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Salaires des informaticiens + pétrole = la nouvelle inflation en quatre chapitres
©Reuters

Le compte est bon

L'OCDE alertait mardi dernier ses pays membres après l'augmentation de 2,4% de l'inflation, 5e mois consécutif de hausse. Une inflation "différenciée, puissante et contrôlée".

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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2 fois 2, 2 marchés du travail, 64$, 2,5% : ces quatre chiffres décrivent la nouvelle configuration de l’inflation mondiale, combinaison de la révolution technologique et du rattrapage des pays émergents.  L’annonce de la mort de l’inflation, en effet, a sans doute été prématurée. Elle nous revient, différente. Différente, car la réalité actuelle est bien plus complexe. L’OCDE nous le dit : voilà cinq mois que l’inflation avance, à 2,4% en novembre, après 2,2% en octobre. Cette hausse mondiale vient des prix de l’énergie (+7,7% sur un an en novembre, après +5,8% en octobre) et de l’alimentation (+1,9% sur un an en novembre, après +1,7% en octobre). Une lente accélération est en train de se mettre en place, comme en 2012. Qu’est-ce qui la guide ?

Chapitre 1 : commençons pas 2 fois 2, pour : 2 fois plus vite, 2 fois mieux payés. 2 fois plus vite d’abord : l’emploi dans les STEM (Science, Technology, Engeneering, Mathematics) aux Etats-Unis a en effet augmenté de 10,5% entre mai 2009 et mai 2015 (817 000 emplois) contre 5,2% pour tous les autres emplois. Bien sûr, le poids de ces métiers techniques reste réduit, pesant 6,2% de la population active en mai 2015 pour un total de 8,6 millions. Mais cette progression n’a aucune raison de cesser, 7 STEM sur dix ont une activité reliée aux ordinateurs, avec une hausse attendue de 12,5% entre 2014 et 2024. La progression des STEM a ainsi expliqué la moitié des nouveaux emplois dans cinq secteurs liés à l’informatique bien sûr, avec des salaires élevés et en constante progression. 

2 fois mieux payés ensuite. Le salaire moyen des STEM en mai 2015 s’établit en effet à 87 600 $ contre 45 700 $ pour un non STEM, sachant que les salaires moyens informaticiens spécialistes sont de 150 000 $. On s’en doute, le taux de chômage de ce genre de profil est pratiquement nul. Ainsi, en prenant le cas américain, on peut dire que les emplois spécialisés sont remplis, avec un taux de chômage nul, plus les créations régulières de postes qui font monter les salaires. Avec la révolution technologique, les Etats-Unis, en amont des pays industrialisés, créent ainsi deux fois plus d’emplois « nouveaux » que d’emplois classiques et deux fois mieux payés : c’est un modèle qui se mondialise. Mais alors, pourquoi la cohorte des salaires ne suit-elle pas celle des STEM ? Pourquoi tous les salaires n’augmentent-ils plus vite ? En fait les hauts salaires ne ruissellent pas, au contraire.

Chapitre 2 : Il y a 2 marchés du travail avec la révolution technologique en cours: celui des salariés qui ont un certain niveau de compétence et celui des salariés qui sont peu ou pas formés. Aux États-Unis, 3% seulement des postes sont vacants pour les emplois qualifiés, avec un taux de chômage de moins de 4%. Le marché des qualifiés est tendu : pas mal de postes sont non pourvus, avec peu de chômeurs. Mais de l’autre côté, pour les non qualifiés, le taux de postes non pourvus est de 2% seulement, mais avec un taux de chômage qui va jusqu’à 10% pour les moins qualifiés. Le marché des non qualifiés est très déséquilibré : peu de postes libres, beaucoup de chômeurs. Et c’est bien pourquoi la progression des salaires est au total si modeste : 2,6% l’an pour le salaire horaire en 2017. Elle reflète le cas de 95% des salariés américains, peu ou pas formés. Il y a donc plein emploi des spécialistes à un bout, avec hausses des salaires à l’appui. Mais il est dilué dans les services peu ou pas qualifiés, très peu payés et employés, à l’autre bout. Cette cohabitation des deux marchés du travail, qualifié et non qualifié, donne une certaine croissance, puisque le revenu monte. Elle est liée à un « plein emploi global » sans tension salariale, avec une inflation surprenante à 2,1% seulement. Le plein emploi non inflationniste est l’enfant de la révolution technologique en cours : peu de spécialistes bien payés d’un côté, beaucoup d’emplois dans les services peu payés d’un autre, une demande globale qui avance ainsi régulièrement, mais sans inflation salariale d’ensemble. La qualification des uns fait la déqualification des autres : l’inverse du ruissellement

Chapitre 3 : 65$ le baril de WTI ensuite. Partout, sur ce modèle de bipolarisation de l’emploi américain, celui de la révolution technologique mondiale, la demande avance. C’est désormais le cas dans les pays émergents où les ingénieurs sont de plus en plus formés, en Chine surtout, avec des entreprises gigantesques de plus en plus efficaces et des systèmes de distribution à l’échelle : Alibaba. Alors, la demande de ces pays en rattrapage augmente de 6% (Chine) à 8% (Inde), ce qui fait une pression considérable sur le prix des matières premières, pétrole notamment, mais aussi cuivre et produits agricoles. 

Même si l’offre de pétrole est actuellement régulée par l’Opep et la Russie et compensée par une offre croissante des Etats-Unis, il semble qu’un nouveau prix d’équilibre est en train d’apparaître. Il pourrait répondre à cette demande mondiale qui avance lentement et à l’offre qui peu à peu monte aussi, venant d’Iran, Lybie, Arabie saoudite (en attendant le Venezuela). Ainsi, cette hausse graduelle du prix des matières premières guidée par le pétrole est la seconde source de l’inflation nouvelle, à côté de cette étrange inflation de plein emploi qui nous vient des Etats-Unis. D’où l’avertissement de l’OCDE sur le réveil de l’inflation à 2,4%.

Chapitre 4 : 2,5% enfin, c’est le taux d’intérêt américain à 10 ans pour les bons du Trésor. C’est lui qui aimante (vers le haut) les taux d’intérêt du monde et qui permet de valoriser les bourses. C’est, là, la ligne de crête de toute la dynamique en cours. Les Etats-Unis en effet jouent les prolongations du cycle d’expansion, avec un soutien par la baisse des impôts, alors que l’économie est en plein emploi. C’est normalement un choix suicidaire qui mène à 3% d’inflation, donc à une hausse des taux courts à 3,5%, au-dessus des taux longs, au krach boursier et à la récession. Mais, du fait de la concurrence internationale (un peu) et de la cassure en deux du marché du travail qui vient de la révolution technologique (surtout), l’inflation avance encore peu. Ceci est très fragile, plus pour des raisons monétaires et politiques qu’économiques. On peut en effet penser que les forces désinflationnistes qui sont à l’œuvre, venant de la révolution de l’information, vont se poursuivre. Elles peuvent cohabiter avec un pétrole stabilisé à 60-70$ le baril, avec une augmentation de l’offre. Mais…

Mais le premier événement qui peut déstabiliser cet ensemble est monétaire, puisque la Banque centrale américaine va commencer à vendre les obligations publiques qu’elle a en portefeuille ce mois-ci, que la Banque centrale du Japon vient d’en annoncer des achats réduits et que la Banque centrale européenne s’interroge pour cesser les siens à partir de septembre.  Donc les taux longs monteront, calmant la croissance, les bourses, les salaires, et donc l’inflation.

Mais la deuxième nouveauté est politique, liée au creusement du déficit budgétaire américain, et donc à son financement. Il peut se heurter à des interrogations sur l’achat de nouveaux bons du trésor américains par les banques américaines, par des gestionnaires internationaux et surtout par le premier détenteur international de ces fonds : la Chine. Elle vient (politiquement) d’indiquer, la semaine dernière, qu’elle s’inquiétait du creusement du déficit budgétaire américain ! Et les taux longs sont passés à 2,6% ! C’est là le problème immédiat, avec en sus le risque d’un shutdown, d’une fermeture d’offices publics américains, faute de crédits. Ceci peut arriver sous huit jours !

Voilà donc cette nouvelle inflation, différenciée, puissante et contrôlée. Différenciée, puisqu’elle vient du plein emploi des techniciens bien payés et d’emplois de services qui le sont bien moins, ce qui donne au total ce « plein emploi modérément inflationniste », nouveauté historique ! Puissante, car ce processus est inexorable et mondial : c’est la révolution technologique en cours qui alimente aussi le réveil des émergents. Contrôlée, à la fois par les banques centrales, les politiques, les marchés… et la Chine. Une inflation mondiale est donc née, méconnaissable.

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