Saisies de cocaïne : petits élements de remise en perspective des déclarations de Gérald Darmanin<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans cette publication manque cependant le contexte - combien de stupéfiants arrive de l'étranger dans l'Union européenne ; de là, sur le sol français ?
Dans cette publication manque cependant le contexte - combien de stupéfiants arrive de l'étranger dans l'Union européenne ; de là, sur le sol français ?
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Grosse prise

Hier 1er mars, le ministère de l'Intérieur a publié le résultat - forcément "historique" avec M. Darmanin à sa tête - des saisies de stupéfiants en France.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Hier 1er mars, le ministère de l'Intérieur a publié le résultat - forcément "historique" avec M. Darmanin à sa tête - des saisies de stupéfiants en France. Que nos policiers, gendarmes et douaniers excellent est indubitable - dans des conditions toujours plus difficiles, du fait de l'impéritie de la justice qui, derrière eux dans la chaîne pénale, peine à suivre.

Dans cette publication manque cependant le contexte - combien de stupéfiants arrive de l'étranger dans l'Union européenne ; de là, sur le sol français ? Combien est saisi aux frontières (ports...aéroports...) puis dans le pays (supermarchés de la drogue... monde de la nuit...) ? Un travail d'autant plus utile pour éclairer l'opinion, que récemment, un haut magistrat à la Cour d'assises du nord parlait ainsi de l'inondation de cocaïne : "un tsunami blanc sur le continent [européen], désormais premier marché mondial de cette drogue".

Un rendu honnête de l'Intérieur devrait donc comporter deux parties ; d'abord ce qui déferle comme stupéfiants dans notre pays et ensuite, ce qu'on en saisit, ce qu'il advient des caïds, dealers et toxicomanes impliqués, etc. Or instruire cette première partie est possible et les données pertinentes, disponibles à Bruxelles ou à Europol ; partant d'elles, on peut jauger le travail de l'Intérieur et vérifier s'il est si "historique" que cela, comme le dit M. Darmanin, dont le rapport avec la vérité des chiffres est souvent (soyons gentil...) distant.

Cette première partie absente de la note du ministère de l'Intérieur, la voici :

• Cannabis d'abord : ± 129 tonnes de saisies en 2022. Or l'Office français des drogues (OFDT) estime en 2021 à ± 1,2 tonnes l'usage quotidien de cette drogue en France (± 420 tonnes/an). Faute d'une estimation sérieuse des livraisons de résine et d'herbe de cannabis en France en 2022, plus la production sous serres clandestines dans notre pays-même, comment savoir si le tonnage saisi est un succès (moins de cannabis disponible pour les dealers puis les fumeurs) ou le résidu d'une inondation post-COVID plus massive que naguère ?

• Cocaïne surtout. Récemment, la commissaire aux affaires intérieures de l'UE a déclaré que les 110 tonnes de "coke" saisies à Anvers en 2022, formaient 40% de toutes les confiscations aux frontières de l'UE - l'essentiel, dans des ports comme Anvers, Rotterdam etc. Ici, juste un chiffre : au prix du gramme au détail (donné par l'Intérieur dans la note précitée) les seules cent-dix tonnes saisies au seul port d'Anvers font un peu plus de 7 milliards d'euros...

Les déclarations de la commissaire nous apprennent donc que ± 275 tonnes de cocaïne furent, en 2022, confisquées à leur entrée dans l'UE. Pour les douaniers d'Anvers et Rotterdam, les saisies dans ces deux ports forment de 12 à 15% de l'inondation réelle - le tsunami dont parle l'Avocat général de Lille. Pour ne pas être taxé d'alarmisme, ni décourager ces combattants de première ligne que sont les douaniers, retenons le chiffre des saisies à 20% du total issu du cône nord de l'Amérique latine - rappel : 98% de la cocaïne produite au monde provient de trois pays, Colombie d'abord, puis Pérou et Bolivie.

275 tonnes saisies signifient donc 1 380 tonnes de cocaïne arrivées à bon port, dans l'Union européenne, chez les caïds semi-grossistes puis de là, par ruissellement vers le bas, jusqu'au dealer de base, dans la rue, sur Internet, ou dans l'obscurité propice d'une boîte de nuit.

Mais ces 1 380 tonnes sont pures ou presque ; or les saisies et analyses ultérieures en labora­toire montrent qu'en moyenne, la cocaïne vendue au détail est coupée à 40%. Circulent donc dans l'union européenne en 2022, après coupage (± 552 tonnes d'excipients), à peu près 1 932 tonnes de coke. Au détail, ± 125 milliards d'euros. Le partage : schématiquement, 50 milliards pour les cartels d'Amérique latine ; 25 milliards pour la logistique (d'Amérique latine à la livrai­son à bon port) ; 50 milliards pour toute la chaîne de distribution en Europe ; le gros du pac­tole pour les caïds et toujours moins en descendant vers la base (guetteurs, dealers, etc.)

Là-dessus, combien arrive en France de cette cocaïne ? La population de l'UE est de ± 448 mil­lions d'habitants - celle de la France, 15% du total de l'UE. À supposer que la livraison de co­caïne dans les pays de l'UE corresponde à leur population (1), pour 2022, les caïds opérant en France ont disposé de (15% de 1 932 tonnes) ± 290 tonnes de cocaïne prête à la vente, à 60% pure. Chiffre d'affaires pour ces caïds, ± 18 milliards d'euros ; bénéfice, environ 7 milliards d'euros - sur un an.

Enfin, les questions : avoir saisi quelque 10% de la cocaïne vraiment entrée et vendue en France, est-ce si "historique" que ça ? Et sur les 7 milliards de bénef - annuel ! - des caïds, com­bien ont-ils été confisqués par l'État ? Nous publierons bien sûr toute réponse de l'Intérieur et corrigerons nos chiffres, s'il nous en fournit de meilleurs ou plus précis.

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(1) l'appétit pour la cocaïne diffère d'un pays à l'autre. L'Europe du nord préfère les drogues chimiques (MDMA, ecstasy, etc.) ; celle du sud, dont la France, la coke. Ainsi, notre prudente estimation des livraisons de cocaïne en France est-elle sans doute inférieure à la réa­lité.

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