Pour se débarrasser d'un rival
Cette rumeur qui permet de tâter le terrain en politique
Si la rumeur est un défi à la logique et si elle se moque de la vérité, elle répond néanmoins à des règles précises et sa maîtrise relève d'un art d'une grande finesse. Expert de la rumeur, Laurent Gaildraud explique le phénomène dans son livre "Orchestrer la rumeur". Extraits (1/2).
La rumeur représente un excellent thermomètre lorsque l’on veut faire passer une mesure que l’on sait impopulaire. La technique est aussi connue qu’usée jusqu’à la corde : il suffit de lancer la rumeur que la mesure va passer, avec ses caractéristiques volontairement exagérées – la ficelle doit être assez grosse pour pouvoir être reprise par le microcosme journalistique. Il suffit ensuite de mesurer la réaction (par les sondages et le café du Commerce, entre autres) et, en fonction de celle-ci, soit on y va, soit on remballe le projet en le gardant au chaud pour des jours meilleurs.
Une fenêtre de tir favorable pour tâter le terrain est, par exemple, l’un de ces sempiternels débats sur la loi d’amnistie républicaine accordée au moment de l’élection présidentielle, pour des délits mineurs, tels que les stationnements gênants sur la voie publique. Au moment opportun, on fera apparaître la possibilité que le président fraîchement élu amnistiera également les délits politico-financiers et autres abus de biens sociaux… Manière délicate de suggérer que les détournements de fonds et les contraventions sont des délits équivalents (et mineurs). Ensuite, on observe les réactions.
Pour mémoire : le 21 avril 2002, fin du premier tour des présidentielles opposant Chirac et Le Pen. Le 5 mai, victoire brejnévienne de Chirac. Le 5 juillet 2002, car il ne faut pas traîner, le député UMP Michel Hunault, rapporteur de la loi d’amnistie, est venu expliquer : « Il faudra bien poser la question de la prescription des délits politico-financiers dans la plus grande transparence. » Et d’enchaîner dans la foulée pour une évidente économie des forces que l’« on n’échappera pas, un jour, au débat sur le délai de prescription de l’abus de biens sociaux », sous-entendant finement que ce jour était certainement venu.
Sous le gouvernement Raffarin, les abus de biens sociaux, des commissions illégales et autres salaires fictifs avaient représenté l’essentiel des « casseroles » de l’ensemble de l’appareil exécutif. Lâcher de rumeur et prise de pouls…
Immédiatement, l’ensemble de la classe politique française, du centre à l’extrême gauche, s’est mis à hurler d’une seule voix. Bronca générale avec François Bayrou qui nous dit : « Je m’opposerai de toutes mes forces à toute tentative d’amnistie. » « Autoamnistie » aurait été un terme plus exact ! « Nous votons contre cette petite loi d’amnistie car c’est une prime à l’incivisme et notre pays a besoin de retrouver la voie du civisme », a déclaré le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Les communistes s’y sont mis, puis les Verts, mais nul n’a égalé l’indignation des socialistes.
Même L’Express, peu connu pour son esprit de rébellion, écrit : « Tout parlementaire de l’UMP qui déposerait un amendement “autoamnistiant” risquerait de diviser, voire de faire exploser la nouvelle majorité. »
Le message est reçu 5 sur 5. Le 8 juillet, le garde des Sceaux Dominique Perben annonce qu’« il n’y a, dans ce texte, aucun projet d’amnistie pour les délits politico-financiers ». On plie les gaules et on circule. Jean-Pierre Raffarin, un expert de ces techniques, regarde ailleurs d’un air détaché et nous dit : « Je ne suis pas favorable aux polémiques. La campagne électorale est finie. Moi, je travaille. »
Bad timing, comme disent les Anglo-Saxons.
Le choix du moment est essentiel pour lancer une rumeur.
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Extraits de Orchestrer la rumeur. Rival, concurrent, ennemi... comment s'en débarrasser, Eyrolles (23 février 2012)
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