Richie (Descoings) : l’homme au parcours emblématique de l’évolution des élites françaises depuis les années 80<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ex directeur de SciencesPo, Richard Descoings.
L'ex directeur de SciencesPo, Richard Descoings.
©Reuters

Un homme de son siècle

Raphaelle Bacqué, journaliste au Monde, raconte dans "Richie" (Grasset) l'ascension de l'ancien directeur de Sciences Po Richard Descoings, retrouvé mort le 3 avril 2012 dans une chambre d'hôtel de New York à l'âge de 53 ans. Entre critique et fascination, plongée dans son univers trouble.

Raphaëlle  Bacqué

Raphaëlle Bacqué

Raphaëlle Bacqué est grand reporter au Monde. Elle est l’auteur de plusieurs livres, parmi lesquels La femme fatale (avec Ariane Chemin), sous la couverture jaune : Le dernier mort de Mitterrand (Prix Aujourd’hui).

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Atlantico : Vous venez de publier un livre sur Richard Descoings intitulé Richie aux éditions Grasset.  A quel point était-il nécessaire d'entrer dans les détails de sa vie privée pour comprendre l'ascension de l'ancien directeur de Sciences Po ?

Raphaëlle Bacqué : Chaque individu est un tout et on ne peut séparer ce que l'on est profondément de ce que l'on fait. Je ne connais d’ailleurs aucun bon récit biographique qui se contenterait de n’aborder que la vie publique de son sujet sans comprendre ses convictions, ses sentiments, ses contradictions intimes. C’est d’autant plus nécessaire, en ce qui concerne Richard Descoings, qu’il était lui-même le prince des confusions, mêlant à chaque instant vie privée et vie publique, peut-être davantage que d'autres hommes de pouvoir. Il pouvait ainsi clamer en plein amphi « je suis le premier pédé de Sciences Po ». Lorsqu’il a finalement épousé une femme, Nadia Marik, il en a fait son numéro deux. Même son attention bienveillante aux étudiants hésitait toujours entre le conseil fraternel et le flirt. Et puis, s'il n'avait pas été homosexuel et n'avait pas perdu un ami du Sida, il n'aurait pas participé à la fondation d’Aides, cette association qui lui a enseigné tout ce que l’Ena ne lui avait pas appris. 

Lire les bonnes feuilles de "Richie" : Énarque le jour, homo flamboyant de minuit à l’aurore : la double vie de l'ex directeur de Sciences Po Richard Descoings

Purge, dénonciation, favoritisme : quand l'ex directeur de Sciences Po Richard Descoings et sa femme faisait régner la terreur sur la célèbre école 

Comment raconter les enjeux de pouvoirs quand il faut en passer pour cela par la vie privée ? Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées dans l'écriture de ce livre ? 

Vous savez, les gens m'on raconté Richard Descoings tel qu'il était ou tel qu’ils l’avaient compris. Ses engagements, ses convictions, ses amitiés, ses nuits, ses peines. Personne ne m'a dit : "Je vais vous parler de Descoings mais je ne vais vous parler que du personnage public". Au contraire, amis ou professeurs, anciens ministres ou compagnons de la nuit, m’ont brossé le tableau de ses contradictions, de sa passion véritable pour l’éducation et la jeunesse, de sa noirceur intime, de sa maitrise cynique des codes sociaux et de sa volonté de les bousculer, de son homosexualité et de son amour vrai pour sa femme. Il est vrai que tous les hommes de pouvoir ne sont pas forcément si hauts en couleur… 

Justement, est-ce parce que Richard Descoings était un homme "haut en couleur" que vous avez choisi de lui consacrer un livre ? 

J’aime choisir des personnalités qui permettent de raconter, à travers elles, un peu de notre époque. Richard Descoings est à la fois un héros balzacien et un sujet d’une évidente modernité. Il est emblématique de la période qu'il a traversée- les années 1980 jusqu'à aujourd'hui- et des élites de notre société. Son histoire témoigne aussi de la façon dont les homosexuels sont devenus plus visibles. A 25 ans, c’est un homme qui cache sa personnalité profonde et son penchant pour les hommes parce qu’il craint que cela nuise à son ambition. Il est si transparent qu’aucun de ses condisciples de l'ENA ne se souvenait de lui. La nuit, pourtant, il court les boites et les backrooms, dans ce Paris follement joyeux et inconscient du début des années 80. Puis, il s’engage à Aides où il découvre la force de militants de la société civile face à un Etat dépassé par l’émergence du Sida, ce « cancer gay » comme on dit alors. Dix ans plus tard, il est à la tête de l’école du pouvoir… C’est une bonne trame pour un récit, non ?

Vous racontez dans ce livre l'ascension de Descoings et d'autres haut-fonctionnaires gays qui vont s'entraider. D'aucuns ont parlé de votre livre, n'hésitant pas à parler d'une description d'un pouvoir gay. Est-ce de cela dont il s'agit ?

Je ne parle jamais de pouvoir gay, pour la simple et bonne raison qu’il n’existe pas une communauté gay mais des mondes différents qui parfois s’ignorent. Richard Descoings lui-même traverse plusieurs milieux et plusieurs façons d'être homosexuel : caché, militant, affirmé, marié à une femme.

En revanche, Descoings se créé peu à peu une autre famille à travers son cercle d’amis. C’est un groupe d’une remarquable homogénéité : ce sont des hommes, tous homosexuels, énarques, membres des grands corps. Ils vont entretenir entre eux non seulement des liens amicaux, mais des liens de solidarité qui leur permettront, c’est vrai, de se faire la courte échelle pour entrer dans les cabinets ministériels. Ce réseau d’entraide est-il cependant différent de celui qu’entretient François Hollande avec la promotion Voltaire ?  

En quoi cette situation est-elle emblématique d'une époque ? 

Les règles de la réussite et du pouvoir sont à la fois éternelles et particulières à notre temps. Descoings est un haut fonctionnaire, membre des grands corps (il est conseiller d’Etat), membre du Siècle. Sans doute n’aurait-il pu agir comme il l’a fait, mener ses réformes spectaculaires à Sciences Po en se moquant parfois des règles les plus élémentaires de la gestion d’une école qui vit notamment de l’argent public, sans doute n’aurait-il pas pu danser ivre mort parmi les étudiants dans une boite de Berlin, s’il n’avait pas compris comment fonctionne le pouvoir à la française aujourd’hui. Parce qu’il avait tous les attributs de l’élite, parce qu’il soignait au sein de son conseil d’administration les représentants des grands corps censés le contrôler (inspection des finances, cour des comptes, conseil d’Etat), personne n’a rien dit de ses excès ni de ses dérives financières. Il était un homosexuel affiché et les étudiants adoraient ce directeur « si cool » qui communiquaient avec eux sur Facebook. C’est cela qui en fait une histoire moderne.

Et puis, il pose cette question passionnante : peut-on révolutionner une institution en étant « normal » pour reprendre l’expression de François Hollande.Descoings y avait lui-même répondu, assurant pour justifier son propre comportement que « pour être créatif, il faut être déviant »…

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