Rogue One au cinéma : désolé M le PDG de Disney, Star Wars est bien une saga politique quoi que vous en pensiez<!-- --> | Atlantico.fr
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Le synopsis de Rogue One nous amène à suivre le parcours d'un commando dont la mission est de dérober les plans de l'Etoile Noire. Ses personnages se rebellent et s'engagent. C'est d'ores et déjà un discours politique.
Le synopsis de Rogue One nous amène à suivre le parcours d'un commando dont la mission est de dérober les plans de l'Etoile Noire. Ses personnages se rebellent et s'engagent. C'est d'ores et déjà un discours politique.
©Allociné / Jonathan Olley

Toujours le propagandiste de quelqu’un d’autre

Présentée comme une saga non politique par le PDG de Disney à l'occasion de la sortie du dernier volet ce 14 décembre (Rogue One), Star Wars n'en demeure pas moins une oeuvre très politique... dans tous ses aspects.

Lloyd Cerqueira

Lloyd Cerqueira

Lloyd Cerqueira est chargé de mission auprès du groupe UDI-UC du Sénat.  Spécialisé dans l'analyse des questions budgétaires et fiscales, il n'en reste pas moins amateur de séries télévisées.  Observateur anonyme de la vie politique, ses écrits n'engagent que son opinion personnelle.

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Atlantico : Le dernier film Star Wars en date, intitulé Rogue One, fait sa sortie en salle ce 14 décembre. Le PDG de Disney a récemment estimé que la saga n'était absolument pas politique. Une telle déclaration vous semble-t-elle pertinente, particulièrement quand Georges Lucas revendiquait haut et fort cette dimension ?

Lloyd Cerqueira : Ces déclarations sont justifiées par des raisons d'opportunités commerciales et d'exploitation. Cependant, au contraire du propos du PDG de Disney, on peut relire l'intégralité des films Star Wars – des plus anciens aux plus récents – à travers un prisme politique. Ce prisme ne rendra sans doute pas compte de l'intégralité des facettes des films, mais il reste indéniable.

Le synopsis de Rogue One nous amène à suivre le parcours d'un commando dont la mission est de dérober les plans de l'Etoile Noire. Ses personnages se rebellent et s'engagent. C'est d'ores et déjà un discours politique.

Le contexte de la trilogie originelle est celui de la lutte d'un groupe armée contre la structure hiérarchisée et organisée qu'est l'Empire. Ce dernier est une émanation de l'imaginaire traditionnel de l'Allemagne Nazie et d'un peu tous les empires totalitaires et militarisés.

Dans la prélogie des années 2000 le discours est plus politisé encore. Tout l'intérêt de ces trois films réside dans la démonstration des mécanismes qui transforment une démocratie en un régime dictatorial et autoritaire.

La déclaration du PDG de Disney va donc largement à contre-courant d'une lecture de l'œuvre qui n'a pas besoin d'être très approfondie pour révéler sa dimension politique.

Star Wars aborde des questions d'ordre universel, et c'est précisément ce qui fait la clef de son succès. À partir de ce moment-là, cependant, il devient difficile de voir dans la saga des résonnances politiques spécifiques  et faisant référence à des situations politiques nationales. Garantir que le film n'est pas politique, c'est permettre une diffusion plus massive, susceptible de toucher davantage de monde, voire permettre sa représentation dans des États parfois peu démocratiques.

Cependant, si l'on regarde dans le détail, certains films trouvent une résonnance particulière au regard du contexte politique américain. La revanche des Siths, par exemple, constitue clairement une critique de l'Amérique de Georges Bush. C'est une critique que l'on retrouve également dans les premier travaux de Georges Lucas, comme c'est le cas dans American Graffiti. Il y a, chez Georges Lucas, une réelle détestation de la militarisation à outrance. 

Quelles sont les sources et les influences qui contribuent à politiser Star Wars ? De quelles valeurs la saga se fait-elle le porte-étendard et qu'est-ce que cela traduit, éventuellement, des sociétés occidentales, de la façon dont elles souhaitent se représenter ?

Je crois que cela traduit deux choses. À grande échelle, j'y vois une inquiétude réelle quant au devenir des sociétés démocratiques. Les démocraties sont fragiles et peuvent être retournées assez facilement.

Or, cette idée du retournement correspond très bien à l'imaginaire que l'on se fait de Star Wars. Les personnages basculent du côté lumineux vers le côté obscur, on peut tout à fait imaginer un régime sombrant de la même façon. Nous évoquions tout à l'heure l'Allemagne de Weimar qui devenait le IIIème Reich… 

L'idée du régime qui bascule est très présente dans la pop-culture américaine. D'autres récits la mettent en avant : c'est notamment le cas de Watchmen, qui décrit des États-Unis sous la coupe du président Nixon, maintenu en place grâce à la guerre froide dans un pays devenu autoritaire. Ces résonnances se retrouvent dans V pour Vendetta. Le mensonge et la manipulation des parlementaires sont décrits comme des outils qui permettent aux autoritarismes de s'imposer sans trop de heurts, finalement. Dans La revanche des Siths on voit très clairement ces mécanismes : l'esthétique de l'Empire apparaît d'ailleurs progressivement.

Sur un point de vue plus individuel, et c'est clairement une des valeurs fortes portées par la saga, l'idée de la rébellion et de l'engagement est essentielle. L'aventure est personnelle, mais prend ensuite une ampleur beaucoup plus large. Han Solo en est l'exemple le plus criant : il n'est pas prédestiné comme les Jedi, mais réfractaire à s'engager. Finalement, il le fait tout de même pour plusieurs raisons. L'amour, certes, l'amitié, mais aussi la reconnaissance sociale. À travers tout cela, on retrouve une lecture de l'engagement : quand les régimes sont pervertis, l'engagement personnel permet de conserver l'éthique. Dark Vador illustre aussi cette dimension en se retournant à la fin de Le Retour du Jedi. On peut probablement attendre un tel type de retour de la part de Kylo Ren dont l'enjeu personnel semble être celui de couper les ponts avec le côté lumineux, vers lequel le ramène son penchant naturel.

En prônant les valeurs qu'elle prône, de qui la saga Star Wars se fait-elle (inconsciemment ?) le propagandiste ? Quel peut-être le poids de l'industrie cinématographique dans de telles opérations et quels sont les films les plus parlants à ce titre ?

De très nombreux films – mais également d'autres supports – reprennent le schéma narratif de Star Wars. Il est facilement exploitable. D'une manière générale, c'est un schéma que l'on retrouve beaucoup dans les jeux de rôle, comme cela peut être le cas dans les Final Fantasy (particulièrement les épisodes 6 et 12, très inspirés de Star Wars).

Il y a donc clairement un modèle qui se diffuse, à la fois parce qu'il est efficace et porté par tout le courant mainstream américain mais aussi parce qu'il correspond à un mode de pensée que l'on partage peut-être universellement. C'est du moins la théorie de Joseph Campbell, développée dans Le Héros aux mille visages, dont Georges Lucas reconnaît s'être inspiré.

L'industrie cinématographique exploite cette construction. Cependant, ce modèle peut sembler éculé. L'interrogation se pose réellement, comme en témoigne la déception que représente un Final Fantasy XV trop classique ou la tendance des réalisateurs à jouer avec cette image et ces attendus-là. Je pense notamment à Jupiter Ascending, des frères Wachowski, qui relève presque de la parodie. Par conséquent, le poids de l'industrie cinématographique est très ambivalent : il joue de ce modèle, mais la construction ne peut pas fonctionner à vide.

Quant à savoir si Star Wars se fait le propagandiste de quelqu'un, c'est difficile à dire. La trilogie originale donne effectivement l'impression d'une propagande américaine assez classique ou les nazis sont simplement appelés impériaux. Cependant, là aussi c'est très ambivalent : toute l'imagerie autour de la spiritualité des Jedi pourrait être comprise comme une propagande pour la spiritualité asiatique, la philosophie zen, etc. A plus d'un titre, Star Wars est le propagandiste du propagandiste en chacun de nous : cette œuvre est si universelle qu'elle nous incite à trouver ce que nous portons en nous à titre personnel.

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