvement vibrionnant qui doit passer par pleins d'erreurs pour arriver à la réussite. Quand on fréquente beaucoup d'innovateurs, comme c'est mon cas, on se rend compte qu'ils sont tous portés par l'envie de changer le monde, car innover demande une telle énergie... on ne se lance pas là-dedans pour faire des broutilles ! Avec du recul, on peut se dire que telle invention était peut-être un peu vaine, mais c'est le mouvement et l'énergie qui compte. Et on apprend de ses erreurs.

Prenons le cas, un peu violent, de Uber. Sur le plan éthique, ce que fait Uber est inimaginable : il tire du profit en ne s'impliquant ni dans l'investissement productif, ni dans l'investissement humain. Autrefois, on appelait ce genre de personnes des brigands ! Ils se mettaient à l'entrée d'une ville et demandaient un droit de passage sans autre justification. La vox populi était d'une sévérité incroyable à leur égard. Aujourd’hui, on les idolâtre, et il est étonnant de voir qu'il y a peu de sages pour dire qu'il s'agit peut-être d'une mauvaise invention. Mais les gens s'en rendent compte, et poussent tout un chacun, en définitif, à faire des progrès !