Rigidité anti-sectes : la France va-t-elle devoir revoir sa position ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Gilbert Bourdin et le "Mandarom" ont été au centre de diverses polémiques et procédures judiciaires à la fin des années 1990.
Gilbert Bourdin et le "Mandarom" ont été au centre de diverses polémiques et procédures judiciaires à la fin des années 1990.
©Reuters

Histoire de culte

Le Conseil d'État a autorisé les Témoins de Jéhovah à accéder aux documents de la Miviludes qui les mettent en cause. Un nouveau camouflet pour les autorités, peu après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme à rembourser des amendes prélevées aux Témoins de Jéhovah et à la secte du Mandarom.

Rodolphe  Bosselut et Thierry Bécourt

Rodolphe Bosselut et Thierry Bécourt

Rodolphe Bosselut est avocat au barreau de Paris. Il assure plus particulièrement la défense pénale de victimes de sectes.

Thierry Bécourt est le président de la Coordination des Associations & Particuliers pour la Liberté de Conscience (CAPLP).

 
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Atlantico : Comment l'État définit-il la notion de secte ? Est-ce que la qualification par le terme négatif de "secte" vous semble légitime par rapport aux structures qu'elle dénomme ainsi ? Où doit-être la limite ?

Rodolphe Bosselut : L'État ne définit pas le mot "secte". Seul un rapport parlementaire s'y est essayé. Il n'y a donc pas de définition, on parle généralement plus de "dérive sectaire" que de "secte". Selon la définition de "dérive sectaire" qui me semble la plus pertinente, il s'agit d'un groupe où il est facile de rentrer et très difficile de quitter. C'est un point commun que l'on retrouve dans tous les cas. À cela s'ajoute une notion d'emprise, de manipulation mentale et de perte du libre arbitre.

En France, contrairement à tout ce que l'on entend, il n'y a pas de chasse aux sectes, il y a juste une limite judiciaire claire : à partir du moment où un groupe cumule deux condamnations pour des faits s'apparentant à des dérives sectaires, on peut demander sa dissolution.

Thierry Bécourt : Il n'y a pas de définition légale précise du terme "secte". Ce mot n'a donc juridiquement aucun sens. Depuis la loi de 1905, l'État ne reconnaît aucune religion et aucun culte, donc le terme de secte n'apparaît dans aucun texte du code pénal. Par conséquent, on peut naturellement conclure que tout emploi de ce terme est arbitraire et à connotation forcément négative.

Ce n'est pas juste : on ne peut pas se permettre de coller si facilement une étiquette "secte" qui peut avoir de graves conséquences sociales voire juridiques pour les personnes concernées. Quand un catholique commet une infraction, on en reste à l'évocation de cette l'infraction. Si la même infraction est commise par un membre du Mandarom, on va tout de suite parler "secte".  

Il ne devrait donc pas y avoir de questions de limite. La limite devrait être au niveau de tous les actes qui contreviennent à la loi, et seulement là.

Les autorités françaises ont essuyé une série de défaites juridiques depuis le début de l'année (remboursement d'amendes, obligation de la Miviludes de communiquer des pièces aux témoins de Jéhovah). La position rigide de la France est-elle en train de se fissurer ? Peut-elle maintenir sa position, même contre l'avis des juridictions internationales ?

Thierry Bécourt : Je me félicite que la Cour européenne des Droits de l'Homme rappelle à la France l'article 9 de la Convention européenne des Droits de l'Homme sur la liberté de conscience et de religion. Je pense juste, notamment quand j'écoute les réactions de M. Blisko, président de la Miviludes, que cela n'amènera pas beaucoup de remise en question. Il y aura toujours cette vision manichéenne du dogme laïque entre les bons et les méchants.

Maintenant, la France a été condamnée à rembourser les amendes. Cela ne l'empêchera absolument pas, si elle le souhaite, de continuer la même politique.

Rodolphe Bosselut : Je rappelle déjà que la décision de la Cour européenne des Droits de l'Homme est susceptible de recours. Ensuite, je pense qu'il s'agit là d'une décision totalement à la marge du débat sur les sectes. La nature de cette décision est d'ordre technique et fiscal : la France considère que certains groupes ne peuvent pas bénéficier d'une exonération des dons qu'ils reçoivent, car l'aspect cultuel qui permet cette exonération n'est pas pleinement justifié. Ces groupes ont donc été redressés, et c'est ce redressement qui a été jugé non conforme par la Cour européenne des droits de l'homme.

La Cour a du considérer que ces groupes avaient une dimension religieuse, ce qui justifie la référence à l'article 9, mais la décision rendue est, je le répète, d'ordre fiscal. La France n'a pas de politique anti-secte, elle a juste une politique de vigilance. Cette décision n'est donc donc absolument pas un camouflet pour la position française sur la question des sectes.

N'est-ce pas un problème que les questionnements sur la position française viennent de juridictions supranationales ? Les mouvements qualifiés de "sectes" ont-ils vraiment à y gagner auprès de l'opinion publique ?

Rodolphe Bosselut : Sans vouloir être manichéen, je pense que tous ces groupes utilisent l'arme que représente le lobbying intensif, notamment à la Commission européenne. Il peut donc y avoir une vraie problématique européenne, pas uniquement sectaire d'ailleurs, de convergence. On pourrait avoir une harmonisation "spirituelle" comme on voudrait tendre vers une harmonisation fiscale. La Miviludes n'est d'ailleurs pas contre, elle n'est pas une police de la pensée, l'article 9 de la Convention européenne des Droits de l'Homme n'est absolument pas mis à mal en France.

Après, il faut aussi reconnaître que la Cour européenne des droits de l'homme calque son système judiciaire sur un modèle américain où quelques grands principes sont érigés en normes intouchables s'imposant à tous.

Thierry Bécourt : Les choses sont simples, la France est responsable de ses actes, et ses actes ont été condamnés. Cela sanctionne le retard français sur la compréhension des nouveaux mouvements spirituels, qui sont mieux admis chez nos voisins européens, où la question est débattue avec des avis d'universitaires. A la Miviludes, par exemple, il n'y aucun universitaire...

Quant à l'opinion publique, nous savons très bien qu'elle à d'autres préoccupations plus ancrées dans la vie quotidienne que cette question. J'espère plutôt que ces décisions vont permettre aux représentants de ces nouvelles spiritualités d'être plus visibles dans les médias, sans cet emballement qui règne quand on parle habituellement du sujet.

La position française contre les "sectes" ne témoigne-t-elle pas d'une équation insoluble entre liberté de toutes les consciences et laïcité à la française ? Les deux peuvent-ils être réellement compatibles ?

Thierry Bécourt : Il y a une schizophrénie française qui consiste à se déclarer laïque et à vouloir qualifier des mouvements de "sectes". Si on ne reconnaît pas de religion, cette question de devrait pas se poser. Cependant, ne pas reconnaître ne veut pas dire ne pas avoir connaissance, et je comprends que l'État cherche à se renseigner. Mais je voudrais qu'il y ait plus de compréhension dans cette démarche, au lieu de vouloir faire peur avec un label "secte".

Rodolphe Bosselut : C'est le piège classique qu'agitent les pro-sectes. La laïcité, c'est la séparation de la religion et de l'État. Or, la secte en tant que telle n'est pas liée au phénomène religieux. La secte, c'est le système totalitaire appliqué à l'individu. Cela utilise parfois des références religieuses, mais de nombreuses sectes reposent sur de simples règles de vie sans rapport à une religion. 

La grande habileté des pro-sectes est de se faire passer pour des religieux opprimés, comme Sainte Blandine jetée aux lions. Ne nous trompons pas de débat, cela n'a aucun rapport avec la laïcité.

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