Sabrina Agresti-Roubache : « La France ne vit pas une crise démocratique mais une crise existentielle »<!-- --> | Atlantico.fr
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Sabrina Agresti-Roubache, députée Renaissance des Bouches-du-Rhône, publie « Moi la France, je la kiffe ! » aux éditions Albin Michel.
Sabrina Agresti-Roubache, députée Renaissance des Bouches-du-Rhône, publie « Moi la France, je la kiffe ! » aux éditions Albin Michel.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Vie démocratique

Sabrina Agresti-Roubache, députée Renaissance des Bouches-du-Rhône, a publié « Moi la France, je la kiffe ! » aux éditions Albin Michel.

Sabrina Agresti-Roubache

Sabrina Agresti-Roubache

Sabrina Agresti-Roubache est députée Renaissance des Bouches-du-Rhône (1re circonscription), productrice et à la tête de sa propre société, Seconde vague Production, qui a produit, entre autres, la très populaire série Marseille pour Netflix. Elle a publié « Moi la France, je la kiffe ! » aux éditions Albin Michel.

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Atlantico : Comment percevez-vous la situation, notamment les récents événements tels que l'agression impliquant le petit-neveu de Brigitte Macron et la démission du maire de Saint-Brévin-les-Pins ? 

Sabrina Agresti-Roubache : Le président a parlé de décivilisation et il a raison. Perdre ce qui fait de nous des êtres civilisés. Toutes les formes de violence sont inacceptables. Je suis convaincue que nous sous-estimons énormément la puissance des mots, elle est le préalable au passage à l’acte.. Il existe des individus qui possèdent une structure intellectuelle qui leur permet d'exprimer une violence verbale absolue à travers l'écriture sur une feuille de papier ou lors d'une interview comme certains élus , sans jamais passer à l'action. 

Je défends ardemment les journalistes, les caricaturistes, le droit à être irrévérencieux, mais malheureusement, de plus en plus de personnes ne font plus la distinction entre la fiction et la réalité. L’esprit critique est aboli, et laisse donc place au passage à l’acte toujours justifié par une grande frustration.  Ce que j'ai constaté au fil du temps, c'est que la réalité dépasse largement la fiction, et nous sommes en train de glisser vers quelque chose d'irrécupérable si nous ne l'arrêtons pas à temps. Un drame est inévitable si nous ne prenons pas conscience de la violence envers les élus et la violence tout court. Il est anormal de considérer cela comme une expression de la démocratie. Les élus ne devraient pas être la cible de vandalisme, de destruction de biens ou de harcèlement et d'agressions immondes envers leur famille. Ce comportement est inacceptable et ne correspond en rien à une démocratie, mais plutôt à une forme de dictature. Le seuil de tolérance à la frustration et à la colère est à un niveau tellement bas, que tout peut arriver.

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Nous assistons à une réalité extrêmement violente où il est perçu comme normal de brûler des établissements tels que La Rotonde ou des effigies simplement par mécontentement envers un président, que ce soit Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy ou François Hollande.  Ce qui se passe, c'est que nous confondons souvent une opinion politique exprimée par un média avec une traduction en violence physique. Nous avons le droit d'exprimer nos opinions à tout moment, car nous vivons dans un pays démocratique. Tous les tons sont permis, la limite est la violence physique précédée très souvent par la violence verbale.

Cependant, nous sommes en train de tout mélanger et de justifier la violence physique comme une expression de la démocratie, en prétendant que c'est une réaction au mécontentement des gens. Comme je l'ai mentionné récemment à un collègue, imagine si je prenais la photo de ta mère, ton père, ton fils, ta fille et que je les brûlais. Trouverais-tu cela drôle ? Cela ne te toucherait donc pas? Ce serait donc l’affirmation de mon opposition politique. 

À un certain moment, nous devons les confronter, nous devons leur dire les choses telles qu'elles sont. Cela concerne tout le monde, même des personnalités politiques comme Jean-Luc Mélenchon, qui sont également victimes d'attaques et de menaces. Qui lui aussi participe en même cette escalade avec «la police tue». Aucun bord politique n'est pourtant épargné. Cependant, il est évident que la majorité, étant au pouvoir et ayant les commandes, sera plus attaquée que l'opposition. C'est l'essence même de la démocratie, et il n'y a pas de problème avec cela. Mais le problème survient lorsque les attaques sont personnelles, ad hominem.

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Le problème réside dans le fait que même en examinant les profils de ceux qui ont attaqués, comme pour le cas du petit-neveu de Brigitte, on constate qu'ils justifient totalement ces comportements. Je suis en colère donc je peux l’exprimer comme bon me semble en dehors du cadre de toute civilisation. Ils sont évidemment entre autres influencés par les réseaux sociaux, et nous permettons que tout se déverse sans contrôle. Une grande décharge à ciel ouvert, le réceptacle des haines et des frustrations de l’humanité. Les réseaux sociaux sont des plateformes où de véritables individus sont présents, et la réalité dépasse de loin la fiction. Les réseaux sociaux ont une grande responsabilité, mais finalement, la responsabilité ultime repose sur les êtres humains. 

Cependant, je pense que nous vivons une époque où une immense majorité de la population recherche l'ordre, alors qu'une petite minorité terrorise et  dicte sa loi, comme cela a toujours été le cas dans l'histoire de l'humanité. Pourquoi ? Parce que cette minorité est bruyante et qu'elle se fait entendre, tandis que la majorité silencieuse, qui souhaite l'ordre et la paix, ne se manifeste pas par principe. Les gens veulent simplement vivre en paix, sans difficultés. Lorsque je vois les Black Blocs, je me demande si les personnes vivant dans les quartiers populaires iraient manifester dans la rue s'ils avaient un statut social plus élevé comme les blacks blocs, Ils ne le feraient jamais. Ce phénomène m’intéresse depuis toujours. Pourquoi des bourgeois qui ne connaissent pas la misère auraient ce besoin irrépressible de casser, brûler, faire mal aux policiers ? Qui y a-t-il dans leur vie qui cloche tant? Contre quoi sont-ils révoltés ? Qu’ils lèguent leur patrimoine à ceux qui ont moins qu’ils aillent au bout de leur désir de chaos. Mais ils ne l’ont jamais fait, ils aiment beaucoup trop leur confort matériel’. 

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Il y a donc clairement une fracture culturelle que nous ne savons pas  aborder, peut-être par manque de courage. Si vous demandez aux  gens, comme moi qui suis souvent dans les rues de Marseille, ce qu'ils veulent, ils vous diront qu'ils veulent que cela cesse. Nous ne pouvons plus nous retrouver en danger à chaque manifestation. À Marseille, nous sommes relativement préservés, du moins sur ce sujet. Bien sûr, il y a d'autres problèmes, comme les règlements de comptes, mais historiquement, les manifestations à Marseille n'ont jamais été très violentes, car les syndicats y sont puissants et ils maintiennent l'ordre. La puissance des syndicats explique donc également le caractère bien encadré des manifestations. Si vous manifestez, vous partez du Vieux-Port et vous arrivez à Castellane, sans problème majeur. Il y a toujours quelques individus stupides qui font n'importe quoi, mais cela reste marginal. Même si je condamne les paroles ultra-violentes des certains syndicalistes locaux.

Cependant, je pense qu'il est temps pour la classe politique de réellement s'attaquer à ce sujet, avec courage, en prenant des mesures concrètes. Regardez la position de François Ruffin, par exemple, qui affirme qu'il achète ses macarons chez les Chocolatiers Trogneux parce qu'il est originaire d'Amiens. Il prend position sans ambiguïté. Je ne dis pas que je suis émerveillée par cela, mais je suis surprise par la réaction, ou plutôt la réaction hallucinante de Jean-Luc Mélenchon. Il trouve toujours des excuses et des justifications. Nous pouvons tous nous prévaloir de ce que nous avons vécu par ailleurs, moi aussi. J'ai été agressée pendant ma campagne, et l'affaire a été classée sans suite. Stop au oui mais...

La situation actuelle est critique. Si nous n'arrêtons pas la violence maintenant, nous nous dirigeons vers de graves problèmes. Cela concerne tous les élus. On peut tuer n'importe qui, même le mari ou l’épouse de quelqu'un. Voilà le problème : si nous considérons que la démocratie et la liberté d'expression signifient désormais s'en prendre physiquement aux élus ou à n'importe qui, nous sommes perdus. Après, ne soyez pas surpris si personne ne veut plus tellement se lancer en politique. Je pense qu'il y a une minorité dictatoriale qui dicte vraiment sa loi, et les autres subissent. C'est la réalité et avec la responsabilité de certains élus qui, par leur comportement, qu'ils soient conseillers municipaux, départementaux, régionaux ou nationaux, envoient un message catastrophique, rappelez vous : Macron on va te décapiter, la violence de ces chants par des élus et des syndicalistes est irresponsable et honteuse.

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Certains, parmi lesquels de grands universitaires, évoquent une crise démocratique à l'heure actuelle, qui est notamment la conséquence de la pratique du pouvoir d'Emmanuel Macron et notamment sur ce qui s'est passé sur la réforme des retraites. Comment en sortir ? 

Ce sont des universitaires, des intellectuels, mais je trouve leur analyse un poil démago.. Ils oublient une chose fondamentale : le nombre d’élections intermédiaires à la présidentielle. La réalité c’est qu’il faudrait se demander pourquoi plutôt les gens ne votent plus? On vous demande votre avis, vous n’allez pas voter et après on explique qu’il y a une crise démocratique ? La démocratie a bon dos,  Je me souviens, en 1995, j'avais 18 ans et j'ai manifesté, mais je n'ai frappé personne, insulté personne ni tiré sur personne. Je viens d'un quartier extrêmement violent, l'un des plus pauvres d’Europe et j'ai vécu une réalité plus civilisée . 

Vous me direz que ce n'est pas possible. Eh bien, c'est évidemment possible, car j'ai reçu une éducation de mes parents, j'ai appris la distinction entre le bien et le mal, les limites et les règles, l’ordre le cadre. 

En France, nous avons des élections presque chaque année depuis 2017. C’est pendant la première campagne électorale que j’ai rencontré le président de la République alors candidat avec Brigitte Macron. Nous avons eu des élections en 2017, 2019 les élections européennes en 2020 les municipales et métropolitaines en 2021 les élections régionales, départementales et enfin les élections présidentielles de 2022. Pensez-vous vraiment que nous manquons d'élections ? Je vous réponds que non. 

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En revanche, il faut se poser des questions sur la perception de ces élections. L'abstention est élevée, et il est temps que la classe politique se remette en question et les français aussi! Les Français ont-ils réellement l'impression d'avoir la parole? Force est de constater que non . C'est là la véritable question, la perception de ces élections. Le débat sur l'article 49.3, c'est un débat d'élites et d'initiés. Dans la vraie vie, les gens ne savent pas de quoi vous parlez et c’est normal, leur quotidien et l’avenir de leurs enfants… c’est ça dont vous parlent les français. Je crains que tout le monde passe à autres choses sauf les oppositions dans l.hémicycle… même les syndicats ont dit qu’ils ne pourraient pas faire des grèves ad vitam eternam.. Juste des mots de responsabilité.

Le fait est que prétendre qu'il n'y a pas suffisamment de moyens d'expression en France est une affirmation à laquelle je m'oppose. Je suis d'origine algérienne et j'ai vécu au Maroc, je vous invite à voir ce qu'est la liberté d'expression ailleurs, de manière générale. En outre, attribuer la responsabilité de tout ce qui se passe uniquement au président de la République, est-ce vraiment la bonne question ? Est-ce que nous estimons que Jean-Luc Mélenchon se comporte normalement. En termes d'expression démocratique, on a en a des élections qu'elles soient perdues ou gagnées. C'est ça, la démocratie. C'est sur cette base que la France s'est construite. 

J'aimerais vraiment que nous fassions un test sur le référendum, car je pense que nous serions surpris de l'implication et de la participation des gens. Donc, on ne peut pas simplement réduire cela à Emmanuel Macron, en disant qu'il exerce le pouvoir et qu'il est déconnecté en tant que président de la République. Tous les présidents, de Jacques Chirac à Mitterrand, en passant par Pompidou et De Gaulle, ont eu leur part. En réalité, ce n'est pas tant la personnalité du président qui importe. 

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Je pense qu’il faut revenir à des débats centrés sur le peuple, la nation et la patrie. Quelles sont les préoccupations des Français ? 

Pour en revenir à l'expression de la démocratie, faisons le test, je suis prête. Organisons un référendum. Le président l'a dit, je suis également en faveur de cette idée. Vous verrez alors le taux de participation et comment la France se divisera sur des sujets divers, qu'il s'agisse de questions de société ou de sujets plus techniques tels que la réforme des institutions ou l'immigration. 

C'est ainsi que nous pourrons comprendre que ce n'est pas seulement une question de "oui" à Macron ou de centrer la haine sur lui. Il est clair que notre hémicycle a changé. 

Pourquoi ? Parce que les Français ont évolué, voilà pourquoi. 

Les gens ne veulent pas avoir peur, ils ne veulent pas des débats sur des questions telles que "Est-ce que c'est Macron qui cause la violence ?" ou Ils veulent savoir ce qu'ils vont manger, où ils vont dormir, quelle école pour leurs enfants, quel avenir? Voilà ce qu'ils veulent savoir. 

Vous venez de mentionner la présence très marquée d'Emmanuel Macron ces derniers temps. Il a fait des annonces qui semblent toucher tous les domaines, que ce soit l'éducation, la baisse d'impôts pour les classes moyennes, et ainsi de suite. Ces annonces, notamment au regard de leur coût cumulatif, sont-elles une bonne stratégie ? 

Emmanuel Macron a été élu, tout comme nous l'avons été à ses côtés pour FAIRE. 

Sur la loi asile immigration, nous devons régulariser les personnes qui travaillent déjà depuis des années, c'est tellement évident. Nous avons besoin de main-d'œuvre. Lorsque nous recrutons des étudiants étrangers pour récolter nos fruits, nos légumes et effectuer les vendanges, cela démontre que la France se porte bien économiquement mais aussi que nos jeunes ne veulent plus faire ces métiers. Dans mon secteur, le cinéma et l'audiovisuel, cela marche très fort. Nous n'avons jamais autant tourné de films. Je pense qu'il vaut mieux en faire trop que pas assez. Comme pour toutes les politiques publiques, toutes les facettes d'Emmanuel Macron et de nos présidents précédents, cela prend du temps avant que les résultats se concrétisent. Maintenant, le problème principal pour les Français n'est plus de chercher du travail, mais de trouver un emploi près de chez eux et qu'ils aiment et tant mieux pardi!

Bien sûr, on peut dire que le président en fait trop, heureusement, car je pense que c'est le moment. Et c'est dans son tempérament, qu'on le veuille ou non, d'avancer. Personne ne pourra l'arrêter, car il y croit, mais on ne fait pas de politique pour être aimé. Vouloir changer ses habitudes et anticiper ne rend pas populaire.

La vraie question est de savoir comment expliquer que les Français, qui bénéficient de l'une des meilleures protections sociales au monde, ne vont pas bien pour certains et sont très en colère pour d'autres. Comment les politiques peuvent-ils convaincre les Français que finalement, la situation n’est pas si catastrophique ? Nous avons survécu à la crise du COVID, et les gens le reconnaissent grâce au quoiqu’il en coûte ..unique en son genre.

Qu'est-ce qui va si mal ? 

Dans un pays démocratique, chacun a le droit de s'exprimer. Il est possible de critiquer le président de la République, mais on va beaucoup plus loin en brûlant ses effigies. Il est compréhensible que certains jeunes, mécontents, expriment leur désaccord. Cependant, il est important de rappeler l'importance de voter. Pourquoi ne pas exercer ce droit ? Je comprends que l'on puisse être mécontent. Mais personnellement, je ne considère pas cela comme une crise démocratique, mais plutôt comme une crise existentielle pour les Français. Ce n'est pas dire que nous ne sommes pas en démocratie, mais plutôt que nous traversons une période difficile de remise en question de notre modèle français.

En réalité, il y a bien sûr de nombreuses choses qui ne fonctionnent pas et beaucoup d'améliorations à apporter dans le domaine de l'éducation, par exemple. Il est temps de cesser de parler de transformation et de se concentrer sur l'amélioration des services publics, comme l'école et les transports en commun. Les services publics incluent également l'obtention de passeports, l'accomplissement des démarches administratives, l'obtention d'un titre de séjour, la naturalisation, l'inscription des enfants à l'école, notamment pour les enfants en situation de handicap. Il y a tant de choses à faire, tant d'améliorations à apporter. 

Ce qui me surprend, c'est pourquoi l'opposition ne cherche-t-elle pas à travailler ensemble plutôt que de continuer dans cette logique de confrontation ? 

La dynamique actuelle, ne vous préoccupe-t-elle pas quant à la fermeture difficile de ce chapitre des retraites, compte tenu de tous les problèmes que cela a engendrés ? 

Nous avons tellement d'autres sujets à traiter. Nous sortons de la commission d'enquête sur la mort d'Yvan Colonna. La première question qui nous est venue était liée aux nombreux problèmes en psychiatrie dans les prisons. La réalité est que nous avons des milliers de sujets à aborder. Il est temps pour les oppositions de passer à autre chose ou ils risquent de se voir reprocher de ne pas avancer sur des choses essentielles

Des citoyens ordinaires, dans leur vie quotidienne, ont manifesté et exprimé leur désaccord, comme pour toutes les réformes. Finalement, ces réformes finissent par s'intégrer dans les usages et être acceptées, car nous sommes en France, un grand pays démocratique. Je refuse de croire qu'il est impossible de tourner la page.

Maintenant, que devons-nous faire ? Depuis des années, j'alerte sur la crise du logement, mais je n'étais pas élue à l'époque. J'avais même signé en développement un documentaire sur la rue d'Aubagne à Marseille en disant que cela allait devenir un enjeu majeur pour les années à venir. Finalement, je ne me suis pas trompée. Ce que je crains pour les opposants, c'est que les Français se détachent. En réalité, ils sont déjà en train de se détacher. Vous savez, lorsque vous allez à Dunkerque et que vous annoncez 1700 créations d'emplois là où il n'y en avait pas, pourquoi est-ce que les gens continuent de tout remettre en question ? Ils veulent travailler, ils veulent avoir un emploi, ils veulent offrir des vacances à leur famille, ils veulent des activités. Ils veulent être heureux tout simplement.

Sur les 66 millions de Français, la majorité n'est pas syndiquée, n'est-ce pas ? Il y a des Français qui sont contre la réforme, d'autres qui y sont favorables, et certains n'ont pas d'opinion tranchée. 

Les Français ne semblant pas vouloir tourner la page des retraites, faut-il envisager une dissolution ?

Honnêtement, je dois vous avouer que je n'ai jamais vraiment réfléchi à la dissolution. Qu'est-ce que les Français feraient ensuite ? Quelle serait leur réaction ? Auraient-ils une vision claire de ce qu'ils veulent lors d'une dissolution ? Franchement, pensez-vous que c'est le message qui est actuellement demandé ? 

Les Français nous disent clairement qu'ils veulent de cette majorité. Ce que nous avons dans l'hémicycle, c'est la vraie France. C'est ce qui se reflète dans les urnes, et les urnes ne mentent pas, du moins en France. Je ne peux pas en dire autant pour d'autres pays, mais en France, les urnes ne trompent pas. Elles sont le reflet de l'ADN du pays. Donc, envisager une dissolution ne fait pas du tout partie de mes préoccupations, cela ne me fait pas peur, je n'y pense pas. En revanche, ce qui est intéressant, c'est la demande des Français en termes de moments de respiration. Je pense que ces respirations sont l'expression du souhait des Français d'avoir plus de moments d'expression sans forcément élire quelqu’un . Ils ont déjà eu l'occasion de voter et d'accorder une majorité relative. On a perdu des députés, c'est un fait. Maintenant, le pays traverse une période complexe, c'est certain. Trouver une majorité devient un peu plus difficile, mais cela nous oblige à faire preuve d'humilité et d'abnégation et je trouve cela très positif pour tout le monde.

Comment peut-on enfin aborder le projet de loi sur l'immigration, qui semble être complexe avec des annonces et des contre-annonces sur le calendrier et la manière dont il sera mis en place ? Bien que cela ne soit pas vraiment surprenant avec une majorité relative composée de sensibilités différentes sur la question. 

Pour ce qui est des retraites, c'était similaire. On nous a dit que la majorité était divisée, et qu'il y avait une ou deux voix discordantes. Permettez-moi de vous dire que si nous avions voté, nous n'aurions pas perdu une seule voix, car exprimer une sensibilité ne signifie pas trahir ou abandonner son groupe. Il est tout à fait normal de ne pas être d'accord. Heureusement, au sein d'un groupe, nous ne sommes pas tous d'accord. C'est ce qui fait la force des groupes, la diversité. C'est la première chose. La deuxième chose est qu'il n'y a pas une sensibilité qui détient la potion magique ou la vérité absolue. C'est à travers des discussions internes et des échanges avec l'opposition que nous pourrons trouver quelque chose qui correspondrait réellement aux attentes des Français. 

Les Français souhaitent une loi sur l'asile et l'immigration, mais ils n'ont pas tous la même vision, et je le sais, car je suis en contact direct avec les citoyens.

N'oubliez pas que je suis élue dans une circonscription où j'ai battu l'extrême droite. C'est une circonscription plutôt à droite, mais j'ai également des zones pivotantes où les bureaux de vote sont très variés. Tout le monde veut une loi, mais personne ne veut exactement la même loi. Cependant, ils veulent que la classe politique s’empare avec courage de ce sujet. Je pense que nous avons fait le bon choix en reprenant le bon calendrier pour ce mois-ci, car c'est très important. Cela nous amène à discuter d'autres questions, à nous tourner vers d'autres enjeux.  De ceux qui méritent d'obtenir des papiers après avoir travaillé dur en France pendant 10 ans sans en avoir ? Il y a des choses qui ne fonctionnent pas comme elles le devraient, donc je pense qu'en nous basant sur l'expérience des retraites, cela aura un impact sur cette loi. 

Mais encore une fois, cela ne signifie pas que nous allons tous être d'accord. Nous devrons trouver une majorité, faire des concessions, remettre en question nos positions, sans nous renier bien sûr mais surtout, nous devons nous regarder en face. Nous ne devons pas nous mentir sur ce genre de texte. Et en tant qu'enfant d'immigrés, cela prend tout son sens pour moi.

Cette loi ne peut en aucun cas être envisagée sans la participation des élus locaux. 

Vous avez écrit un livre, "Moi la France, je la kiffe !". Pensez-vous que les Français -que ce soient les Français en général, le personnel politique et au gouvernement- apprécient suffisamment de l’être ? 

Est-ce que les Français s'apprécient vraiment en tant que Français ? C'est cela, ce que les Français ressentent envers eux-mêmes, l'image qu'ils projettent d'eux-mêmes . Personnellement, lorsque je parle de mon pays dans mon livre, je parle de la France. La véritable question qui se pose est la suivante : est-ce que les Français s'aiment réellement ? Je ne sais pas répondre à cela, car les attaques sont trop nombreuses maintenant, la pression est trop forte, la violence a atteint des sommets. Se rendent-ils compte de la chance qu'ils ont d'être français ? Allez demander à un Iranien s'il ne souhaiterait pas être Français. De mon côté, je travaille beaucoup sur le droit des femmes Iraniennes et la France est un eldorado, c'est le pays des droits de l'Homme. Bien que tout ne fonctionne pas parfaitement, je n'ai jamais prétendu que nous étions un pays parfait, nous sommes très imparfaits, mais l'être humain est imparfait. Ce serait si simple, n'est-ce pas ? Si nous étions parfaits, nous chercherions à construire un pays parfait selon nos idéaux. Nous avons accompli de grandes  choses dans notre République mais nous devons au moins en être les garants. Les garants de la solidité de cette fondation. 

La réalité est que nous devons nous poser cette question : est-ce que nous, les Français, nous nous aimons ? Est-ce que nous aimons ce que nous sommes? ce que nous représentons, ce que nous défendons? l'image que nous projetons? . Je ne sais pas, franchement. 

 C'est plutôt une phase de remise en question qu'une rupture, donc je pense que nous sommes actuellement dans cette phase, pas encore à la rupture, mais la remise en question doit mener à une prise de conscience collective. Et quand je dis collective, cela englobe tout le monde, les élus et les Français. 

Sabrina Agresti-Roubache a publié "Moi la France, je la kiffe !" aux éditions Albin Michel 

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